Interview de Cécile de France
Grandiose dans Mademoiselle de Joncquières, le nouveau film d’Emmanuel Mouret, Cécile de France nous parle de cinéma, de Diderot ou de #MeToo. Rencontre avec cette comédienne belge, qui va en surprendre plus d’un·e dans ce marivaudage piquant, épatant de modernité.
CAUSETTE : Honnêtement, on ne s’attendait pas à vous retrouver dans un film en costumes d’Emmanuel Mouret, fervent explorateur de la carte du Tendre…
Parce que ça n’est pas
CÉCILE DE FRANCE : forcément un cinéma dont je suis cliente ! Mais je suis toujours admirative des artistes qui ont un point de vue et un style. C’est le cas d’Emmanuel : il a une passion folle pour l’amour. Et il en parle follement bien ! Et puis, comment refuser le rôle de Madame de La Pommeraye, cette jeune veuve du XVIIIe siècle qui ourdit une vengeance diabolique par dépit amoureux ? Elle m’a rappelé Madame de Merteuil, l’héroïne des Liaisons dangereuses, le cynisme en moins !
Je sais qu’Emmanuel a hésité avant de me confier ce rôle. À cause de cette image de femme solide et saine que je trimballe dans mes films. Heureusement, je l’ai convaincu à l’issue d’une lecture à haute voix. On a passé beaucoup de temps, par la suite, à discuter. Lui, surtout ! C’était passionnant.
Mademoiselle de Joncquières, adaptation brillante d’un texte de Diderot, fait résonner le siècle des Lumières avec celui de #MeToo. Surprise ?
Mademoiselle de Joncquières nous
C. D. F. : rappelle très justement que le siècle des Lumières ressemble un peu au nôtre. C’était une époque d’ébullition intellectuelle, qui questionnait notamment les inégalités de classes et de genres. Voyez Le Mariage de Figaro, de Beaumarchais ! Cette pièce raconte l’histoire d’un seigneur, un homme riche et puissant, qui abuse de sa domestique. On est en plein dedans aujourd’hui, non, avec l’affaire Weinstein ?
La force et l’indépendance de Madame de La Pommeraye, votre personnage, sont fascinantes. Assez inhabituelles pour une femme du XVIIIe siècle…
Oui, mais c’est parce qu’elle est
C. D. F. : noble et veuve, le seul statut qui, à l’époque, permettait aux femmes d’être indépendantes… Ce qui m’a fascinée chez elle, c’est sa démesure, son intelligence et ses contradictions. Pour justifier sa machination, elle utilise des arguments auxquels on ne peut qu’être sensible aujourd’hui (la cause des femmes et le « devoir de corriger les hommes »). Mais, en même temps, elle n’hésite pas à manipuler d’autres femmes pour assouvir sa vengeance ! Voilà le paradoxe : sa vengeance la libère autant qu’elle l’enferme. D’un côté, elle refuse d’être victime de l’homme qui l’a trahie ; de l’autre, elle écrase plus faible qu’elle pour y parvenir. Elle fait des choses à la fois louables et haïssables, impossible de l’enfermer dans une case ! C’est ça qui est formidable chez Diderot : cette réflexion sur la complexité de l’être humain et cette liberté de penser. Il n’impose aucun jugement à ses lecteurs. Pas plus qu’Emmanuel à ses spectateurs, d’ailleurs !
Ce film fait la part belle aux personnages féminins et ça n’est pas si courant. Avez-vous l’impression que les choses ont bougé depuis vos débuts, en 2001 ?
Quand je regarde ma filmographie
C. D. F. : [de L’Auberge espagnole, en 2002, à Django en 2017, en passant par Quand j’étais chanteur, Mauvaise Foi, Un secret ou L’Instinct de mort, ndlr], je remarque que j’ai toujours été la femme de, la maîtresse de, la copine de… Mais, là, je sens qu’il se passe quelque chose. Que c’est en train de bouger, en effet, même si on est encore en manque de personnages principaux féminins. À moins que ce ne soit moi qui évolue ? Il est vrai que j’ai plus de liberté aujourd’hui pour refuser certains rôles…