“Ça a été une révolution intérieure”
Fabienne Lauret, 67 ans, retraitée, ancienne « établie » ouvrière (mécanicienne) à la couture de Renault Flins (Yvelines) pendant onze ans, bibliothécaire-animatrice au CE de Renault Flins pendant vingt-six ans.
« J’étais au lycée de filles Hélène-Boucher, dans le XXe arrondissement de Paris. Les garçons de Voltaire étaient venus nous parler pour qu’on occupe l’établissement. Notre première revendication, c’était de sortir de cette discipline rigide qui nous interdisait de nous maquiller, de porter des pantalons, de mettre des talons hauts, car ça rayait le parquet, on nous obligeait à revêtir des blouses très laides. J’étais issue d’une famille assez libre, mon premier amoureux, je l’avais rencontré à 15 ans et demi, et ma mère m’avait envoyée en 1965 au Planning familial pour que je prenne la pilule, qui n’était pas encore autorisée. Quand mon lycée a fermé, les copines se sont envolées chez leurs parents, et moi je me suis retrouvée au Quartier latin, car mon compagnon était à Henri-IV. C’est là que j’ai vu pour la première fois un film sur l’accouchement sans douleur. Ça a été une révolution intérieure ! Je ne me souviens pas avoir pris la parole dans les groupes de travail, mais il soufflait un vent de liberté, on commençait à parler de relation libre dans les couples. Enfin… c’était souvent les garçons qui en parlaient à leur sauce ! C’était plutôt eux, aussi, qui allaient soutenir les ouvriers dans les usines. Mon compagnon était allé à Flins, où je me suis “établie” en 1972. Le féminisme a fait son chemin, c’était inévitable. En 1968, ça mûrissait, ce n’est pas sorti tout de suite. Il y avait un poids du machisme, même dans une famille libre comme la mienne, mon père préparait à manger le dimanche, au quotidien c’était ma mère qui faisait tout. Mais ce qui a renforcé mes convictions féministes, c’est mon expérience en usine. Chez Renault, on dénommait les ateliers de couture le « parc à moules », il y avait les sifflements, les calendriers de femmes nues et le harcèlement sexuel. Peu de femmes ont écrit sur leur expérience en usine 2 et j’en fais partie. »
1. Le terme « établie » désigne des militant·es étudiant·es qui, à partir de 1967, sous l’impulsion des organisations maoïstes, s’embauchaient, « s’établissaient », dans les usines ou dans les docks.
2. L’Envers de Flins : une féministe révolutionnaire à l’atelier, de Fabienne Lauret. Éd. Syllepse, 2018.