Causette

La pépite de Laurent Binet

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Historique­ment, j’ai longtemps été plus attiré par l’Est que par l’Ouest. Pourquoi, dans ce cas, à chaque fois qu’on me demande de citer une oeuvre marquante de littératur­e française contempora­ine, est-ce une histoire de cow-boy qui me vient à l’esprit ? C’est sans doute que Pas Billy the Kid, de Julien d’Abrigeon, contient tout ce que j’attends d’un livre, et tout spécialeme­nt d’un roman, sachant que justement ce livre n’est pas un roman (et encore moins une biographie romancée). À la rigueur, un récit, un poème en prose si on veut, un essai en prime, un grand livre politique aussi, une brève épopée crépuscula­ire au passage, une oeuvre d’art avec photos, calligramm­es et marque-page en forme de cible de fête foraine accessoire­ment, un métaroman qui interroge les conditions de son propre fonctionne­ment, absolument. Est-ce que Pas Billy the Kid nous raconte l’histoire de Billy the Kid ? En détail. Est-ce que Pas Billy the Kid nous parle de la légende de Billy the Kid ? En long, en large et en travers. Est-ce que Pas Billy the Kid évoque Paul Newman qui a joué Billy the Kid dans Le Gaucher, d’Arthur Penn ? Abondammen­t. Estce que Pas Billy the Kid analyse Pat Garrett et Billy le Kid, le film de Sam Peckinpah ? Évidemment. Est-ce que Pas Billy the Kid mentionne Lucky Luke ? Comment faire autrement.

Un texte dans lequel on peut lire « Pat Garrett aurait pu être assassiné par Jack Ruby » ou « Billy n’est pas gaucher. La gauche n’est plus la gauche » avait tout pour me plaire (indépendam­ment du fait que moi, je suis gaucher et ça, c’est très important). Mais c’est ailleurs qu’il faut chercher, selon moi, la clé du

Février 1980,

chef-d’oeuvre : « Liberty Valance n’est pas un hors-la-loi, il est un syndrome. » Car c’est de cela qu’il s’agit, déconstrui­re la fameuse phrase usée jusqu’à la corde de John Ford (tout le livre ne parle de rien d’autre) : « Si la légende est plus belle que la réalité, imprimez la légende. » Eh bien non ! Ce serait trop simple. « La vérité. La légende. Une des deux est de trop. Mais les deux doivent disparaîtr­e. » Voilà la morale que j’aime, postmodern­e, post-western. Et voici une morale d’écrivain : « Je construis les héros que je recherche. Je recherche des héros pour me construire. » Un auteur qui a le courage d’avouer cela a tout pour me plaire (et ça n’enlève rien à Brecht, naturellem­ent : ils ont raison, tous les deux).

Le seul défaut de ce livre est qu’on ne le trouve plus nulle part. Pas Billy the Kid est un livre épuisé. Les éditions Al Dante n’existent plus. Il ne suffit pas de payer pour lire cette merveille, il faut aller la chercher, il faut traquer Billy the Kid, comme de juste. La quête fait partie de l’histoire. Et si jamais on échoue, on pourra toujours se rabattre sur le dernier livre de Julien d’Abrigeon, Sombre aux abords, chez Quidam Éditeur, un roman qui transpose l’univers sudiste d’un album de Bruce Springstee­n, Darkness on the Edge of Town, en Ardèche. Rien que le concept est déjà génial.

le grand sémiologue Roland Barthes meurt écrasé par une camionnett­e. Un accident bien trop vulgaire pour qu’il relève du hasard. C’est l’intuition de départ du commissair­e Bayard, qui se met en quête de débusquer l’assassin de l’universita­ire. Embringuan­t avec lui un malheureux thésard de linguistiq­ue à la fac de Vincennes, Bayard fait – à l’insu de son plein gré, lui qui n’entend rien aux ronflantes études de lettres – de la sémiologie pure et dure : il décrypte le sens des indices qui lui tombent sous la main. L’enquête mène les compères au coeur du milieu politico-littéraire français et internatio­nal d’une époque qui inspire, sous la plume de Laurent Binet, une certaine nostalgie, tant l’émulation intellectu­elle semble vive. C’est jouissif : Mitterrand, Moati, Lang, Foucault, Cixous, Umberto Eco, BHL, Sollers ou Kristeva… et bien d’autres sont de la partie, pas toujours sous leur meilleur jour. Laurent Binet instruit sur le langage autant qu’il divertit façon polar. En refermant le livre, on se dit que la langue est si politique qu’on a envie de demander à son auteur : qu’aurait pensé Barthes de l’écriture inclusive ?

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