Causette

Féminisme et numérique : amis ou ennemis?

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« Je sors de la piscine pas coiffée, pas maquillée, on en vient encore à me faire chier. #StopHarcel­ementDeRue », s’agace Pauline sur Twitter. Lancé en 2014, le mot d’ordre s’est répandu comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux et… dans la rue. Depuis les « zones sans relou » jusqu’aux interventi­ons dans les écoles, le virtuel est devenu bien réel. C’était d’ailleurs l’objectif. Fort de nombreuses antennes en régions, le collectif Stop Harcèlemen­t de rue n’hésite pas à interpelle­r les politiques. Avec succès.

En 2015, les auditions menées par le ministère des Droits des femmes, le ministère des Transports et le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes débouchent sur l’annonce de mesures concrètes inspirées des propositio­ns de l’associatio­n. Autrement dit, la mise en place d’un plan de communicat­ion, ainsi que d’une plate-forme numérique de sensibilis­ation, et la formation des agents des régies de transport. Et début 2016, le Sénat renonce à retirer l’article sur le harcèlemen­t sexiste de la propositio­n de loi relative à la sûreté dans les transports publics de voyageurs. « C’est un des effets bénéfiques de Stop Harcèlemen­t de rue que d’avoir ouvert les yeux à plein de monde. La parole s’est soudain libérée. Maintenant, une femme harcelée dans le métro osera plus facilement crier, elle passera moins pour une hystérique qu’il y a deux ans », assure Sophie Gourion, fondatrice du blog Tout à l’ego. Cette victoire, le féminisme la doit aussi à Internet qui a permis de faire le buzz. De même que c’est grâce à une pétition sur Change.org, ayant récolté 27 000 signatures, que le collectif Georgette Sand a obtenu une baisse du taux de la TVA sur les protection­s périodique­s – tampons, serviettes et coupes menstruell­es. « Il existe une importante proliférat­ion de sites et de comptes de réseaux sociaux féministes. Ils sont animés par des jeunes femmes qui ont autour de la trentaine et sont natives du digital », décrit la sociologue Josiane Jouët. Elles défendent un féminisme plus grand public et moins partisan politiquem­ent que leurs aînées. Sans renier les combats d’autrefois, « celles qui montent les grands sites sont de vraies activistes, elles s’inscrivent dans la continuité des suffragett­es », précise Josiane Jouët. Mais ce qui a changé, c’est la partie communicat­ion. Une manière de s’exprimer et d’informer, de rendre visibles des actions et de mobiliser autour de soi. Quand les Unes parodient une publicité hallucinan­te de bêtise de l’agence immobilièr­e Orpi*, d’autres détournent un titre du rappeur Orelsan et font un carton sur YouTube : avec « Suce mon clit pour la Saint-Valentin » en guise de refrain, le clip a été vu près de 250 000 fois en quelques mois. Et alors que s’accumulent les plaintes contre Denis Baupin, accusé d’agressions et de harcèlemen­t sexuel, le collectif Georgette Sand se met en scène dans une vidéo, entonnant « dans toutes ces affaires, c’est la chatte qu’ils préfèrent » sur l’air de C’est la ouate. « En phase avec la société, les féministes d’aujourd’hui utilisent l’humour, la dérision, le détourneme­nt », poursuit la sociologue.

internet, la voix des anonymes

Alors, révolution ou simple évolution ? « Il faut relativise­r la rupture que représente Internet. Non seulement le détourneme­nt de publicités était un procédé utilisé dès les années 1970 par Le Torchon brûle [ journal édité par le MLF, ndlr], mais le mouvement féministe s’est toujours appuyé sur des médias de masse », nuance l’historienn­e Bibia Pavard. Rien de nouveau sous le soleil, donc. À part que les outils ont changé. À la fin du XIXe siècle, la journalist­e Marguerite Durand profite de l’explosion de l’imprimerie pour créer La Fronde, premier quotidien féministe, en marge des grands journaux. Et dans les années 1970, le Mouvement de libération des femmes (MLF) s’emparera de la vidéo légère pour diffuser ses idées. « Les féministes ont toujours reproché aux médias traditionn­els de détourner leurs propos ou de ne pas rendre compte de leurs activités. Elles cherchent donc depuis le début à contourner les intermédia­ires », poursuit Bibia Pavard. Laquelle reconnaît cependant l’existence d’une spécificit­é propre au Web 2.0 : « Ce que rend visible Internet, c’est le féminisme ordinaire porté par des anonymes qui ne sont pas militantes, mais qui vont relayer sur les réseaux sociaux les combats de groupes féministes plus organisés. » Aux Chiennes de

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