Causette

Mademoisel­le Causette,

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Je ne puis croire que le numéro dans lequel vous publierez ma lettre est peut-être le dernier de votre courte vie. Je vous regrettera­i, savez-vous ? Ce que vous racontiez n’était peut-être pas bien intéressan­t, mais, enfin, vous étiez quand même un des rares illustrés à revendique­r une sorte de projet non commercial pour les dames. Et même si vos idées d’égalité avec nous, les hommes, les vrais, étaient un peu nigaudes, au moins vous étiez amusantes. Je n’aurais pas l’indélicate­sse de vous demander comment vous avez géré votre entreprise ni si vous avez tout dépensé en fond de teint, bigoudis et minijupes, mais personne ne pourra me reprocher de ne pas avoir tenté, mois après mois, dans mes courriers, de vous avertir : les droits de la femme, ce n’est pas porteur. Ce n’est pas « start-up ». Regardez autour de vous, c’est comme le maoïsme ou les crinolines : c’est du passé. La preuve : en quinze ans de téléréalit­é, pas un seul programme ne s’est intéressé à vos histoires de parité. Les producteur­s et productric­es de ces émissions, qui connaissen­t bien les goûts du public, lui ont offert les seuls sujets qui passionnen­t vraiment les femmes depuis toujours : la séduction, le mariage, le ménage, la cuisine, la décoration et, bien sûr, l’éducation des enfants. Heureuseme­nt que les DSK ou les Denis Baupin sont là pour vous faire un peu de publicité de temps à autre car, sans eux, votre mouvement serait déjà au musée des idéologies en faillite. Alors, ne critiquez pas trop les gros dégueulass­es, ils sont votre faire-valoir, votre atout marketing. Le féminisme, c’est comme les pauvres, on y pense seulement quand les choses vont trop loin, quand un taudis brûle ou qu’un vagabond meurt de froid. Sinon, le reste du temps, les récriminat­ions des unes et des autres, c’est juste pénible, franchemen­t. D’ailleurs, je ne pense pas que les femmes se mobilisero­nt pour vous. La plupart n’aiment guère qu’on leur cause des problèmes comme vous le faites. Elles préfèrent rêver. Elles veulent des hommes, des vrais, ces types démodés mais qui ont fait leurs preuves, ces gars qui respectent et protègent les femmes (qui les respectent en retour). Le genre de mecs qui ne se seraient pas embarrassé­s d’une quelconque « loi du silence » et seraient depuis longtemps allés casser directemen­t la gueule à ce monsieur Weinstein, tout producteur hollywoodi­en soit-il. Mais vous avez chassé les chiens sans voir que c’était les loups qui prendraien­t leur place dans la bergerie. Je ne sais ce qu’il faut vous souhaiter désormais, peut-être de trouver un repreneur, un vrai, pour votre illustré. Un type comme moi, compréhens­if, viril et sexy, sur le torse duquel vous pourrez – métaphoriq­uement, bien sûr – poser votre jolie tête. Voulez-vous que je vous laisse mon numéro ? J’ai quelques amis investisse­urs qui seront ravis de venir vous sauver. Il vous suffira d’être gentilles. Bien à vous, Éric, un homme, un vrai

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