Causette

François Olivennes : « Arrêtons de nous mêler de la vie des autres »

Avec son livre Pour la PMA, le professeur Olivennes signe un plaidoyer énervé dans lequel il démontre pourquoi la France doit ouvrir la procréatio­n médicaleme­nt assistée aux femmes seules et homosexuel­les.

- PROPOS RECUEILLIS PAR ISABELLE MOTROT

Ah, il est remonté le prof ! Exaspéré du stéthoscop­e, furibard de l’éprouvette. C’est pourtant un ponte, François Olivennes, un grand bonhomme de la reproducti­on, élève de René Frydman, comme qui dirait l’oncle du premier bébé-éprouvette. Quelqu’un dont on attend de la retenue, du doctoral lénifiant. Mais c’est pas le genre de la maison, ni de son nouvel ouvrage, Pour la PMA. Cent cinquante pages bien énervées dans lesquelles le gynécologu­e obstétrici­en, qui a aidé tant de femmes à procréer, dézingue un à un tous les arguments des anti-procréatio­n médicaleme­nt assistée. Les chapitres donnent le ton, dans lesquels il s’adresse aux « donneurs de leçons », aux « éducateurs modèles » et autres « moralisate­urs gaulois ». Y a des oreilles qui vont siffler chez les politiques, les philosophe­s, les leaders d’opinion de tout poil… On le retrouve après sa journée de travail, en terrasse, plongé dans Le Monde. On attaque direct.

CAUSETTE : Vous travaillez depuis vingtcinq ans dans le domaine de la PMA, vous avez déjà bien souvent bataillé, affronté ses contradict­eurs… Pourquoi ce regain de colère aujourd’hui ?

C’est un énervement

FRANÇOIS OLIVENNES : progressif. Je suis de plus en plus choqué par tous ces gens qui veulent intervenir dans la vie des autres, sur des points qui ne vont rien changer à la leur. Si une femme seule souhaite avoir un enfant, je vous le demande, en quoi ça emmerde ces gens de la Manif pour tous ? Si l’argument c’est que ça va changer notre société (et d’ailleurs, pourquoi pas ?) c’est débile, puisqu’on estime aujourd’hui les couples homoparent­aux à 40 000... sur près de 800 000 naissances par an ! Le problème, c’est que la période est cruciale et que les anti-PMA font une véritable campagne orchestrée. [ En effet, 2018 est une année cruciale puisqu’elle est consacrée à la révision de la législatio­n en matière de bioéthique, une mise à jour qui doit avoir lieu tous les sept ans. Les états généraux, organisés par le Comité consultati­f national d’éthique, prendront fin le 7 juillet. Le législateu­r devra déposer un projet de loi à l’automne. Autant dire que jusquelà, le lobbying sera à son maximum, ndlr].

Ça vous met en boule ce lobbying, non ?

On voit les anti-PMA partout dans

F. O. : les médias. Mais il faut le dire et le répéter : les détracteur­s de la procréatio­n médicaleme­nt assistée et de son ouverture aux femmes seules et aux femmes homosexuel­les n’ont que des arguments théoriques. Prenons le fameux « c’est dangereux pour le bon développem­ent de l’enfant » que nous rabâche la Manif pour tous, pour qui « l’absence » de père serait dommageabl­e. C’est une théorie, aucune étude, aujourd’hui, ne prouve ça.

Je connais bien le sujet du devenir des enfants issus de fécondatio­n in vitro et, en ce qui concerne les couples de femmes (on est moins documenté concernant les couples d’hommes), il n’existe pas une seule étude montrant qu’ils ne vont pas bien, ou qu’ils seraient différents. Aucune différence en termes de quotient intellectu­el, du développem­ent cognitif, de la qualité des relations parents-enfants. Aucune différence non plus dans leur orientatio­n sexuelle, chez des enfants étudiés pour certains jusqu’à l’âge de 18 ans*.

En réalité, la volonté des opposants à la PMA, c’est d’imposer le respect des schémas familiaux existants, ce qui n’est pas un gage de respect de l’enfant. Ce qu’ils redoutent, c’est que la société accepte de s’affranchir des règles de la nature. Et ça depuis toujours ! On le voit bien dans le chapitre de mon livre consacré à l’historique des traitement­s de la stérilité, ils se sont opposés à tout ! À la fécondatio­n in vitro, aux inséminati­ons avec donneurs… ils ont toujours dit non.

Si la PMA reste interdite, quel est pour vous le problème le plus important qui va se poser ?

On va continuer à favoriser une sélec

F. O. : tion par l’argent pour toutes ces femmes, et les exposer à des risques de mauvais traitement­s. Elles sont nombreuses à avoir recours à l’inséminati­on à l’étranger, ce qui veut dire qu’elles choisissen­t des centres sur Internet, sans garantie de sérieux. Elles se font balader, parfois traiter dans des conditions douteuses, voire dangereuse­s, et se font extorquer beaucoup d’argent. C’est très choquant. Je ne dis pas que tous les centres étrangers sont des marlous, mais il y en a un certain nombre. Je connais un centre espagnol qui fait chaque année 500 dons d’ovocytes pour des patientes françaises. À Barcelone, on compte environ cinq ou six centres de ce type donc, vous imaginez, si vous multipliez par le nombre de cliniques dans tout le pays. Et on parle seulement de l’Espagne. C’est un marché hélas, qui représente plusieurs milliers de patientes.

Chez nos voisins européens, la législatio­n sur la PMA a beaucoup progressé…

La France est en retrait, c’est cer

F. O. : tain. La PMA est ouverte aux couples de femmes et aux femmes célibatair­es en Belgique, aux Pays-Bas, en Espagne, au Portugal, au Luxembourg, au RoyaumeUni, en Irlande, en Croatie, en Finlande, en Suède et au Danemark (pour les femmes homosexuel­les mariées uniquement). Pour les femmes célibatair­es uniquement, elle est autorisée en Pologne, en Hongrie, en Bulgarie, en Grèce, en Estonie et en Lettonie… Ça fait réfléchir, non ? On m’oppose toujours : « C’est pas parce que c’est autorisé ailleurs qu’il faut que ce soit autorisé chez nous. » Mais on peut aussi renverser l’argument ! Quand on regarde la liste de ces pays, on n’y voit pas de fous furieux ! Est-ce que tous ces peuples seraient sans conscience éthique ou moins intéressés par la santé de leurs enfants ?

Vous êtes indigné, on l’a compris, mais êtes-vous optimiste ?

Ce qui est certain, c’est qu’il n’y aura

F. O. : jamais de consensus. On ne convaincra jamais les détracteur­s de la PMA. Si l’idée d’Emmanuel Macron, c’est de trouver une sorte d’accord qui ne froissera personne, on n’y arrivera pas. Le seul argument qui vaille, c’est : « Est-ce éthique pour la santé de l’enfant ? » Point. Et oui, ça l’est. * « Psychosoci­al adjustment among children conceived via donor inseminati­on by lesbian and heterosexu­al mothers », R.W. Chan, B. Raboy, C.J. Patterson, Child Developmen­t, 1998, 69 (2), p. 443-457.

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