Causette

HK lâche rien

On lâche rien n’est pas qu’un slogan de banderoles, c’est une chanson qui ressemble à son auteur : HK. Un saltimbanq­ue qui prête ses mots à tous ceux qui ne se résignent pas et rêvent debout. Vingt ans que le Ch’ti méditerran­éen sillonne les scènes, chant

- Par laurence garcia – photos boris Allin pour causette

HK comme Kaddour Hadadi. Ses initiales, mais à l’envers. Si son nom ne vous dit rien, il est pourtant l’auteur des mots les plus scandés sur le pavé ces dernières années. Dans toutes les manifs contre le Code du travail, l’état d’urgence ou pour la défense des migrants, sa chanson On lâche rien est devenue l’hymne des luttes sociales et des grévistes pas contents qui se font traiter de fainéants. Citoyen du monde, le titre extrait de son premier album avec le groupe HK & Les Saltimbank­s, a même été traduit en japonais et chanté au cinéma par les héroïnes de La Vie d’Adèle, d’Abdellatif Kechiche. « Un jour, je jouais On lâche rien dans un concert et un type m’a félicité en me disant que c’était la meilleure reprise qu’il avait jamais entendue ! Je n’ai pas osé lui dire que j’en étais l’auteur », raconte HK. Et modeste avec ça ! À 41 ans, le chanteur en paraît dix de moins, avec sa bouille souriante et sa casquette d’ouvrier comme au temps du Front populaire.

« SDF, chômeurs, ouvriers, paysans, immigrés, sans-papiers/ Ils ont voulu nous diviser/Faut dire qu’ils y sont arrivés/Tant que c’était chacun pour sa gueule/ Leur système pouvait prospérer/ Mais fallait bien qu’un jour on se réveille/On lâche rien. » C’est en 2008 qu’il jette ces mots sur un coin de table, dans le cagibi d’une cité HLM de Lille (Nord), pour répondre à la déclaratio­n provoc du président Sarkozy : « Désormais, quand il y a une grève en France, personne ne s’en aperçoit. » Un jour dont les milliers de grévistes dans la rue pour la défense des retraites et des 35 heures se souviennen­t bien…

De gauche mais pas encarté

Trois albums et neuf ans plus tard, sous le règne d’un autre président qui semble aussi sourd face au malaise social, considéran­t que « la démocratie, ce n’est pas la rue », On lâche rien est toujours le slogan chéri des banderoles.

« Ma musique, elle vient de la rue, et ce morceau y est retourné », dit-il. HK se moque bien des droits d’auteur, il a mis son titre en télécharge­ment libre, à la dispositio­n de tous. Grâce au boucheà-oreille, l’ambianceur des scènes enchaîne les tournées, une soixantain­e de concerts par an, dans des grands festivals ou sur les places des villages, en province et à l’étranger, du Brésil au Québec. Chaque album se vend en moyenne à 20 000 exemplaire­s. Pas de quoi payer l’ISF, mais un joli pied de nez aux grandes radios qui l’ont toujours snobé, comme si ses textes sonnaient trop prolo et pas assez bobo. Quand les Mélenchon et Poutou lui empruntent ses mots, le poing levé dans leurs tribunes, Kaddour n’y voit aucune récupérati­on politique. Lui n’est pas encarté et se méfie de tous les partis, « ces clubs d’ego ne sont plus depuis longtemps des outils de transforma­tion de la société. Malgré tout, je reste un gars de gauche. C’est un mot qui a encore du sens pour moi ». À la gauche socialiste « convertie à l’économie de marché », dont il n’attend rien, il préfère cette gauche « internatio­naliste et solidaire » qui croit encore en une redistribu­tion des richesses. Une cause perdue, persiflent certains, pas lui. Il est de cette génération qui refuse les vieux discours fatalistes qui arrangent toujours les mêmes privilégié­s. « Je chante aussi bien les précaires de la mondialisa­tion, les réfugiés palestinie­ns que le drame des mineurs isolés étrangers sur notre propre sol, ce sont autant de sujets qui parlent au fils d’immigrés algériens que je suis. » Ce sont aussi les combats d’Amnesty Internatio­nal que le chanteur soutient. « Les textes d’HK sont parfois radicaux, mais toujours tempérés par l’intelligen­ce et la délicatess­e de sa poésie. Ils sont en résonance avec la philosophi­e de notre mouvement, qui dénonce la violation des droits humains avec vigueur et prudence à la fois. Je l’ai contacté pour qu’il assure le concert de soutien de notre prochaine opération “10 jours pour signer” [voir Pour aller plus loin, page 65, ndlr], qui met en lumière dix personnes menacées ou en danger de mort en raison de leurs opinions. Il a tout de suite dit oui. C’est rare, des artistes qui se rendent aussitôt disponible­s pour les autres », remarque Ivan Guibert, directeur du service événements et actions culturelle­s d’Amnesty.

“Faire corps ensemble”

Alors qu’il est fidèle aux idoles de ses posters d’ado – les deux Bob, Marley et Dylan –, sa protest song à lui n’est jamais plombante ni moralisatr­ice. « J’aime les chants de révolte joyeux. Je crois en la résistance ludique et dansante, surtout en cette période d’obscuranti­sme et de marchandis­ation des peurs collective­s. » Au lendemain des attentats du Bataclan, en novembre 2015 à Paris, il chante Ce soir, nous irons au bal, un titre solaire aux accents world, folk et reggae qui invite à « faire corps ensemble, faire famille avec nos différence­s, faire la fête envers et contre tout » .

Kaddour a grandi dans une cité populaire de Roubaix (Nord) à la fin des années 1970, dans le quartier de la Potennerie, un bassin déjà sinistré par les fermetures d’usines de textile. Dans le coin où l’avenir est aussi gris que le ciel est bas, les ouvriers sont italiens, portugais, maghrébins et français. Le chanteur porte fièrement le même couvre-chef que celui adopté par ces ouvriers, comme pour ne pas oublier les humbles voisins de son enfance. Quelles que soient leurs origines, c’est une communauté

“J’aime les chants de révolte joyeux. Je crois en la résistance ludique et dansante, surtout en cette période d’obscuranti­sme et de marchandis­ation des peurs collective­s ”

Kaddour Hadadi

qui parle la même langue, celle de la démerde malgré la galère. Chez les Hadadi, on s’entasse à sept enfants dans la cité HLM, mais on n’en garde pas de mauvais souvenirs. « Ce qui est joyeux dans une famille nombreuse, c’est qu’on passe son temps à se marrer ou à s’engueuler pour un rien, tout en respectant l’opinion de l’autre, entre le couscous et les lasagnes. Aujourd’hui, on nous vend une société formatée dans laquelle les gens devraient forcément se ressembler pour s’entendre », déplore celui qui aime se dire ch’ti méditerran­éen. Ses parents algériens ont quitté leurs montagnes de Kabylie dans les années 1950 pour la France des Trente Glorieuses, qui avait bien besoin de cette main-d’oeuvre étrangère bon marché, autrement nommée l’« immigratio­n de travail ». L’exil n’est pas tabou à la maison. « On écoutait le chaâbi, la musique populaire algérienne, et les poètes kabyles Idir et Matoub Lounès ; mais aussi Piaf et Brassens dans la Renault 20 familiale, quand, l’été, on allait à la mer du Nord sur les plages de la frontière belge. Comme Jacques Brel, que je vénère, ce plat pays est aussi le mien. J’ai deux cultures, que je fais danser dans la même musique », dit-il avec son goût des mots imagés.

Son regard pétille comme celui d’un gosse quand il évoque son père, ce héros. « Il vendait des fruits et légumes sur les marchés. C’est lui, le premier saltimbanq­ue de la famille ! Je le vois encore enfiler son tablier bleu comme un costume, faire son numéro avec sa gouaille en jonglant avec les pommes de terre et les tomates. Les étals, c’était sa scène et c’est lui qui m’a donné l’envie de trouver la mienne dans la musique. »

Un “rêveur réaliste”

À 17 ans, le lycéen monte, avec son acolyte Dias, son premier groupe, Juste Cause, et inverse ses initiales pour devenir HK. Samira El Ayachi, la choriste de la bande, se souvient encore de cette « époque folle et joyeuse », quand Kaddour se prenait la tête pendant des heures derrière son ordi à la recherche du mot juste. « On partageait cette même exigence de l’écriture qui est tout sauf du bavardage ou des paroles en l’air. C’était déjà un jeune homme appliqué, impliqué, convaincu qu’un mot est au service du collectif. Il était pressé, dans une forme d’impatience à participer aux débats citoyens, notamment sur les difficulté­s de la double culture de notre génération. La colère n’a jamais été son moteur, HK est un rêveur réaliste », sourit Samira, qui, depuis, est devenue écrivaine. Le groupe distribue des flyers, fabricatio­n système D, enchaîne les concerts après les cours et trouve son public dans le milieu du rap lillois. « Je craignais la réaction de mon père. Il a vu ma première vidéo, et m’a dit : “C’est bien, mon fils, mais il faut que tu apprennes à sourire.” C’est le seul conseil que j’ai gardé toute ma vie. »

Sourire malgré le chômage dehors, les seringues dans la cage d’escalier, l’ascenseur social toujours en panne pour les mêmes. Dans les années 1980 apparaît la génération Mitterrand. Lui est plutôt de la génération hip-hop. « Je me retrouvais dans les textes de NTM, IAM et Assassin, ils ont inventé un rap conscient qui parlait de notre condition de jeunes des cités, ceux que j’appelle les exclus de l’intérieur. »

Poètes et résistants

En 2005, c’est l’aventure de MAP – comme Ministère des affaires populaires. Son groupe de rap ouvrier navigue entre chaâbi algérien, reggae et bal musette avec les deux albums Debout là d’dans et Les bronzés font du ch’ti. La pirouette du mot avec le sourire toujours, comme dit papa. Car si le jeune homme était plutôt doué en maths, à l’école, ses profs de toujours sont les poètes. Aragon, Baudelaire, Apollinair­e, dont il s’est inspiré du vers « Il est grand temps de rallumer les étoiles » pour son album Rallumeurs d’étoiles. Ces éclaireurs sont les résistants d’hier, à l’instar de son idole Stéphane Hessel – une rencontre « lumineuse » dont est né le titre Sans haine, sans armes et sans violence –, mais aussi et surtout les résistants d’aujourd’hui de Notre-Damedes-Landes, les désobéissa­nts et autres « copains » cégétistes du mouvement ouvrier des Conti. « J’ai abandonné l’idée du grand chambardem­ent ou du grand soir. Je crois en la somme des petites alternativ­es à cinq ou à cent dans nos villes et nos campagnes. Tous ces néoruraux qui vivent un nouveau rapport à la terre, avec les potagers partagés par exemple, c’est de l’écologie concrète, en marge de la société de l’hyperconso­mmation. »

Depuis quelques années, le Roubaisien a quitté son Nord natal avec sa femme instit pour « un p’tit bout de jardin pas trop cher » à Bergerac, en Dordogne. À deux pas de l’école pour récupérer ses deux filles à l’heure de la cantine et manger bio à la casbah. « Je suis en plein trip décroissan­t, comme me dit un copain ! Tout en restant fidèle à mes idéaux d’ado révolté, arrive un moment où tu as besoin d’un coin tranquille pour recharger les batteries et repartir à l’attaque. » Et, bien sûr, ne rien lâcher, surtout pas ses rêves d’un monde plus juste.

“On partageait cette même exigence de l’écriture […]. C’était déjà un jeune homme appliqué,

impliqué, convaincu qu’un mot est au service du collectif ”

Samira El Ayachi, écrivaine et ancienne choriste de Juste Cause

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