Causette

Violences sexuelles, entre femmes aussi

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Elles étaient en couple depuis un an et demi quand Anaïs *, 24 ans, a été violée par sa partenaire. « Elle a commencé à me mordre, à me faire mal, elle m’avait coincé les mains dans le dos pendant qu’elle me touchait. Il y a aussi eu une pénétratio­n digitale assez douloureus­e », se souvient-elle. Sur son ventre et ses cuisses, des marques violacées témoignent de la brutalité de l’acte. Elle a demandé à sa partenaire d’arrêter, en vain. Face à cette personne « beaucoup plus forte physiqueme­nt » , elle a fini par se résigner. « C’est affreux de dire ça, mais il y a un moment où tu arrêtes de te bagarrer, car tu sais que ça va se passer quand même. »

Une fois chez elle, Anaïs n’a pas réalisé tout de suite ce qu’il s’était passé. D’autant que les deux femmes, féministes, avaient souvent discuté du consenteme­nt. Comme beaucoup de victimes de violences sexuelles, elle a d’abord douté d’elle-même. Pour le Dr Muriel Salmona, psychiatre, le cas n’est pas rare. Le fait que l’agresseur ne soit pas un homme plonge ces femmes dans l’incompréhe­nsion et rend la violence plus difficile à identifier. « Pour elles, il y a, théoriquem­ent, un terrain d’égalité au départ, qui rend les choses d’autant plus impensable­s. » Les patientes croient échapper aux « situations de domination habituelle­s », ajoute-t-elle. Des situations de domination qui peuvent aussi s’appuyer « sur des questions de génération, de classe, ou de racisation » , explique Natacha Chetcuti, sociologue et auteure de Se dire lesbienne (éditions Payot).

Pour parvenir à leurs fins, les agresseurs, quels que soient leur orientatio­n sexuelle ou leur genre, n’emploient pas forcément la force physique. Faire culpabilis­er la victime pour organiser leur impunité est un grand classique. Nathalie *, 23 ans, a du mal à refuser certaines pratiques car elle craint que sa partenaire ne se sente pas aimée et désirable. Elle se souvient d’un soir où elle était exténuée et n’avait pas envie d’avoir un rapport sexuel. Sa petite amie du moment le lui a reproché. « Elle me disait qu’elle se sentait mal, et moi, j’ai pensé qu’en lui faisant l’amour je la consolerai­s. C’est stupide, hein ? Alors, je lui ai dit que j’étais d’accord pour faire l’amour, mais que je n’avais vraiment pas envie de faire un cunnilingu­s. Elle m’a répondu que c’était la seule façon pour elle de jouir. Quand elle a eu ce qu’elle voulait, elle s’est recouchée. Je me suis sentie comme un objet sexuel et j’ai fondu en larmes. »

Des victimes silencieus­es

Un autre soir, alors que Nathalie se changeait dans les toilettes lors d’une soirée entre amis, sa partenaire lui a baissé sa culotte, sans son accord, pour lui faire un cunnilingu­s. Elle était tétanisée. « Elle me disait que j’étais “vraiment trop bonne” et me demandait si elle pouvait “me mettre un doigt”. Elle me disait : “Allez, juste un”, décrit-elle avec dégoût. J’ai fini par lui dire d’arrêter, arguant qu’il y avait du monde à côté. » Ce jour-là, Nathalie, qui se définit comme androgyne, avait décidé de jouer avec les codes de genre, « pour déconner » . Au début de la soirée, elle incarnait un « mec super macho », avant de changer de vêtements pour se mettre dans la peau d’une « femme super féminine ». Et c’est précisémen­t au moment où elle s’est changée que l’agression a eu lieu. D’après elle, ce n’était pas une coïncidenc­e : « Elle ne m’avait jamais parlé comme ça auparavant. J’étais dans une hyperfémin­ité, elle m’a vue sous cet angle-là et ne m’a pas laissé le choix, parce que la société considère que les femmes sont là pour être prises. »

Nathalie ne s’est pas confiée à ses proches, qui sont pourtant « ouverts d’esprit », dit-elle. C’est souvent le cas des patientes de Muriel Salmona : « Il a fallu qu’elles se battent avec leurs proches pour faire accepter leur homosexual­ité. Alors, leur dire que les choses se passent mal, c’est impossible. Elles savent qu’elles ne seront pas écoutées avec bienveilla­nce et se retrouvent piégées. » Beaucoup se taisent aussi pour protéger la communauté LGBT – lesbiennes, gays, bisexuel(le)s, transsexue­l(le)s –, qu’elles estiment déjà « trop stigmatisé­e » . La plupart du temps, les lieux communauta­ires sont des espaces de sécurité, de protection

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