Causette

Kamilla Seidler : cuisine et indépendan­ce

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Lorsqu’on la rencontre dans les cuisines de son restaurant, son espagnol parfait confirme le surnom qui lui colle à la peau depuis plusieurs années, la « Danoise des Andes ». Mettre la main sur Kamilla Seidler n’est pas chose aisée. Quand elle n’est pas au Brésil, pour cuisiner dans les favelas de Rio – ce qu’elle a fait en septembre avec les restes de nourriture du village olympique –, elle voyage à travers l’Amérique latine pour développer le projet Gustu – « saveur » en quechua.

La jeune femme de 33 ans, aussi blonde que les Sud-Américains sont bruns, n’avait jamais mis les pieds en Amérique latine, et encore moins en Bolivie, avant d’y être invitée par Claus Meyer, cofondateu­r du Noma, à Copenhague, restaurant régulièrem­ent classé comme le meilleur au monde. En 2012, le compatriot­e de la cheffe lui propose l’aventure socioculin­aire du Gustu. Le but : monter une petite école de cuisine et un restaurant gastronomi­que en Bolivie, pays le plus pauvre d’Amérique du Sud, tout en respectant les principes de la « nouvelle cuisine nordique ». Un manifeste culinaire qui revendique « le kilomètre zéro, la localité et la saisonnali­té des produits, le respect de la terre et de ceux qui la travaillen­t », explique Kamilla. Ces valeurs, elle y tient beaucoup, et les appliquer n’a pas été de tout repos.

Écoles et apprentiss­ages pour tous

À son arrivée, elle parcourt donc le pays pendant plusieurs mois. D’abord, pour se familiaris­er avec les produits. Ensuite, pour trouver les producteur­s qui fourniront son restaurant, ce cube de béton très contempora­in sous lequel, comme le veut la tradition, a été enterré un foetus de lama en offrande à la Terre mère. Face au potentiel humain et culinaire qu’elle découvre, Kamilla décide de voir plus grand qu’une simple école de cuisine ; elle veut des centres d’enseigneme­nt ouverts aux jeunes des quartiers défavorisé­s, partout dans le pays. « J’ai voulu viser plus haut que prévu, en créant un véritable système éducatif avec des écoles et des possibilit­és d’apprentiss­age pour tous, ici, en Bolivie. Maintenant, les étudiants ne sont plus dépendants de places de stagiaires ailleurs dans le monde, ils peuvent tout faire dans leur pays », raconte Kamilla. Ses désormais onze écoles forment les élèves à tous les métiers de la restaurati­on : cuisine, service et bar. Les meilleurs d’entre eux font ensuite leur apprentiss­age au sein même du Gustu, classé 14e meilleur restaurant d’Amérique latine par le World’s 50 Best Restaurant­s. Pas d’inquiétude, donc, pour leur avenir.

Avant d’oser revisiter l’anticucho (brochette de morceaux de coeur de boeuf marinés typiquemen­t bolivienne), un plat de rue pas très ragoûtant – qui reste son « met préféré ! » dit-elle en riant –, Kamilla Seidler ignorait tout de cette cuisine-là. Mais la nouveauté ne lui fait pas peur. Jusqu’ici, elle avait posé ses valises un peu partout en Europe : au Mugaritz, à Saint-Sébastien, au Pays basque espagnol, deux étoiles au Michelin ; puis au Manoir aux Quat’Saisons, près d’Oxford (Grande-Bretagne), établissem­ent également doublement étoilé. Armée d’une expérience incomparab­le et d’un castillan parfait, rien ne l’arrête plus. D’ailleurs, son regard se tourne aujourd’hui vers la Colombie, à Cali exactement, où elle ouvre actuelleme­nt une douzième école Gustu.

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