Ya plus qu’à !
La France ne propose aux pères que onze jours de congé postnatal, week-end compris. Optionnels, ils ne sont pris que par sept pères sur dix. La bonne blague. Nous méritons beaucoup mieux. Causette vous donne tous les arguments pour faire avancer le Schmil
Au commencement, il y a les « nouveaux pères ». Enfin, pas si nouveaux que ça, l’expression date des années 1970... Bref, des papas qui pouponnent, biberonnent, s’investissent auprès de leur progéniture plutôt que d’incarner le bon vieux chef de famille rigide comme un ski et absent. Des pères qui, à en croire les multiples études sur le sujet sont de plus en plus nombreux à penser qu’avoir un enfant est nécessaire à leur épanouissement et aspirent à une vie plus équilibrée entre boulot, dodo et doudou. Des paternels qui veulent être là. Eh bien, ça tombe bien : nous n’attendons que ça. Parce qu’à ce stade, comme le dit si bien l’économiste Alexandre Delaigue : « La fête des pères, c’est toute l’année. » En d’autres termes, si l’enfant moderne reçoit potentiellement une double dose de câlins le soir venu, le reste du temps, le « travail » parental n’est absolument pas paritaire. À défaut d’un temps des pères correctement aménagé et encouragé tant par le politique que par les entreprises, la petite enfance reste essentiellement le temps des mères. Quelques chiffres suffisent à brosser le tableau : les femmes réalisent 71 % du travail domestique et 65 % du travail familial, selon l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Cet investissement les conduit à ajuster leur vie professionnelle en réduisant leur temps de travail ou en interrompant leur carrière. Elles ont, entre 30 et 54 ans, neuf fois plus de chances d’être à temps partiel. Leurs carrières sont tout bonnement plus chaotiques que celles des hommes. Qu’elles soient mères ou non, d’ailleurs, car leur statut de « mère potentielle » crée chez les employeurs une suspicion de moindre attachement à leur emploi. Jugées moins fiables, elles sont donc moins soutenues.
Qu’on s’entende bien : le temps de chacune avec son enfant est précieux, là n’est pas la question. Mais chaque femme devrait être libre de revoir son rapport au temps de travail à l’aune d’une naissance, et non de subir un temps partiel ou une interruption de carrière, faute d’aide, faute de moyens. On en est loin. C’est d’autant plus rageant que les solutions pour y remédier existent. Comme l’explique Hélène Périvier, économiste à l’OFCE : « Depuis quinze ans, l’effort budgétaire a porté sur le développement des modes d’accueil de la petite enfance, ce qui a permis de soutenir le travail des mères de jeunes enfants, mais cela n’a pas encouragé les pères à consacrer plus de temps
aux tâches familiales […]. Un congé paternité obligatoire et plus long rééquilibrerait entre les deux parents l’impact d’une naissance sur la carrière. Associé à l’expansion des structures d’accueil de la petite enfance, il orienterait les politiques familiales vers l’objectif d’égalité. » On répète pour ceux du fond : un véritable congé du père, obligatoire, correctement indemnisé, permettrait bel et bien de tendre vers l’égalité femmes-hommes.
Quinze jours au minimum
Et si jamais cet argument ne suscite aucune réaction dans votre entourage, en voici deux autres susceptibles de faire bouger les lignes. 1) Un vrai congé pat’ à la naissance serait bénéfique pour les pères, puisque, comme le résume Brigitte Grésy, experte de l’égalité professionnelle, « plus la paternité est précoce, plus les pères s’engagent dans une paternité active ensuite » . À noter que ce congé initial doit être supérieur à quinze jours, sans quoi « c’est insuffisant pour créer un lien entre le père et l’enfant », souligne Arina Pailhé, chercheuse à l’Institut national d’études démographiques (Ined). 2) Quantités d’études indiquent que ce temps paternel précoce serait excellent pour le développement de l’enfant. Le petit Lulu qui aura eu son père à ses côtés après sa naissance a des chances d’avoir de meilleurs résultats scolaires. Toutes ces bonnes nouvelles nous viennent de pays où il existe déjà des congés parentaux individualisés, bien indemnisés et pas ridiculement courts. Par exemple, d’Islande, où le système a été entièrement révisé en 2000 pour mettre en place un « congé de naissance » de neuf mois : trois pour la mère, trois pour le père et trois que la famille répartit à sa guise ; le tout indemnisé à 80 % du salaire (plafonné tout de même !). De Norvège, où le congé parental est d’environ un an, dont dix semaines réservées à la mère, dix au père, et le reste à partager de façon flexible, le tout avec un salaire intégralement maintenu. Ou encore du Portugal, qui dispose depuis peu d’un congé paternité de vingt jours, dont dix à prendre obligatoirement pendant le premier mois suivant la naissance et où les mères peuvent transférer une portion de leur congé au père.
Alors à quand une réforme en France ? Le gouvernement Philippe a pour projet, dans le cadre de sa réforme du Code du travail, de créer un « congé maternité unique » censé gommer les différences entre statuts et secteurs d’activité, mais il n’a pas mentionné le congé paternité qui reste donc à ce stade un non-sujet ! « C’est avant tout une affaire de choix politique, insiste Olivier Thévenon, chercheur à l’Ined. Toute réforme du congé du père aura un coût, il faut l’accepter. Mais le bilan financier ne sera pas forcément négatif. La branche famille de la Sécurité sociale – en charge de l’indemnisation des congés maternité et paternité – est presque à l’équilibre, elle pourrait donc l’assumer. Et il faudrait évaluer les rentrées fiscales générées par le retour de mères sur le marché de l’emploi. » Hélène Périvier, de l’OFCE, a même évalué le coût supplémentaire qu’aurait pour la Sécu un congé de onze jours rendu obligatoire, un congé paternité doublé à vingt-deux jours et – le Graal – un congé paternité de six semaines La documentation existe, elle est solide. À bon entendeur…
Dialogue social
Pour parfaire le tableau, il est enfin nécessaire que les entreprises y mettent du leur. « Le management doit intégrer la paternité. Cela signifie que les dirigeants donnent l’exemple en prenant leur congé paternité et incitent leurs salariés à en faire de même. Ce sujet doit faire partie du dialogue social en entreprise », note Olivier Thévenon. Reste à faire entrer la paternité dans l’entreprise, lieu où le sujet est si souvent inexistant… Cela induit de sortir du mythe du salarié performant car toujours présent. Être parent, surtout au début, eh bien ça signifie être moins là, travailler différemment ! Et ça a du bon ! Pères et futurs pères qui nous lisez : vous l’aurez compris, on a très envie de vous aider. Désormais, il vous appartient de vous emparer du sujet.
U 1. On peut citer l’étude réalisée par l’Union nationale des associations familiales et Ipsos en septembre 2013 « Ce que veulent les pères », ou encore « Être père aujourd’hui » publié en juin 2016 par le Réseau national des observatoires des familles (Unaf). 2. Lire l’article « Et si on créait un vrai congé de paternité ? » sur Libe.fr, le 18 juin 2012. 3. « Réduire les inégalités professionnelles en réformant le congé paternité », rapport d’Hélène Périvier, de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), janvier 2017. Cet organisme indépendant d’évaluation des politiques publiques a développé conjointement avec Sciences Po, depuis 2010, le programme de recherche et d’enseignement des savoirs sur le genre, Presage.