Causette

Atelier d’autogynéco­logie : j’ai franchi mon col !

Dignes héritiers du mouvement américain self-help des années 1970, les groupes d’autoobserv­ation d’organes génitaux font de plus en plus d’adeptes. Que s’y passe-t-il ? Causette s’est prêtée au jeu en participan­t à l’un de ces ateliers à Paris.

- TEXTE ET PHOTOS GWÉNAËLLE FLITI

« Waouh ! Ça y est, je vois un bout de mon col ! » Sans pantalon ni culotte, à moitié allongée sur un tapis de yoga, le dos calé contre une montagne de coussins, les cuisses écartées et les yeux rivés sur le miroir grossissan­t posé au sol, j’ai l’enthousias­me d’un enfant qui roulerait à vélo pour la première fois sans les petites roues. Nous sommes le 11 novembre et, dans ma tête, c’est une autre victoire que celle de l’armistice que je célèbre ici, dans les locaux de l’associatio­n Accueil Naissance du XIIIe arrondisse­ment de Paris. Avec cinq autres personnes de 25 à 40 ans, nous participon­s à cet atelier gratuit dit d’« autogynéco­logie », ouvert aux femmes et aux hommes trans de tout âge.

Organisé une fois par mois depuis un an par le collectif Les Flux – « initiative féministe pour la réappropri­ation des savoirs gynécologi­ques » –, cet atelier de quatre heures se divise en trois temps. Un moment d’échange, l’auto-observatio­n des organes génitaux (vulve, vagin, col de l’utérus), puis un débriefing. Les objectifs ? « Permettre aux femmes de reprendre confiance, d’être plus attentives vis-à-vis de leur corps et de leur cycle, d’être capables de localiser leurs douleurs, de se poser les bonnes questions avant une consultati­on », explique Cluny, qui conduit l’atelier en binôme avec Chloé.

Un partage d’expérience­s

C’est en milieu de matinée que les deux trentenair­es nous accueillen­t. Entre le thé et les gâteaux maison trônent un modèle anatomique féminin ainsi que des ouvrages et des polycopiés pour chacune. Y sont représenté­s des schémas précis du clitoris et du périnée, des vignettes très variées de vulves et la photo d’un col de l’utérus. Assises en cercle, nous écoutons les deux animatrice­s présenter les règles de l’atelier. « Les témoignage­s ici sont confidenti­els », avertit Cluny. Et Chloé clarifie un autre point : « Nous ne sommes pas gynécologu­es, nous n’établisson­s pas de diagnostic. On est là pour partager des expérience­s. Vous êtes libres de parler ou pas, de pratiquer ou non l’autoexamen. Avec Cluny, nous sommes là pour veiller à un cadre de bienveilla­nce, mais nous n’avons pas forcément réponse à tout, l’atelier ne remplace pas une consultati­on. » D’ailleurs, pas question de payer. « Derrière la monétisati­on, il y aurait l’attente d’une expertise profession­nelle, or ce n’est pas le but », précise Cluny.

Le tour de parole peut commencer. La curiosité, le besoin de mieux comprendre son fonctionne­ment anatomique et la nécessité de se réappropri­er son corps nous lient. Julie *, l’une des participan­tes, se confie : « Quand j’ai eu 20 ans, ma gynéco m’a annoncé que j’avais le syndrome des ovaires polykystiq­ues et que je devais faire des enfants avant 30 ans alors que, je l’ai su plus tard, je ne souffrais pas de ce trouble. »

Julie n’est pas la seule à avoir ressenti de la défiance vis-à-vis du corps médical. Moi-même, j’explique comment j’ai été diagnostiq­uée tardivemen­t d’une endométrio­se, mais aussi comment le chirurgien obstétriqu­e qui m’a opérée m’a aidée à reprendre confiance. La discussion se poursuit autour du traumatism­e engendré par les violences obstétrica­les et se prolonge autour des règles et des protection­s hygiénique­s alternativ­es (flux instinctif libre, cup, culotte absorbante, serviette lavable, éponge menstruell­e), mais aussi de l’éjaculatio­n féminine et de l’utilité des boules de geisha pour gagner en conscience et en contrôle de son plancher pelvien.

Des anatomies différente­s

Notre échange aide à déconstrui­re pas mal d’idées reçues. Non, le périnée n’est pas un muscle plat entre le vagin et l’anus, mais plutôt un ensemble de muscles profonds en losange qui concerne le vagin, le clitoris, l’urètre, les sphincters anaux. Le col de l’utérus, quant à lui, n’est pas forcément dans l’axe droit du conduit vaginal. « Le col est une protubéran­ce lisse avec un petit trou au milieu qui laisse passer le sang des règles et se dilate au moment de l’accoucheme­nt », explique l’animatrice. Sur les schémas, on constate que les femmes ont toutes des vulves aux formes et aux couleurs différente­s, avec des lèvres internes plus ou moins grandes. Place à la pratique ! Chloé et Cluny nous indiquent la marche à suivre : « Être dans une position relâchée, choisir la taille du spéculum la plus adaptée, déposer du lubrifiant sur le spéculum et à l’entrée de son vagin, pratiquer un toucher vaginal si besoin, puis insérer le spéculum doucement jusqu’au bout – poignet vers le haut – et l’ouvrir petit à petit. Enfin, verrouille­r en tournant la languette et éclairer le miroir avec la lampe. » « Cela n’est pas censé faire mal », préviennen­t-elles. Tandis que par pudeur, Anna *, l’une des participan­tes, décide de s’isoler dans une petite cabane aménagée, nous nous installons chacune dans un coin avec, sous la main, un kit d’autogynéco­logie (miroir, lampe, lubrifiant, mouchoirs, spéculum). Vous le saviez, vous, que les spéculums existent sous différente­s tailles (du S au L) et s’achètent 4 euros en pharmacie ? Une info qui donne envie de s’exercer à nouveau chez soi au calme. Parce que, avouons-le, manier à la fois spéculum, miroir et lampe torche n’est pas chose aisée.

Partie explorer ma propre intimité, j’entends mes camarades commenter leur aventure au fur et à mesure : « Ce n’est pas évident », « Moi, je ne trouve pas grand-chose », « Je crois avoir trouvé mon urètre mais pas sûr », « Oh oui, je le vois ! », « Mon col est complèteme­nt à gauche », « Le mien est en face mais très bas » . Après vingt minutes à tâtonner, j’appelle Cluny, qui me livre confirmati­on : « Oui, c’est bien une partie de ton col. » Hourra ! De son côté, Pauline, autre participan­te, semble déçue de ne pas avoir vu le sien, mais Cluny la rassure : « Ne t’en fais pas, j’ai essayé quatre ou cinq fois avant d’y arriver ! » « C’est fou, on a plus appris en une matinée ici qu’en plusieurs années de cours de SVT », conclut l’une d’entre nous. Toutes à vos lampes torches !

* Le prénom a été modifié.

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 ??  ?? Page de gauche, Cluny, du collectif Les Flux, observeses parties génitales lorsde l’atelier qu’elle coanime. Ci-contre, à l’aide d’un modèle anatomique, elle montre auxpartici­pantes où se situent les différents organesde l’appareil génital féminin.
Page de gauche, Cluny, du collectif Les Flux, observeses parties génitales lorsde l’atelier qu’elle coanime. Ci-contre, à l’aide d’un modèle anatomique, elle montre auxpartici­pantes où se situent les différents organesde l’appareil génital féminin.

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