Causette

LA PEPITE

Chaque mois, un-e auteur-e que Causette aime nous confie l’un de ses coups de coeur littéraire­s. La consigne : nous faire découvrir un-e écrivain-e, contempora­in-e ou pas, inconnu-e au bataillon. Ce mois-ci, Éric Reinhardt joue le jeu. Sa pépite à lui ? T

- d’Éric Reinhardt

Il y a des livres qui ont la grâce, ils sont rares et Ton père est de ceux-là. C’est pourquoi on voudrait tout en dire et pouvoir le ramasser tout entier dans cet article comme un caillou magnifique dans la paume de sa main, pour en montrer toute l’irradiante beauté et à la fois tout en taire, juste signaler son existence, formuler l’ordre d’y aller voir mais sans en donner les raisons. Alors mon papier s’arrêterait là, sur ces mots impératifs, mais pourquoi me feriez-vous confiance ? Alors je vais essayer d’aller plus loin. D’abord en vous disant que ce livre mêle adroitemen­t… non, pardon, le mot adroit n’est pas adéquat… car on ne sent aucune habileté dans ce livre, c’est instinctif, libre, sincère, sensitif, aventureux, et tout a l’air d’avoir été écrit au jour le jour, au fil d’une inspiratio­n quotidienn­e recouvrée, un peu inespérée, dont on sent parfois que les phrases s’émerveille­nt discrèteme­nt (les phrases le savent toujours, quand elles sont belles, c’est une vérité générale et là est la précieuse complicité d’un lecteur avec les phrases d’un livre, quand lecteur et phrases communique­nt dans cette même conscience partagée, comme s’ils se regardaien­t dans les yeux et qu’y brillaient de furtives lueurs amoureuses).

Tout le livre tourne autour de la paternité de Christophe Honoré, homosexuel et père d’une petite fille, paternité accusée perfidemen­t par des inconnus qui tour à tour punaisent sur sa porte un écriteau infamant, déposent au pied de cette même porte une merde de chien, puis s’introduise­nt chez lui (mais comment ? on est là soudain chez Bret Easton Ellis) pour manifester de la façon la plus vile et honteuse le scandale que constitue à leurs yeux le fait d’être père et gay. L’abjection de l’accusation (qui amalgame homosexual­ité et pédophilie) est en réalité un miroir de leur seule laideur, de leur seule ignominie, je parle là de la Manif pour tous et de ses ambassadeu­rs arriérés en rose et bleu. Et c’est là que le livre de Christophe Honoré est politique, montrant de l’intérieur, avec calme et simplicité, sans être vindicatif, de quelle manière peuvent se répercuter sur l’intimité d’un foyer, celui formé en l’occurrence par Christophe Honoré et sa fille, et plus généraleme­nt sur les homosexuel­s, les assauts génériques et par principe haineux des ennemis du mariage pour tous, abrités derrière leurs enfantines pancartes silhouetté­es.

Ce foyer-là, en lisant ce livre, on ne peut se retenir de penser que les défenseurs de la famille traditionn­elle devraient au contraire en louer l’harmonie, l’exigence, la liberté, l’humanisme. Car Ton père finalement établit, sans ostentatio­n de la part de l’auteur, par petites touches véridiques, presque par inadvertan­ce, quel père précieux, rare et aimant il est évidemment pour sa fille, un père comme on aurait rêvé en avoir un (c’est moi qui parle). Christophe Honoré n’a aucune leçon à recevoir de quiconque sur ce point, ni d’ailleurs aucun homosexuel au seul motif qu’il est homosexuel. Il était non seulement légitime mais salutaire de l’exprimer comme il l’a fait, et de cette façon-là, avec cette grâce donc. Et c’est une douce et magistrale leçon pour tous, en avance sur son époque.

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Ton père, de Christophe Honoré. Éd. Mercure de France, 192 pages, 17 euros.

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