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Plus de cinq cents lesbiennes de quarante-cinq pays se sont réunies pendant trois jours, du 6 au 8 octobre, dans la capitale autrichienne pour l’European Lesbian* Conference (EL* C). L’objectif ? Créer un espace de discussion et un mouvement européen afi
Elles sont chercheuses, professeures, artistes ou encore militantes associatives. Toutes ont fait le déplacement depuis leur pays respectif pour venir assister à cet événement sans précédent à l’Ankerbrot, ancienne fabrique de pain devenue un centre d’art contemporain, dans le quartier de Favoriten, à Vienne. Pendant trois jours, le lieu fourmille de lesbiennes qui se pressent aux portes de nombreux ateliers thématiques, où il est difficile de trouver une place assise.
L’histoire de l’European Lesbian* Conference (EL* C) commence en octobre 2016, lors d’une conférence de l’Ilga (Association internationale des lesbiennes, gays, bisexuels, transsexuels et intersexués, qui rassemble mille cent organisations de cent dix pays) à Nicosie (Chypre). Dans le cadre d’un atelier consacré au mouvement lesbien en Europe, les participantes constatent que la plupart des sous-groupes GBTI (gays, bisexuels, transgenres, intersexes) ont réussi à créer leurs propres espaces de discussion alors qu’elles, lesbiennes, manquent encore de structures et d’outils pour combattre les discriminations qu’elles subissent au quotidien. Elles décident alors de créer leur propre conférence.
Un an plus tard, l’EL* C voit le jour. « On a réalisé qu’en mettant la pression à nos propres cercles militants, aux institutions de chaque pays et aux associations LGBTI, on pouvait faire bouger les choses », raconte Silvia Casalino, cofondatrice et cosecrétaire française de l’EL* C. En quelques mois, les dix-neuf membres du comité d’organisation parviennent à collecter 100 000 euros pour financer le voyage des intervenantes les plus précaires et couvrir les frais logistiques.
Un espace safe et inclusif
Outre la visibilité des lesbiennes, il s’agit de pointer leurs particularités, souvent ignorées. Par exemple, le niveau de stress auquel elles se trouvent confrontées au travail. « Je suis ravie d’être ici car ce type de conférences nous permet d’être en prise avec le terrain et leurs réalités, estime Joyce Hamilton, coprésidente
d’Ilga-Europe. Demain, nous pourrons aller directement parler aux employeurs pour nous assurer que leurs salariées évoluent dans un environnement professionnel bienveillant. »
En créant un espace safe et inclusif, l’EL* C entend également se structurer pour faire front face à la montée des néofascismes en Europe. « Aujourd’hui, il y a encore des individus qui ne veulent pas que les lesbiennes soient visibles », déclare Ulriche Lunacek, candidate verte aux élections législatives autrichiennes du 15 octobre, féministe, lesbienne et première personnalité politique en Autriche à avoir fait son coming out il y a vingtdeux ans. « Certains nous disent : “Vous pouvez faire ce que vous voulez chez vous, mais pas en public.” Et ils nous refusent le droit au mariage et d’être libres. »
Cette volonté de se constituer en réseau ne date pas d’hier et d’autres rassemblements similaires se sont déroulés en Europe dans les années 1980. En 1981 a lieu une conférence lesbienne à Turin (Italie), qui mobilise quatre-vingts participantes d’une quinzaine de pays européens. Huit autres conférences ont lieu les années suivantes, dont la plus importante, à Genève en 1986, avec deux cents lesbiennes de quarante pays. Puis le mouvement s’étiole. « Ça a été difficile à cause du choc culturel entre les pays. Nous avions des différences d’organisation, de points de vue, d’idéologie et aucune expérience des échanges internationaux », témoigne Evien Tjabbes, membre du comité organisateur néerlandais à l’époque.
“Gouiner le monde entier”
Trente ans plus tard, bien que les lesbiennes aient acquis davantage de droits, les besoins et les requêtes demeurent inchangés. « Nous sommes toujours très peu visibles dans les médias, observe Joyce Hamilton, d’Ilga-Europe. C’est à nous de normaliser notre représentation. » Par ailleurs, les lesbiennes sont exposées à une plus grande précarité que les hétérosexuelles et 64 % d’entre elles subissent des discriminations liées à leur orientation sexuelle, apprend-on dans un atelier consacré à l’activisme digital et aux statistiques. « Aujourd’hui, les frontières n’existent plus en Europe et Internet nous permet de communiquer avec notre réseau en temps réel, reconnaît Evien Tjabbes. Cependant, nous devons encore nous battre pour la procréation médicalement assistée (PMA) et nos droits reproductifs. » Pour avancer dans ces combats, l’EL* C souhaite, notamment, produire un manifeste, mettre en place une base de données ou un service d’information en ligne et créer le premier mouvement lesbien européen.
Si la prochaine conférence n’aura lieu que dans deux ans dans une autre ville européenne, la ligne directrice se dessine déjà : faire preuve de plus d’inclusion encore (des lesbiennes non blanches, migrantes, musulmanes, en situation de handicap, russophones…), accroître la présence des pays de l’Europe de l’Est et collecter plus d’argent pour « gouiner le monde entier » , comme on peut le lire sur les vitres de l’Ankerbrot, transformées en étendards le temps d’un week-end.