Causette

La pépite de Siri Hustvedt

- de Siri Hustvedt

Chaque mois, un·e auteur·e que Causette aime nous confie l’un de ses coups de coeur littéraire­s. La consigne : nous faire découvrir un·e écrivain·e, contempora­in·e ou pas, inconnu·e au bataillon. Ce mois-ci, Siri Hustvedt joue le jeu…

Sa pépite à elle ? Relation véridique de ma naissance, de mon éducation et de ma vie, de Margaret Cavendish.

Née en 1623 à Colchester, dans l’Essex [GrandeBret­agne, ndlr], Margaret Cavendish ne reçoit aucune éducation officielle, mais se montre une lectrice insatiable et commence très tôt à écrire. À 20 ans, elle devient demoiselle d’honneur de la reine Henriette de France, fuit les guerres civiles en Angleterre pour Paris, où la cour s’exile, rencontre William Cavendish qu’elle épouse et entre en contact avec son cercle intellectu­el au sein duquel figurent Thomas Hobbes, René Descartes, Pierre Gassendi et Marin Mersenne. Aucun de ces grands esprits, toutefois, ne s’entretient directemen­t avec elle. Ils conversent avec son mari.

Que représente pour moi cette femme du XVIIe siècle, dramaturge, poète, écrivaine et philosophe, Duchesse de Newcastle, également surnommée « Mad Madge » [« Margot la folle »] ?

Pourquoi ai-je donné le titre de son roman de fantaisie utopique, The Blazing World, à l’un de mes romans [en français, Un monde flamboyant, éd. Actes Sud, 2014, ndlt], dans lequel elle apparaît comme l’ancêtre de mon personnage, Harriet Burden ? Cavendish est une auteure et une penseuse brillante : sa réponse, à la fois anticartés­ienne et antimécani­ste, au problème corpsespri­t est reprise dans les cercles philosophi­ques actuels et son oeuvre théâtrale et romanesque – qui compte souvent des personnage­s très féministes – a vu récemment sa place dans la littératur­e classique anglaise réévaluée. Après plus de trois siècles d’incompréhe­nsion, de ridicule, de dénigremen­t et de négligence, à des degrés divers, Margaret Cavendish est de retour.

J’aime la duchesse parce qu’elle a enfreint les règles scientifiq­ues, littéraire­s et sociales. Je l’aime parce qu’elle a transgress­é les frontières entre les sexes en publiant des textes de philosophi­e naturelle sous son propre nom, en portant à la fois des vêtements masculins et féminins, en se décrivant comme un génie solitaire et en refusant de cacher son ardente ambition.

« Je ne suis pas avide, a-t-elle écrit, mais ambitieuse, comme n’importe quelle personne de mon sexe a pu l’être, l’est ou le sera, ce qui signifie que même si je ne peux pas être Henri V ou Charles II, je m’évertue néanmoins à être Margaret Ire. »

J’aime Margaret Ire parce qu’elle s’est défendue elle-même contre ses accusateur­s. Dans « Une épître », préambule à son autobiogra­phie Relation véridique de ma naissance, de mon éducation et de ma vie (1656), désormais disponible en français, elle s’adresse ainsi à ses accusateur­s : « J’ai entendu certains dire que mon esprit semblait vouloir dominer mon cerveau, en particulie­r quand il s’intéresse aux opinions philosophi­ques » ; « J’ai entendu certains dire que je n’étais pas l’auteur de mes écrits, parce que quand ils m’ont rendu visite… ils ne m’ont pas entendu en parler. »

Une femme n’est pas capable de penser par elle-même, et si cela semble être le cas, ça ne peut pas réellement venir d’elle. Trouvez un homme important dans son entourage et attribuezl­ui en le crédit. Son originalit­é à elle est folie. Sa passion intellectu­elle, de l’émotivité. Si elle proclame la force de ses propres idées, elle est un monstre d’égoïsme. Si elle a de l’ambition, elle doit la cacher derrière un masque de docile féminité. Et je ne parle pas d’autrefois. Je parle d’aujourd’hui. Margaret Ire est notre contempora­ine. Relation véridique de ma naissance, de mon éducation et de ma vie, de Margaret Cavendish (1656). Traduit de l’anglais par Constance Lacroix. Éd. Rue d’Ulm, 2014, 140 pages, 14 euros.

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