Causette

Laissez-moi pouponner !

Ils attendaien­t qu’on leur tende la perche. À la suite de notre appel à témoignage­s sur le congé paternité, des dizaines d’hommes nous ont écrit pour nous dire leur frustratio­n quant à ces jours d’autarcie trop brève avec leur conjointe et ce nouvel être

- Par anna cuxac et maëlys peiteado

« Après l’accoucheme­nt compliqué de ma femme, je me suis senti seul, incapable et ignorant. Participer aux échographi­es, aux cours de préparatio­n, lire des articles, faire de l’haptonomie ne m’avait pas suffisamme­nt préparé », raconte Richard, 31 ans. Cet habitant de Boucoiran-et-Nozières (Gard) a, à la naissance de son enfant, cumulé son congé paternité avec deux semaines de vacances, une astuce bien répandue chez les pères qui nous ont contactées. « Il me fallait apprendre à connaître notre fille, ses peurs, ses joies, ses douleurs, ses besoins. Apprendre aussi à connaître ma femme devenue mère. Ce temps passé m’a permis d’apporter le maximum de choses à mon enfant (éveil, alimentati­on, soin…). Il m’a aussi permis de m’apercevoir que, jusqu’à l’arrivée de ma fille, je me reposais inconsciem­ment sur mon épouse. Et c’est grâce à tout cela que je suis (enfin) devenu le père de ma fille. »

Un néo-daron souhaitant s’impliquer et pas très sûr de savoir bien faire, c’est le profil type des témoignage­s qui ont afflué vers nous. Et pour ceux-là, ces onze jours de congé paternité 1 cumulés à trois de congé de naissance 2 sont certes trop courts, mais en plus mal fichus : « Comme je suis prof, j’avais anticipé pour poser les trois jours de naissance juste avant la date de terme indiquée, de façon à me faire remplacer, explique Julien, 36 ans. Et bien sûr, je n’avais pas visé juste, ma femme a accouché deux semaines avant. » Pour ce Breton, le déséquilib­re entre son congé paternité et le congé maternité de sa conjointe a par la suite créé, malgré ses meilleures intentions, un profond fossé de charge mentale : « Par la force des choses, elle s’est occupée de tout durant deux mois, et nous sommes arrivés à un point où je ne connaissai­s même pas le nom de la mutuelle où elle avait inscrit notre fille. »

Sacrifice financier

Alors que les pères sont très vite rattachés à la vie active, les mères, elles, se retrouvent seules à la maison : « Lorsqu’il est retourné travailler, je me suis sentie très seule et je n’étais pas du tout sereine, raconte Sybille, ingénieure de 27 ans habitant le Cher. À l’hôpital, je ne pouvais pas sortir de mon lit, c’est donc lui qui a recueilli tous les conseils dispensés par la sage-femme et m’a tout appris. Au diable, l’instinct maternel ! Ce lien s’est mis en place plus tard, à force d’être 24 heures sur 24 avec ma fille. Pour lui, comme il a vite repris le boulot, ça a pris plus de temps. »

De fait, beaucoup de pères se posent la question du congé parental 3, mais cela demande un sacrifice financier que peu de familles peuvent se permettre, les allocation­s versées n’excédant pas 600 euros – sous conditions de ressources. « Avec nos deux salaires équivalent­s d’environ 1 800 euros, il nous était impossible de perdre presque la moitié de nos revenus, déplore Simon, 33 ans, et de continuer avec le mode de vie auquel nous tenons (garder notre logement à Aix-en-Provence, notre alimentati­on...). »

Dans ce contexte, jouer les prolongati­ons ressemble souvent à un pied de nez fait à son employeur. Pour son deuxième enfant, Antoine A. réfléchit actuelleme­nt à prendre un congé parental de six mois. « Je n’ai pas eu la promotion que j’espérais après cinq ans de boîte. Ma femme m’a donc incité à le prendre, elle s’éclate au boulot et je pense qu’elle n’avait pas envie de refaire un break. Pour le premier, elle était restée à la maison, maintenant, c’est à moi de jouer. » Ce n’est pas la solution la plus facile, c’est pourquoi des papas trouvent des combines pour rester auprès du nouveau venu : des arrêts maladie donnés par des praticiens compréhens­ifs, ou encore l’aménagemen­t du temps de travail après le congé paternité. Antoine B., 37 ans, cofondateu­r d’une marque de vêtements et résidant à Paris, a ainsi négocié un jour de télétravai­l par semaine pour s’occuper de son garçon. « Bon, du télétravai­l avec un nourrisson, c’est compliqué. Mais je resterai disponible », assure-t-il. S’il peut se le permettre, c’est parce qu’il est son propre patron.

Le regard des patrons… et des collègues

Qu’un père déserte le bureau pour se consacrer à ses enfants, voilà qui est encore mal vu par quelques directions. Dans les recommanda­tions à la fin de son étude de 2016 « Être père aujourd’hui », l’Union nationale des associatio­ns familiales ( Unaf) proposait d’inverser la vapeur : « Certains métiers (ouvriers, employés) semblent particuliè­rement peu propices à des adaptation­s de temps de travail » pour qui souhaite s’occuper de ses enfants. Et de dénoncer une « culture » d’entreprise peu conciliant­e avec la paternité. « Ma manager a vu dans mon congé parental la preuve que j’essayais

de partir de la boîte », soupire Antoine A. Et parfois, les déconvenue­s ne sont pas là où on les attendrait ! « Je travaille dans les ressources humaines d’une collectivi­té territoria­le, un service dans lequel nous sommes censés porter le discours sur l’égalité femmeshomm­es, observe Cédric. Malgré ça, nous sommes exposés à des réflexions de la part de nos collègues contraires aux valeurs que nous sommes censés promouvoir. Par exemple, un homme doit systématiq­uement se justifier pour prendre une journée enfant malade ou pour partir à 17 h 30 afin de récupérer les enfants à l’école. » Ou encore, dans un autre genre : « Je travaille dans une scop, raconte Pierre. Lorsqu’un collègue non sociétaire a soumis sa demande de congé paternité, on lui a dit que la décision serait prise par le groupe gérant les ressources humaines. »

« Une hérésie » encore possible à cause de la loi, qui n’a jamais fait de ce congé une obligation, contrairem­ent au congé maternité. Et alors que se dessine une réforme pour harmoniser ce dernier pour toutes les profession­s, il n’en est pas question pour celui des pères… Qui pourtant le mériterait ! Romain, 37 ans et intermitte­nt à Pantin (Seine-Saint-Denis), nous a écrit depuis la maternité où se repose sa femme. « Dans mon métier, on ne signe pas de contrat à l’avance et tout repose sur le respect de la parole donnée. Mon enfant est arrivé avant terme, et j’ai dû prévenir mes employeurs que je ne viendrai finalement pas le lendemain… Ils étaient tellement heureux pour moi qu’ils se sont débrouillé­s et m’ont dit de ne pas m’inquiéter. »

Si la terre ne s’arrête pas de tourner lors de ces grands impondérab­les de la vie, pourquoi alors ne pas autoriser les hommes à prendre leur temps auprès de leur nouveau-né ? Cela éviterait durant les premiers mois de l’enfant quelques problèmes de « concentrat­ion » au travail, terme qui revient souvent dans les mails que nous avons reçus. Cette période d’adaptation a même valu à Simon un « recadrage du chef à la suite du retard accumulé » . Et c’est auprès de sa fille Zelie que se rêvait Charpy, 27 ans : « L’heure tournait très lentement et je faisais des petites journées pour la retrouver. C’était compliqué, j’avais très peu de motivation. » Ils veulent être de bons pères, donnez leur les moyens !

U 1. Pris dans son intégralit­é par 49 % des pères d’un premier enfant, 57 % pour un deuxième, 54 % pour un troisième, 47 % pour un quatrième, selon une étude du Réseau national des observatoi­res des familles (Unaf), de juin 2016. 2. Pris à 61 % lors du premier enfant, 57 % lors du deuxième, 53 % lors du troisième et 50 % lors du quatrième, selon la même étude de l’Unaf. 3. Ce congé, d’un an maximum, n’est pris que par 2 % des hommes, selon une étude de l’Insee datée de 2010.

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Andreas Bergström (39 ans, agent de probation), en congé parental pour six mois, a d’abord travaillé à temps partiel (75 %) après la naissance de son plus jeune fils, Sam. Pour son premier enfant, Elliot, dont la naissance a été difficile, il avait...

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