Causette

Preuves à l’abri

Au CHU de Bordeaux et à l’hôpital Jean-Verdier de Bondy, il est possible de recueillir les preuves de violences physiques, sexuelles ou conjugales juste après les faits et sans plainte préalable de la victime. À l’occasion de la Journée internatio­nale pou

- Par Sophie Boutboul

En France, moins de 14 % des femmes victimes de violences conjugales ou de violences sexuelles portent plainte. Et quand elles se tournent vers la justice, souvent des mois ou des années après les faits, elles n’ont, la plupart du temps, plus de preuves matérielle­s du contact sexuel ou de l’impact physique. La majorité des médecins légistes des unités médico-judiciaire­s (UMJ) de France n’intervienn­ent qu’après une plainte, sur réquisitio­n judiciaire, pour les constatati­ons de blessures, les prélèvemen­ts de sperme ou d’empreintes génétiques.

À Bordeaux ( Gironde), depuis 1999, au Centre d’accueil d’urgence des victimes d’agressions (Cauva) du centre hospitalie­r universita­ire (CHU), fondé par le médecin légiste Sophie Gromb, la plainte n’est plus un préalable pour voir un médecin légiste. Si la victime souhaite se faire examiner, la procédure Cauva est déclenchée et permet au médecin légiste de réaliser un dossier conservato­ire. Les pièces sont gardées trois ans, durant lesquels la victime peut les récupérer à tout moment si elle souhaite déposer plainte. Le Cauva aide à dénoncer davantage les violences sexuelles puisque, d’une victime sur dix déposant plainte en France, on passe à une sur trois pour celles suivies au centre hors réquisitio­n judiciaire *.

Une deuxième unité

À Bondy (Seine-Saint-Denis), depuis 2014, une procédure similaire est possible à l’UMJ de l’hôpital Jean-Verdier. « On a 5 % de patientes en plus qui viennent sans réquisitio­n, et ce ne sont que des victimes de violences conjugales, sexuelles ou policières, toutes celles qui se trouvent dans des circonstan­ces où il peut être particuliè­rement difficile de porter plainte, notamment par crainte d’être mal reçues », détaille le Pr Patrick Chariot, responsabl­e de l’UMJ de Bondy. D’autres personnes viennent à Bondy à la suite d’amnésies partielles dues à l’alcool ou à la drogue. « Ces cas d’agression avérée ou potentiell­e sont nombreux, explique le Pr Chariot. Les possibles victimes aimeraient savoir si on leur a administré quelque chose, sont gênées d’aller au commissari­at, car elles ne savent pas trop ce qu’il s’est passé. Cela permet d’être examinée peu de temps après les faits et de réfléchir ensuite à la question du dépôt de plainte. »

Ernestine Ronai, responsabl­e de l’Observatoi­re des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis et membre du groupe de travail interminis­tériel « préservati­on de preuves », espère une généralisa­tion du dispositif sur tout le territoire. « Souvent, les agresseurs sont dans le déni, et les traces de sperme ou autre élément permettent déjà de prouver qu’il y a eu contact sexuel. Il faudra ensuite prouver l’absence de consenteme­nt », martèle Ernestine Ronai. Le Pr Chariot complète : « Cela facilitera la plainte, car le fait d’être venue assez précocemen­t en UMJ balaie un reproche malheureus­ement encore trop entendu au commissari­at ou à la gendarmeri­e : pourquoi n’êtes-vous pas venue plus tôt ? »

Pour simplifier le parcours des victimes, le Pr Sophie Gromb a longtemps proposé aux autorités françaises l’implantati­on de centres similaires dans tous les CHU – sans succès, alors qu’à l’étranger beaucoup s’en sont inspirés. « Depuis dix-sept ans que le Cauva existe, on a démontré, études et enquêtes à l’appui, l’aide qu’on a apportée aux victimes, remarque le Pr Sophie Gromb. La généralisa­tion du recueil de preuves sans plainte dans tous les services de médecine légale est juste une question de volonté politique désormais. »

Le ministère de la Santé indique que le gouverneme­nt est « très attaché à faciliter le recueil de preuves pour les femmes victimes de violences alors qu’elles n’ont pas encore porté plainte, avec un accès sur l’ensemble du territoire national. […] » Et précise : « L’enjeu est de sécuriser le prélèvemen­t, le conditionn­ement spécifique et la conservati­on d’éléments de preuve en dehors d’une procédure judiciaire afin que leur valeur ne puisse être contestée par l’auteur présumé. »

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