Fallait être culottée
Les premières femmes à avoir porté le pantalon ne s’appelaient ni George Sand ni Colette. Les pionnières sont des barbares de l’Antiquité. Et à l’époque, pas question pour les hommes grecs d’enfiler ce vêtement qu’ils jugent décidément trop efféminé.
On a coutume de rappeler que le pantalon a longtemps été interdit aux femmes. Et d’égrener les noms de quelques pionnières, de George Sand à Colette. Résumons. Dès le XIXe siècle, une poignée de femmes françaises adoptent pour la première fois cette tenue virile par excellence. Et bouleversent l’ordre des sexes dans un geste aussi révolutionnaire qu’inédit. Voilà un récit séduisant.
Sauf que… « chez les barbares [tous ceux qui ne sont pas grecs ou romains, ndlr], les femmes portaient déjà le pantalon ! » souligne l’historienne Adrienne Mayor *. Leurs tombes en fournissent la preuve indiscutable : au sud du Kazakhstan, par exemple, on a découvert une momie renfermant un squelette inhumé avec son pantalon de cuir, ses grandes bottes recouvertes d’écailles dorées, ses boucles d’oreilles ainsi qu’un poignard et une longue épée accrochée à la
ceinture.
L’homme, le vrai,
montre ses mollets
Cet habit sur mesure, réalisé en ajustant des morceaux de peau ou de textile ensemble, est alors unisexe. Et pour les Grecs, qui préfèrent se draper dans des carrés de tissu,
ça ne passe pas du tout ! Le pantalon les fait baliser. « Pour eux, la caractéristique la plus anxiogène du pantalon est certainement liée à sa nature androgyne », précise Adrienne Mayor. Un homme un vrai (autrement dit, pas un barbare) doit montrer qu’il en a, quitte à courir nu lors des jeux Olympiques ! Les Grecs n’hésitent d’ailleurs pas à moquer ces ridicules « sacs » ou « poches multicolores » pour les jambes.
Cerise sur le gâteau, ils reprochent à ce vêtement son côté efféminé ! Et prétendent qu’il a été conçu par des reines orientales aux desseins diaboliques. Ainsi, une légende veut que la reine perse Atossa – élevée comme un garçon par son père – ait imaginé le premier pantalon pour masquer la différence entre les sexes. Un autre mythe affirme qu’on le doit à une Perse baptisée Rhodogyne, « la femme en rouge », décrite comme « resplendissante dans une tunique écarlate tenue par une ceinture et un pantalon brodé de magnifiques motifs ». Enfin, l’inventrice de ce vêtement serait, selon certains récits, une reine de la Mésopotamie répondant au nom de Sémiramis.
Quoi qu’il en soit, ces récits prouvent la répulsion que ressentent les Grecs face au pantalon. Un sentiment partagé par le Macédonien Alexandre le Grand : après sa rencontre avec une valeureuse cheffe de guerre, il emprunte aux barbares leurs bijoux, mais pas question pour lui de recouvrir ses mollets comme une femme. Il y a des limites à ne pas dépasser. « Les sociétés patriarcales imposent des différences rigides de tenue en fonction du sexe », rappelle Adrienne Mayor. Alors, le pantalon, une pantalonnade ?