François Olivennes : « Arrêtons de nous mêler de la vie des autres »
Avec son livre Pour la PMA, le professeur Olivennes signe un plaidoyer énervé dans lequel il démontre pourquoi la France doit ouvrir la procréation médicalement assistée aux femmes seules et homosexuelles.
Ah, il est remonté le prof ! Exaspéré du stéthoscope, furibard de l’éprouvette. C’est pourtant un ponte, François Olivennes, un grand bonhomme de la reproduction, élève de René Frydman, comme qui dirait l’oncle du premier bébé-éprouvette. Quelqu’un dont on attend de la retenue, du doctoral lénifiant. Mais c’est pas le genre de la maison, ni de son nouvel ouvrage, Pour la PMA. Cent cinquante pages bien énervées dans lesquelles le gynécologue obstétricien, qui a aidé tant de femmes à procréer, dézingue un à un tous les arguments des anti-procréation médicalement assistée. Les chapitres donnent le ton, dans lesquels il s’adresse aux « donneurs de leçons », aux « éducateurs modèles » et autres « moralisateurs gaulois ». Y a des oreilles qui vont siffler chez les politiques, les philosophes, les leaders d’opinion de tout poil… On le retrouve après sa journée de travail, en terrasse, plongé dans Le Monde. On attaque direct.
CAUSETTE : Vous travaillez depuis vingtcinq ans dans le domaine de la PMA, vous avez déjà bien souvent bataillé, affronté ses contradicteurs… Pourquoi ce regain de colère aujourd’hui ?
C’est un énervement
FRANÇOIS OLIVENNES : progressif. Je suis de plus en plus choqué par tous ces gens qui veulent intervenir dans la vie des autres, sur des points qui ne vont rien changer à la leur. Si une femme seule souhaite avoir un enfant, je vous le demande, en quoi ça emmerde ces gens de la Manif pour tous ? Si l’argument c’est que ça va changer notre société (et d’ailleurs, pourquoi pas ?) c’est débile, puisqu’on estime aujourd’hui les couples homoparentaux à 40 000... sur près de 800 000 naissances par an ! Le problème, c’est que la période est cruciale et que les anti-PMA font une véritable campagne orchestrée. [ En effet, 2018 est une année cruciale puisqu’elle est consacrée à la révision de la législation en matière de bioéthique, une mise à jour qui doit avoir lieu tous les sept ans. Les états généraux, organisés par le Comité consultatif national d’éthique, prendront fin le 7 juillet. Le législateur devra déposer un projet de loi à l’automne. Autant dire que jusquelà, le lobbying sera à son maximum, ndlr].
Ça vous met en boule ce lobbying, non ?
On voit les anti-PMA partout dans
F. O. : les médias. Mais il faut le dire et le répéter : les détracteurs de la procréation médicalement assistée et de son ouverture aux femmes seules et aux femmes homosexuelles n’ont que des arguments théoriques. Prenons le fameux « c’est dangereux pour le bon développement de l’enfant » que nous rabâche la Manif pour tous, pour qui « l’absence » de père serait dommageable. C’est une théorie, aucune étude, aujourd’hui, ne prouve ça.
Je connais bien le sujet du devenir des enfants issus de fécondation in vitro et, en ce qui concerne les couples de femmes (on est moins documenté concernant les couples d’hommes), il n’existe pas une seule étude montrant qu’ils ne vont pas bien, ou qu’ils seraient différents. Aucune différence en termes de quotient intellectuel, du développement cognitif, de la qualité des relations parents-enfants. Aucune différence non plus dans leur orientation sexuelle, chez des enfants étudiés pour certains jusqu’à l’âge de 18 ans*.
En réalité, la volonté des opposants à la PMA, c’est d’imposer le respect des schémas familiaux existants, ce qui n’est pas un gage de respect de l’enfant. Ce qu’ils redoutent, c’est que la société accepte de s’affranchir des règles de la nature. Et ça depuis toujours ! On le voit bien dans le chapitre de mon livre consacré à l’historique des traitements de la stérilité, ils se sont opposés à tout ! À la fécondation in vitro, aux inséminations avec donneurs… ils ont toujours dit non.
Si la PMA reste interdite, quel est pour vous le problème le plus important qui va se poser ?
On va continuer à favoriser une sélec
F. O. : tion par l’argent pour toutes ces femmes, et les exposer à des risques de mauvais traitements. Elles sont nombreuses à avoir recours à l’insémination à l’étranger, ce qui veut dire qu’elles choisissent des centres sur Internet, sans garantie de sérieux. Elles se font balader, parfois traiter dans des conditions douteuses, voire dangereuses, et se font extorquer beaucoup d’argent. C’est très choquant. Je ne dis pas que tous les centres étrangers sont des marlous, mais il y en a un certain nombre. Je connais un centre espagnol qui fait chaque année 500 dons d’ovocytes pour des patientes françaises. À Barcelone, on compte environ cinq ou six centres de ce type donc, vous imaginez, si vous multipliez par le nombre de cliniques dans tout le pays. Et on parle seulement de l’Espagne. C’est un marché hélas, qui représente plusieurs milliers de patientes.
Chez nos voisins européens, la législation sur la PMA a beaucoup progressé…
La France est en retrait, c’est cer
F. O. : tain. La PMA est ouverte aux couples de femmes et aux femmes célibataires en Belgique, aux Pays-Bas, en Espagne, au Portugal, au Luxembourg, au RoyaumeUni, en Irlande, en Croatie, en Finlande, en Suède et au Danemark (pour les femmes homosexuelles mariées uniquement). Pour les femmes célibataires uniquement, elle est autorisée en Pologne, en Hongrie, en Bulgarie, en Grèce, en Estonie et en Lettonie… Ça fait réfléchir, non ? On m’oppose toujours : « C’est pas parce que c’est autorisé ailleurs qu’il faut que ce soit autorisé chez nous. » Mais on peut aussi renverser l’argument ! Quand on regarde la liste de ces pays, on n’y voit pas de fous furieux ! Est-ce que tous ces peuples seraient sans conscience éthique ou moins intéressés par la santé de leurs enfants ?
Vous êtes indigné, on l’a compris, mais êtes-vous optimiste ?
Ce qui est certain, c’est qu’il n’y aura
F. O. : jamais de consensus. On ne convaincra jamais les détracteurs de la PMA. Si l’idée d’Emmanuel Macron, c’est de trouver une sorte d’accord qui ne froissera personne, on n’y arrivera pas. Le seul argument qui vaille, c’est : « Est-ce éthique pour la santé de l’enfant ? » Point. Et oui, ça l’est. * « Psychosocial adjustment among children conceived via donor insemination by lesbian and heterosexual mothers », R.W. Chan, B. Raboy, C.J. Patterson, Child Development, 1998, 69 (2), p. 443-457.