«Arrêter la pilule pour sa santé est un geste féministe »
Fruit d’un an d’enquête, J’arrête la pilule (éd. Les Liens qui libèrent) revient sur des risques bien connus et reconnus liés à la prise des pilules de 3e et 4e générations : les embolies pulmonaires et les AVC. Mais Sabrina Debusquat avance aussi que ce contraceptif, toutes générations confondues, est responsable de bien d’autres nuisances. Citons ici cancer du sein, malformations génitales, trisomie ou autisme chez les enfants à naître, altération du développement de la faune due au rejet des hormones de synthèse dans l’eau… Sans parler d’effets secondaires dits bénins, comme la baisse de la libido, la déprime ou la fameuse prise de poids. Un compte-rendu discutable, à en croire les gynécos. Mais qui a de quoi inquiéter.
Causette : Difficile de regarder sa pilule d’un bon oeil après avoir lu votre livre. C’est même assez flippant. Quel était, pour vous, l’enjeu en l’écrivant ?
J’ai témoigné sur mon blog Ca-se-
Sabrina Debusquat : saurait.fr sur la façon dont s’est passé, pour moi, l’arrêt de la pilule et le remplacement par le stérilet (que je n’ai pas supporté), puis par des méthodes naturelles combinées (prise de température, observation de la glaire cervicale). J’ai ensuite reçu de nombreuses questions de femmes et j’ai voulu y répondre : la pilule est-elle dangereuse pour moi ? À quel niveau ? Est-ce dangereux pour l’environnement ?… En enquêtant ( j’ai passé un an à éplucher la littérature scientifique et à interroger des chercheurs), je ne m’attendais pas à découvrir tout ce que j’ai découvert, et ce livre est un peu la face cachée de la pilule. Beaucoup de journalistes me disent : « Votre livre est à charge ». Mais son but n’était pas de rebattre les oreilles des femmes avec le discours dominant sur le sujet. Si j’avais trouvé des éléments rassurants pour les femmes, je les aurais mentionnés. Malheureusement, ça n’a pas été le cas. Toutes les études citées dans ce livre sont indépendantes. Je m’appuie, notamment, sur les travaux de la docteure Ellen Grant, qui montre, par exemple dans la revue médicale de référence The Lancet, qu’on ne peut pas dire que la pilule protège du cancer de l’endomètre. C’est pourtant l’hypothèse de deux études majeures, faisant aujourd’hui encore référence pour les professionnels clamant que la pilule n’est pas dangereuse, voire qu’elle protège de certains cancers. La première, « Lifetime cancer risk and combined oral contraceptive », a été réalisée sur 46 000 femmes pendant quarante-quatre ans par le Collège royal anglais des médecins généralistes. La seconde, la « Walnut Creek contraceptive drug study », a été menée sur 22 000 patientes aux ÉtatsUnis entre 1968 et 1978. Examinées attentivement, toutes deux présentent des biais importants : dans les groupes témoins « sans pilule », certaines femmes prenaient des traitements pour la ménopause ou les troubles de la fertilité, qui contiennent exactement les mêmes hormones que celles de la pilule et induisent donc les mêmes risques.
Qu’est-ce qui vous a le plus étonnée durant cette année d’enquête ?
L’ampleur des biais scientifiques et de la manipula
S. D. : tion dans les études qui présentent des conflits d’intérêts. Je me suis dit : OK, on a une vraie crise de la science. Le problème, c’est que nous lui faisons confiance pour prendre nos décisions de santé publique.
Votre ouvrage va faire couler beaucoup d’encre. Qu’en attendez-vous ?
Si une chose positive devait en sortir, ce serait
S. D. : l’émergence d’un débat public sur la pilule. Nous avons des plans nationaux Alzheimer ou cancer, il nous en faudrait aussi sur la contraception, afin que tout le monde – gynécos comme patientes – soit informé sans zone d’ombre sur les effets secondaires, graves ou bénins de la pilule. On est sans arrêt en train de minimiser ces effets, parce qu’on est dans une société où on minimise encore la parole des femmes. Il est également temps de répondre à la demande des femmes qui, comme moi, ont arrêté la pilule et ont testé le DIU cuivre [DIU pour
« dispositif intra-utérin », c’est-à-dire le stérilet, ndlr], qui n’a pas convenu. On revient alors à l’âge de pierre contraceptif, et seule avec ça. Pour mon enquête, j’ai réalisé un sondage en ligne sur l’arrêt de la pilule auquel plus de 3 600 femmes ont répondu. Beaucoup d’entre elles m’ont rapporté dans la question ouverte finale que quand elles ont dit à leur gynéco qu’elles arrêtaient la pilule, ils ont été nombreux à leur avoir ri au nez et les ont laissées sans solution : « Ah bah ! vous voulez retourner au Moyen Âge ? Vous voulez des gosses ? Bah ! c’est pas mon problème. » Ou : « Vous êtes une ingrate, on s’est battu pour vous. » Quel est le rapport ? Il s’agit de patientes en difficulté et qui font des choix. Le rôle du médecin est de les éclairer et de les accompagner dans ce parcours.
D’autant qu’elles sont nombreuses à se détourner de la pilule et qu’il s’agirait de prendre le train en marche…
Ce phénomène « j’arrête la pilule » s’inscrit dans une
S. D. : mouvance générationnelle de refus de l’hypermédication. Ces jeunes font aussi tomber les tabous des règles et des violences gynécologiques. Elles disent : « Pourquoi nous, femmes, devrions accepter un médicament ultra puissant trente ans de nos vies, alors qu’on peut partager la charge contraceptive et qu’il existe des solutions, comme le DIU cuivre, qui ne sont pas des produits cancérigènes. » 1 Elles sont en train de nous poser de vraies questions, pertinentes quand on sait que, à l’époque des premières recherches sur la pilule, la santé des utilisatrices n’était pas forcément un enjeu pour ses promoteurs 2. Nous avons aujourd’hui de nouveaux paradigmes, et il ne s’agit pas pour moi d’un retour en arrière. Ce mouvement est, au contraire, hyper féministe.
Et pourtant, vous l’avez dit, on passe facilement pour une ingrate ou une inconsciente lorsqu’on choisit d’arrêter la pilule...
Le sujet est épidermique. La pilule est le symbole de
S. D. : la liberté sexuelle des femmes, du contrôle de leur corps, et on ne touche pas aux symboles. Mais qu’on le veuille ou non, nous assistons à une phase de transition. La pilule a été une étape importante, les femmes revendiquent désormais une contraception moins risquée pour leur santé.
U
1. Le Centre international de recherche sur le cancer a classé en 2005 la pilule oestroprogestative comme cancérogène pour les seins, le col de l’utérus, le foie et les voies biliaires. En réponse, le Collège national des gynécologues et obstétriciens français a affirmé que « les risques cancérogènes des pilules, certes réels mais assez faibles, doivent être mis en balance avec les avantages de la contraception orale », en citant la diminution de certains cancers, de l’endomètre et des ovaires notamment.
2. À ce sujet, lire l’édifiant deuxième chapitre de J’arrête la pilule. Si les femmes se sont par la suite approprié la contraception orale pour éviter une grossesse non désirée, les recherches ont surtout été poussées par le mouvement eugéniste, après la Seconde Guerre mondiale.