Pablo Mira : l’obsessionnel du rire
Le codirecteur du Gorafi, Pablo Mira, ne plaisante pas avec l’humour. Il le décline méthodiquement à la télé, à la radio, en podcast et maintenant sur scène. Et ça marche, comme une bonne vanne.
Ce portrait aurait pu compiler des vannes délivrées par l’interviewé. En vrai, il commence le plus sérieusement du monde par un tête-à-tête matinal dans un café. « Ne sois pas en retard, il déteste ça », avait prévenu quelqu’un qui le connaît bien. Pablo Mira arrive avec sa ponctualité et sa voix des phrases sérieuses. « Je suis fatigué, pas de vanne ce matin. » Spoiler : il a tenu cinq minutes. Sur son obsession de la ponctualité, il (se) lâche : « J’ai l’habitude d’être à la minute près à cause du direct à la radio. Je suis un peu nazi, mais ça a ses vertus. » Quand une blague lui échappe, son visage le trahit : un sourire s’étire au coin de ses lèvres et une étincelle s’allume dans ses yeux. Un quart de seconde plus tard, son sérieux est revenu.
Pablo Mira a 32 ans et un CV d’humoriste long comme un jour sans blague. Codirecteur du Gorafi, chroniqueur sur France Inter, animateur du podcast Sérieusement ?! sur Deezer et à l’affiche d’un stand-up à Paris depuis décembre, il décline son humour d’un support à l’autre avec succès. « Si on se fie aux témoignages de ceux qui m’ont vu grandir, j’ai commencé à faire rire les gens vers 3 ans. » À la maison, en banlieue parisienne, on se marre. Le père – commercial en outillage de plomberie – déconne ; la mère – chargée des litiges dans une caisse de prévoyance retraite – taquine ; le petit frère a le sens de la vanne. « J’ai eu un déclic vers 14 ans en traînant avec un groupe de collégiens très fort en vannes. C’est de là que le plaisir est venu. » Il s’amuse, mais redouble sa troisième. En terminale, il quitte le lycée pour l’armée, sert dix mois comme parachutiste avant de passer son bac en candidat libre et d’intégrer une école de journalisme. « C’est là que l’idée m’a effleuré de faire du rire mon métier. »
Il écourte sa carrière de journaliste radio pour un truc plus rigolo : Le Gorafi. Longtemps, son visage est resté inconnu du grand public. Pablo oeuvrait dans l’ombre de ce site d’information parodique et satirique né en 2012. Puis il est apparu en 2014 sur le plateau du Grand Journal de Canal+, avec son costume-cravate… et ses tongs. Sa marque de fabrique. Demandez à n’importe qui de vous raconter sa première rencontre avec Pablo Mira, neuf fois sur dix, on vous répondra : « Il est arrivé en tongs. »
Sébastien Liébus se souvient. « J’ai lancé Le Gorafi en février 2012. En septembre, Pablo m’envoie son CV et trois articles, dont deux où il n’y avait pas une virgule à changer. Il avait exactement compris l’humour du site. La première fois que je l’ai vu arriver, il avait des tongs et un panama. À un autre, on jetterait des cailloux. Mais lui, ça lui va bien. » Pendant deux ans, Sébastien et Pablo ont coécrit deux à trois articles par jour en réaction à l’actualité. « Ça vous formate de trouver autant de vannes. Celles du Gorafi sont très travaillées en amont. Moi, je ne suis pas quelqu’un de drôle, alors que Pablo a une repartie naturelle. »
L’humoriste affirme le contraire : « L’humour, ça s’apprend et ça se travaille, comme n’importe quelle compétence culturelle. » Sur son téléphone, Pablo Mira dégaine l’un de ses « documents de la névrose », comme il dit, la gorafithèque, dans lequel il recense inlassablement des centaines de titres d’articles satiriques. Ceux du Gorafi, mais aussi
“L’humour, ça s’apprend et ça se travaille, comme n’importe quelle compétence culturelle ”
ceux de The Onion, aux États-Unis, ou d’El Mundo Today, en Espagne. « Quand un auteur fait un super titre, j’analyse la mécanique derrière pour comprendre pourquoi il me fait rire. » Il travaille ainsi depuis ses débuts dans l’humour, il y a dix ans. Il décortique, dissèque et répertorie minutieusement les techniques utilisées. Il compile le tout dans des classeurs, rangés dans sa bibliothèque à côté de livres qui théorisent l’humour. Ses goûts en la matière ? « Les Guignols, Groland à la grande époque, Élie Semoun pour le jeu, un peu de Franck Dubosc, South Park pour la satire, George Carlin pour la scène, Stephen Colbert pour son approche de la télévision très théâtrale et The Office du côté des séries. »
Depuis 2012, Le Gorafi a grandi, jusqu’à faire travailler aujourd’hui une dizaine d’auteurs. Le site, devenu rentable au bout de deux ans, se porte bien : un million de visiteurs par mois, un chiffre d’affaires à 150 000 euros en 2016, plus d’un million de fans sur Facebook et autant sur Twitter. L’humour Gorafi a été décliné en livres, magazines, vidéos, applications, jeu en ligne et version féminine avec Madame Gorafi.
(Faux) éditorialiste enflammé
Pablo Mira participe à la conférence de rédaction hebdomadaire, mais n’écrit plus. « Le Gorafi pour moi, aujourd’hui, c’est une aventure entrepreneuriale », assure Pablo. « On a partagé le bébé : moi le rédactionnel, lui le développement des partenariats, explique Sébastien Liébus entre deux blagues. Le Gorafi a été un tremplin pour Pablo : il a appris la rigueur, l’écriture, à choisir ses sujets, à trouver son style. »
Après avoir incarné un (faux) présentateur d’information en continu le temps d’une saison au Grand Journal, Pablo Mira a
exporté son style à France Inter. Il débarque (en costard-tongs, évidemment) en 2016 dans l’émission de Charline Vanhoenacker Si tu écoutes, j’annule tout, devenue Par Jupiter !. Chaque mercredi, il campe « un éditorialiste de droite, réactionnaire, conservateur et cynique », comme il le décrit lui-même. Lui, dans la vraie vie, a voté Mélenchon jusqu’en 2009, mais ne vote plus. Dans sa chronique, il s’enflamme sur un sujet d’actualité : le blocage des universités, la grève à la SNCF, la souffrance au travail… Pour Charline Vanhoenacker, son personnage est « un clin d’oeil au chroniqueur de RMC et de Valeurs actuelles, Éric Brunet. » En plus drôle.
Charline Vanhoenacker ne tarit pas d’éloges au sujet de Pablo. « Il a un humour extrêmement précis. Il est méticuleux, capable de mettre des croix dans son texte là où on a ri en studio. Il a une approche très scientifique de l’humour. Ça laisse moins de chance à l’impro, mais ça n’empêche pas une certaine folie. » Comme ce jour où, se sachant filmé, il déboutonne sa chemise en pleine chronique et dévoile son torse entièrement épilé à l’exception d’un coeur de poils. Ou comme ce passage dans son spectacle où il avale un steak haché cru en parlant de son addiction à la nourriture.
Intransigeant tendance psychorigide
À France Inter, Charline Vanhoenacker n’impose aucune règle sur le choix des sujets : « Je découvre mon lancement et mes relances dix minutes avant l’antenne, et sa chronique en même temps que les auditeurs. Les rires de l’équipe en studio sont sincères ! » Au micro, Pablo Mira cultive l’art du comique de répétition. « Quand on pousse le running gag à l’extrême, ça devient un défi de réinventer la vanne d’une semaine à l’autre. Mes deux préférés restent les “ragnoutes” et Gérard Larcher », admet Charline. On vous laisse écouter le replay pour comprendre les références…
Chaque semaine, Pablo Mira captive un auditeur plus attentif que les autres en la personne de son ami Yassine Belattar. L’humoriste qui officie, lui, sur Nova, l’a découvert sur France Inter. S’ensuivent un véritable « coup de foudre amical » et « une vraie fraternité » . « On est peu d’humoristes à parler de l’actualité, commente Yassine Belattar. Je regarde souvent comment il traite une actu pour savoir ce que je vais en faire. Chacune de ses blagues est extrêmement travaillée et j’aime les gens qui estiment l’humour. Quand on est ensemble, on a l’impression de deux ingénieurs qui parlent de la fabrication d’une fusée, mais en fait, on parle de blagues. »
La plupart de ses sketches, Pablo Mira les coécrit depuis plusieurs années avec Morgan Riester, auteur et scénariste passé par l’équipe de Dominique Farrugia, celle de Nagui à Europe 1 et de la fiction pour TF1. Le binôme fonctionne avec la rigueur d’un métronome. Écriture chacun de son côté – la nuit pour Morgan, le jour pour Pablo –, mise en commun et sélection du meilleur. « On fait un ristretto de vannes, plaisante (à moitié) Morgan Riester. Pablo demande beaucoup de matière et donc beaucoup d’efforts. Je me mets à son service dans l’écriture, comme si j’étais son second, son commis. »
Aux heures d’écriture s’ajoutent les heures à suivre l’actu. « C’est ma matière principale, mais j’en bouffe trop, c’est pas sain psychologiquement » , reconnaît Pablo Mira. Il malaxe cette matière dans Sérieusement ?! – « le podcast d’actu avec des blagues dedans » –, un talk-show politique qu’il anime entouré d’invités. Encore une autre de ses activités où il se marre bien. Si l’on fait abstraction du travail colossal fourni derrière.
David Castello-Lopes, un autre ami et coauteur, l’a vu évoluer depuis l’époque Gorafi, avec une constante : la rigueur. « Pablo a une sorte d’intransigeance qui peut confiner à une forme de psychorigidité. Il décortique ses héros de l’humour de façon maladive, il va très loin dans l’analyse des auteurs qu’il aime. » Sa copine confirme tout : la vingtaine de paires de tongs, comme son côté « nazi sur les bords » . « Il est capable de retranscrire l’intégralité d’un spectacle avec un chronomètre pour mesurer les vannes à la seconde près. » Vivre avec un humoriste ne fait pas forcément rire tous les jours. « Sur des sujets sérieux, il est parfois dur de savoir où commence et où s’arrête le second degré », ajoute sa compagne.
“Le cap de la scène”
Depuis décembre, Pablo Mira a investi la scène du Sentier des Halles, à Paris, pour son premier spectacle, sobrement intitulé Pablo Mira dit des choses contre de l’argent. Pas de tongs, cette fois, seulement le costume-cravate. Et une heure de cynisme pointu et pertinent. « Ça faisait dix ans que je voulais faire un spectacle, je suis heureux d’avoir passé le cap de la scène », confie l’humoriste. Il y décline le personnage de l’éditorialiste réac, mais abandonne parfois l’ironie pour maltraiter les choses qui lui tiennent à coeur : le sexisme, la haine sur Internet, la pauvreté.
« J’ai de la chance, c’est le public d’Inter qui vient me voir, des gens qui aiment déjà ce que je fais. » À l’entrée de la petite salle de cent places, Pablo Mira accueille les spectateurs en serrant la main de chacun. Un pied dans sa vraie personnalité et déjà un pied dans son personnage. « Je termine également le spectacle de manière informelle : sans me faire applaudir. Je ne crois pas que ça soit bon pour l’ego. » Entre les deux, chaque vanne fait mouche. Le texte est ciselé, le débit parfait.
En juillet, il jouera dans le « off » du Festival d’Avignon, avant de démarcher une salle parisienne plus grande à la rentrée. Dans un coin, Pablo Mira réfléchit aussi à des projets pour la télévision. Quand il ne fait pas de vannes, il danse le tango et le flamenco, part en Thaïlande se remettre à niveau en boxe, pratique le bouddhisme zen et se fait ordonner moine. Le plus drôle, c’est que tout est sérieux dans cette phrase.
“Quand on est ensemble, on a l’impression de deux ingénieurs qui parlent d’une fusée, mais en fait, on parle de blagues ”
Yassine Belattar, humoriste
Pablo Mira dit des choses contre de l’argent, au théâtre Le Sentier des Halles, à Paris. Les vendredis et samedis jusqu’au 30 juin, à 20 heures. Au Festival off d’Avignon du 6 au 26 juillet, au théâtre Le Chapeau d’ébène.