UNE ANNEE DE RESISTANCE FEMINISTE
L’élection d’un président ouvertement sexiste a relancé la lutte pour les droits des femmes. Portraits de quatre cheffes de file.
C’est peut-être la seule bonne nouvelle de la présidence Trump. Depuis la victoire du candidat le plus sexiste à la présidentielle, les féministes américaines n’ont jamais été aussi mobilisées. Dès son investiture, en janvier, elles étaient plusieurs millions à défiler à travers le pays pour la Women’s March (la Marche des femmes). Depuis, de Washington à Los Angeles, elles continuent le combat pour défendre le droit à l’avortement, l’égalité salariale, la fin des violences domestiques... Portraits de quatre figures de cette vague américaine.
Gloria Steinem, l’icône historique
Journaliste et militante, Gloria Steinem a été l’une des premières Américaines, dans les années 1960, à s’élever pour réclamer le droit à disposer librement de son corps. Aujourd’hui, à 83 ans, elle retrouve une seconde jeunesse. « Rien ne sera plus jamais comme avant. Je l’ai compris quand j’ai vu des milliers de personnes débouler à l’aéroport pour protester contre le muslim ban * que la Maison-Blanche venait d’annoncer. Elles s’étaient mobilisées spontanément, en seulement quelques heures. » Depuis New York, où elle habite, la figure historique du mouvement féministe a consacré son année à dénoncer les mesures réacs de l’administration Trump et à soutenir les nouvelles générations d’activistes. « Sur Internet et dans la rue, la résistance ne faiblit pas. Quand votre président ne représente pas la majorité du pays et s’avère complètement incompétent, vous ne pouvez pas rester chez vous comme si de rien n’était ! » Lors de la Women’s March, Gloria Steinem a tenu devant près de 500 000 personnes l’un des discours les plus poignants de la manifestation, aux accents prophétiques. « Un système qui se fonde sur le racisme installe toujours du sexisme, explique-t-elle à Causette. C’est de cette manière qu’il espère survivre, en évitant tout mélange de classe et de race. Je le répète : il faut lutter conjointement contre les deux. »
Maxine Waters, la démocrate cash
Elle est la chouchoute des réseaux sociaux, et pour cause. Fin juillet, en pleine commission parlementaire, la représentante démocrate de Californie a inventé le cri de ralliement des féministes américaines. Face au secrétaire au Trésor, Steven Mnuchin, qui esquivait ses questions sur les liens de Trump avec la Russie, Maxine Waters a martelé sur un ton monocorde qu’elle « réclamait
son temps de parole ». Depuis, la séquence est devenue culte et le slogan « Reclaiming my time » a été adopté par les féministes pour signifier leur lassitude d’être toujours réduites au silence.
Mais le travail de la parlementaire dépasse largement sa légendaire témérité. A 78 ans, tatie Maxine, comme la surnomment ses supporteurs, est la femme noire ayant été le plus de fois élue à la Chambre des représentants. Réputée pour sa connaissance des institutions, elle ne manque jamais une occasion de pousser les jeunes femmes à s’engager en politique (les hommes représentent encore 80 % du Congrès), tout en poursuivant depuis l’an passé un seul objectif : lancer une procédure de destitution contre le président pour ses liens troubles avec le Kremlin.
Samantha Bee, la flingueuse du petit écran
Samantha Bee n’a pas attendu Donald Trump pour se découvrir féministe. Dans le Daily Show de Jon Stewart (sur la chaîne Comedy Central), où elle est apparue dès 2003, la comédienne américano-canadienne profitait de ses interventions pour plaindre ces pauvres hommes qui doivent renoncer à leurs privilèges ou applaudir l’incroyable modernité des politiques antiavortement avancées par le Parti républicain. Aujourd’hui, Samantha Bee anime Full Frontal, son propre late-show, sur la chaîne TBS, et elle fut la première femme à avoir cette chance aux États-Unis. Le ton n’a pas changé. Harcèlement sexuel, inégalité salariale, droits des personnes LGBTQ... rien n’échappe à son humour très noir et à son besoin toujours plus grand de s’engager. En juillet, en référence à la fameuse sortie sexiste de Donald Trump contre Hillary Clinton, elle a soutenu une ligne de tee-shirts fièrement siglés « Nasty Women ». Résultat : 1 million de dollars récoltés, sitôt reversés au planning familial. Le magazine Time ne s’y est pas trompé : il vient de distinguer Samantha Bee comme l’une des cent personnes les plus influentes au monde.
Rebecca Solnit, l’intello visionnaire
L’auteure et essayiste américaine Rebecca Solnit est à l’origine du concept de mansplaining, cette charmante manie qu’ont les hommes d’expliquer la vie aux femmes. Elle l’a développé, dès 2008, dans Men Explain Things to Me, un recueil d’anecdotes personnelles cinglantes. Dans l’Amérique de Donald Trump, elle est devenue la voix intello de la résistance grâce à un autre livre, écrit en 2004 sous Bush et redécouvert il y a pile un an : Hope in the Dark (l’espoir dans les ténèbres) : Untold Histories, Wild Possibilities. À mi-chemin entre l’essai historique et le guide pratique, l’ouvrage se veut un concentré d’optimisme pour les progressistes et un appel à l’action. « Mon job consiste à rappeler aux gens que nous avons du pouvoir », affirmait-elle. Mis en ligne gratuitement au lendemain de la victoire de Donald Trump, le texte a été téléchargé des dizaines de milliers de fois en quelques heures et est devenu une sorte de bible pour tous les militants. De quoi inciter Rebecca Solnit, plutôt habituée à la discrétion, à prendre toujours plus la parole dans les médias, pour tenter de comprendre le phénomène Trump. À chaque fois, ses lumineuses analyses mêlent histoire, art et politique.
* Décret anti-immigration concernant les ressortissants de sept pays mulsumans.
“Un système qui se fonde sur le racisme installe toujours du sexisme. Il faut lutter contre
les deux ”
Gloria Steinem