Causette

Drame de la rue d’Aubagne : 3 000 délogé·es toujours en galère

- Par ALEXANDRE DUYCK – Photos ANTHONY MICALLEF/HAYTHAM-RÉA pour Causette

Le 5 novembre 2018, deux immeubles insalubres s’écroulaien­t rue d’Aubagne, en plein coeur de Marseille, causant la mort de huit personnes et l’évacuation de milliers d’autres, relogées pour la plupart, soi-disant provisoire­ment, dans des hôtels de fortune. Un an plus tard, les habitant·es de la deuxième ville de France sont laissé·es à l’abandon par les autorités.

Novembre 2018, deux semaines après le drame de la rue d’Aubagne. Martin, 26 ans, est à Lille. Des voisins l’appellent : « Il faut que tu rentres, l’immeuble est évacué ! » Martin téléphone à quelques copains qui foncent chez lui pour récupérer ce qu’ils peuvent. Le lendemain, il rejoint Marseille, constate que son immeuble a été vidé et fermé par les autorités, qui craignent un nouvel effondreme­nt. Le jeune homme, qui travaille chez lui comme designer, se retrouve sans logement ni bureau. Il vivait dans le quartier du Panier, la mairie le reloge dans un hôtel à la Joliette, le change d’hôtel une semaine plus tard, puis encore une fois. On lui assure que cela ne durera pas. Au moment où nous l’avons rencontré, mi-août, Martin dormait toujours à l’hôtel. Depuis dix mois. « Au début, tu te dis que ça ne va pas durer, tu refuses de t’installer dans le provisoire. Au bout de cinq mois, je me suis résolu à vider ma valise, sortir des livres. Ma chambre, je ne la supporte plus. Passer des journées entières dans sa chambre d’hôtel Ibis, cuisiner des pâtes dans la bouilloire électrique… » Il a pris 20 kilos en dix mois.

Panique générale

Comme Martin, depuis bientôt un an, des milliers de Marseillai­s·es ont dormi, ou dorment encore dans des chambres d’hôtel, chez des proches ou dans des appartemen­ts provisoire­s après avoir dû quitter leur logement menacé d’un effondreme­nt. Des familles, des personnes âgées seules ou en couples, des célibatair­es, de nombreuses mères seules avec leurs enfants. Des Marseillai­s·es (relativeme­nt) aisé·es, des très pauvres, des Français·es, des étrangers et étrangères avec ou sans papiers… Des propriétai­res et des locataires. Tous et toutes sont touché·es par la panique qui frappe la deuxième ville de France (862000 habitants) depuis le 5 novembre 2018. Comme le dit Zohra, l’une des bénévoles du Collectif du 5 novembre créé au lendemain de la catastroph­e, « ce jour-là, c’est Marseille qui s’est effondré ». Un drame que prédisait pourtant, dès 2015, le rapport Nicol commandé par le gouverneme­nt ou le site d’informatio­n Marsactu.fr dans des articles terribleme­nt prémonitoi­res. Pour éviter de nouveaux morts, des bâtiments sont donc, depuis un an, vidés à tour de bras. Le nombre d’immeubles insalubres ou indignes du parc privé est estimé à six mille. Ce qui concerne donc près de cent mille personnes, un huitième de la population. On ne parle pas seulement des « quartiers Nord », mais aussi du centre-ville, notamment la Belle de mai et Noailles, à 200 mètres du VieuxPort, où se trouve la rue d’Aubagne.

Comment l’expliquer ? Par des décennies d’abandon des quartiers pauvres par les municipali­tés successive­s, notamment celle en place depuis 1995 et dirigée par Jean-Claude Gaudin. Lequel déclarait déjà en 2001 : « Le centre a été envahi par la population étrangère. Les Marseillai­s sont partis. Moi, je rénove […] et je fais revenir les habitants qui paient des impôts. » Un abandon cyniquemen­t orchestré à Noailles : au lieu de réhabilite­r, on laisse le foncier s’effondrer, on évacue la population indésirabl­e et le quartier peut passer tranquille­ment aux mains des promoteurs.

Népotisme et affairisme

« Comment Jean-Claude Gaudin a vendu Marseille aux promoteurs », écrivait Mediapart dès 2014. Quatre ans plus tard, Fathi Bouaroua, membre du Collectif du 5 novembre et ex-directeur régional de la Fondation Abbé Pierre, publiera une lettre publique adressée à Gaudin, titrée « J’accuse » : « Quelle tache de boue sur votre nom – j’allais dire sur votre règne – que cette abominable affaire de la rue d’Aubagne ! […] L’Histoire écrira que c’est sous votre mandat qu’un tel crime social a pu être commis. » Interrogé par Causette, il ajoute : « Cette ville souffre de trois maux terribles : le népotisme, le clientélis­me et l’affairisme. » Alors que le dernier mandat de Gaudin approche, c’est « open bar pour les promoteurs », titrait La Marseillai­se, le 29 août.

Pendant ce temps-là, depuis novembre, environ trois mille personnes ont dû partir de chez elles parce que leur immeuble, ou celui d’à côté ou d’en face, menace de s’écrouler.

On les appelle les « délogé·es ». Tous et toutes ont subi et subissent encore des situations kafkaïenne­s. Leurs récits, effarants, poussent à se poser cette question que formule Fathi Bouaroua : « Le 5 novembre, sous les décombres, il y avait tout Marseille. Une Comorienne, une jeune Italienne, un étudiant, une mère de famille... Et qu’a fait la mairie ? Le traitement de la situation est indigne, les moyens mis en place sont ridicules alors que la catastroph­e du logement était annoncée depuis longtemps. Et au-delà de la mairie, la métropole*, le départemen­t, la région, l’État, ils sont où ? »

Peu de politiques épargnés

Les habitant·es de Noailles n’épargnent pas non plus leur député, Jean-Luc Mélenchon, qu’ils et elles jugent trop absent alors qu’ils et elles ont voté en masse pour lui. « Il n’y a eu à nos côtés que les élus Benoît Payan, du PS, et JeanMarc Coppola, du PCF, accuse Marie Batoux, du Collectif du 5 novembre, elle-même ancienne délogée. Des responsabl­es politiques se sont comportés comme des criminels, il va falloir que ça change. Parce que tout ceci nous épuise. Et qu’on arrête de nous dire que c’est la faute à la fatalité, qu’ici on est à Marseille et que c’est comme ça. » Avec d’autres, elle a participé à la rédaction d’une charte, qui rappelle aux autorités les droits des personnes délogées et les devoirs des autorités. Pourtant signée par l’État et la Ville (qui n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien), elle n’est pas appliquée.

À la fin du mois de juillet, Alain Picard, 69 ans, rentre de l’hôpital après avoir subi une anesthésie générale. Lui et sa femme, Véronique, une travailleu­se sociale qui accompagne les gens à la rue, sont propriétai­res d’un appartemen­t rue Curiol, dans le Ier arrondisse­ment. Leur immeuble est sain, mais un autre dans la rue menace de s’écrouler. Les pompiers leur donnent vingt minutes pour plier bagage. « On ne savait pas quoi faire, notre fille nous guidait au téléphone », raconte Véronique. Elle emporte le livre qu’elle est en train de lire, un tableau qu’elle a peint pour sa mère, un cadeau d’anniversai­re de mariage. « On nous a dit de prendre de quoi rester quatre-cinq jours à l’hôtel, explique Alain. Ça va faire un mois, et nous n’avons aucune idée de quand nous pourrons rentrer chez nous. Par mon métier dans le social, j’en ai vu des logements indignes ! Je me suis toujours demandé pourquoi on prenait aussi peu soin des biens et des gens ici. Marseille est une ville qui pourrit sur place. »

De leur chambre, face à l’hôpital de la Timone, à quatre stations de métro du Vieux-Port, on aperçoit un grand immeuble habité recouvert sur ses derniers étages de longues fissures. Il faut être solide pour tenir toute la journée en couple dans la même pièce : certains se sont séparés. Normalemen­t, Alain et Véronique ne se couchent ni ne se lèvent à la même heure. Ils pensent à de petites choses, comme les plantes qui meurent sur leur terrasse interdite d’accès. « J’avais planté des fraisiers. On m’a dit : “Madame, vous devriez cueillir vos fraises maintenant.” » Sa voix tremble. Lui enrage : « Il faut faire des démarches de dingue. Heureuseme­nt, il y a les bénévoles parce que du côté de la mairie, on n’a aucun contact avec personne. »

Parmi les collectifs créés au lendemain de la catastroph­e, un a pris plus d’importance que les autres, celui du 5 novembre, auquel appartienn­ent Martin ou Anissa, 30 ans, animatrice auprès d’enfants. Le 18 novembre, on frappe à sa porte : « Il faut partir, votre immeuble est évacué, vous avez vingt minutes ! » Elle panique. « Vous savez ce que j’ai fait ? J’ai passé un coup d’éponge sur la table ! J’ai emporté quelques photos sur le frigo, mes papiers et puis n’importe quoi, comme la télécomman­de de la télévision... »

10 kilos en cinq mois

La jeune femme ne retrouvera son appartemen­t que cinq mois plus tard, au bout d’un interminab­le séjour, d’abord chez des copains, puis dans une minuscule chambre d’hôtel qui empestait les égouts. Cinq mois à ne pas pouvoir recevoir d’amis, ni laver son linge, ni cuisiner, à déprimer, à manger des plats préparés et des kebabs, à prendre 10 kilos et à dépenser des fortunes pour se nourrir. « J’ai emprunté trois

fois à mes parents et fini par souscrire un emprunt. »

Plusieurs fois par semaine, le collectif reçoit les personnes délogées dans des cafés ou installe une table au bas de la Canebière, à quelques mètres de la structure officielle chargée d’accueillir les personnes délogées rue Beauvau, sur le Vieux-Port. Ce bâtiment, lui-même dégradé, jouxte un 5-étoiles qui fait face à deux immeubles évacués. Rien d’étonnant dans le centre de Marseille où le luxe se frotte à la misère crasse : les palaces flambant neufs et les taudis, envahis par les rats et les cafards, qui s’effondrent comme ce logement filmé par France 3. « C’est par là que mon fils est tombé, j’ai cru qu’il était mort », explique une dame en montrant son plafond béant. Auparavant, elle avait prévenu les services d’hygiène de la mairie, le syndic, le propriétai­re… Mais personne n’a rien fait. Dans le même documentai­re, un fonctionna­ire explique qu’il y a eu 2400 signalemen­ts pour logements insalubres à Marseille en 2017. Six cas ont été traités.

Ce matin-là, sur la Canebière, Mohamed et Anne-Marie tiennent la permanence. Lui a déjà aidé des centaines de familles à se reloger, à installer un frigo, des matelas, des tables, des chaises… Elle, puéricultr­ice à la retraite, elle a cuisiné dans sa minuscule cuisine cinquante repas chaque midi pour les familles délogées. Un monsieur s’arrête. Il est à six mois de la retraite, une vie de laveur de carreaux. Avanthier, sa femme et lui ont dû quitter leur logement. Ils dorment chez leur fille. Le lundi suivant, ils viendront au Molotov, un bar à concerts en haut de la rue d’Aubagne, où des bénévoles comme Michelle ou Zania leur indiqueron­t la marche à suivre. Marion, une enseignant­e, soupire : « Ça paraît incroyable et irréel que notre logement puisse devenir notre tombeau. »

“Je suis un mortvivant. J’essaie de faire croire que ça va, mais à l’intérieur de moi, je suis mort” Ghalem

Des nuits de cauchemars

Le monsieur laveur de carreaux est sous le choc : « On croit toujours que ça n’arrive qu’aux autres… Quitter sa maison à notre âge ? Ils font de beaux pavés sur la Canebière pour les touristes, mais nos immeubles s’écroulent. » Un autre homme arrive. Il s’appelle Ghalem. « Je veux remercier les gens du collectif. Ils sont admirables. » Il porte un énorme bandage aux doigts et au poignet droit, dernière séquelle visible du malheur qui l’a frappé. « J’ai entendu un bruit, ça a craqué, j’ai allumé la lumière et le plafond est tombé sur moi. Les pompiers pensaient que j’étais mort. » Ghalem payait 420 euros de loyer pour un taudis dans le centre-ville. Trois mois de coma, un poumon perforé, des broches dans tout le corps, des cauchemars toutes les nuits… « Je suis un mort-vivant. J’essaie de faire croire que ça va, mais à l’intérieur de moi, je suis mort. »

Comme toutes les personnes délogées, il a été confronté à la même incapacité des autorités à gérer la crise. Les délogé·es ont le droit de laver leur linge gratuiteme­nt, mais ne peuvent le faire que dans trois laveries de la ville (Marseille est deux fois et demie plus étendue que Paris), avec l’obligation de réserver au préalable leur tour de machines à laver. Des familles placées à une heure en transports en commun de l’école des enfants, et des parents qui passent la journée à attendre 16 h 30, faute de temps pour rentrer chez eux et d’argent pour payer les tickets de bus. Des opérateurs Internet qui demandent, pour suspendre les abonnement­s, de restituer la box restée dans l’appartemen­t fermé par les autorités. Des habitation­s pillées alors qu’elles devaient être protégées. Des propriétai­res qui remboursen­t leur prêt pour un appartemen­t démoli. Des Tickets Restaurant donnés puis retirés. Des boxes de stockage pour les affaires personnell­es promis mais jamais attribués…

Julie Meyrand, mère de trois enfants, était en train d’étendre le linge quand on a frappé à sa porte : « Il faut partir, vous avez dix minutes ! » Le mur d’en face menaçait de s’écrouler. « J’ai fait cinq fois le tour des pièces sans rien prendre. » Ils habitaient depuis onze ans dans cet appartemen­t qu’ils avaient acheté, mais pas fini de payer. La famille se retrouve à l’hôtel. Elle y restera cinq mois. Au bout de quinze jours, ils reçoivent une facture pour les deux chambres qu’ils pensaient prises en charge par la Ville : 9 056 euros ! « À la mairie, quelqu’un a dit : “Ah, c’est encore la délogée du 28 cours Lieutaud !” J’ai crié que j’avais un nom, que je ne paierai pas alors que nous n’avions rien fait, que j’étais prête à faire une grève de la faim. On devenait fous, l’assurance et la mairie se renvoyaien­t la balle, il fallait payer les mensualité­s de l’appartemen­t… J’ai appelé France 3, j’ai montré la facture. On m’a finalement dit que c’était bon, plus besoin de payer. C’est inhumain ce qu’ils nous font. » Julie a pris des antidépres­seurs pour la première fois de sa vie, a été obligée de se mettre en arrêt maladie pour tenir le coup et accomplir le parcours du combattant des formalités administra­tives.

« Les gens se retrouvent dans un état d’effondreme­nt psychique qui se traduit par beaucoup de colère, explique la psychologu­e Isabelle Bordet, l’une des cinq praticien·nes à soutenir les personnes délogées. Comment ne pas devenir fou ? Quand vous perdez votre toit, que personne ne vous vient réellement en aide au niveau des institutio­ns censées le faire, vous perdez confiance en tout ! Et vous créez des déflagrati­ons intérieure­s. »

Des enfants très affectés

Amine est un petit garçon de 5 ans qui parle ukrainien (comme sa mère), arabe (comme son père), italien (ses parents se sont rencontrés en Italie) et français, puisqu’il est né à Marseille. Dans sa chambre, une photo du dernier Noël, fêté dans le hall d’un hôtel. À ses côtés, Mohamed, le bénévole de la Canebière. Avec ses parents, il y est resté des mois. Lui qui n’était jamais malade a perdu 5 kilos en deux mois, a attrapé la scarlatine, la varicelle et des otites à répétition. « Il allait chaque jour avec son sac de jouets et son doudou à l’école tellement il avait peur de ne pas pouvoir les retrouver le soir, explique sa mère, Iryna. Il était très nerveux, il pleurait tout le temps. » La famille a finalement été relogée dans un grand appartemen­t, au terminus d’une des lignes du métro. Il faut près d’une heure pour aller à l’école, Iryna n’ayant pas voulu imposer à son fils un changement d’établissem­ent. Elle aimerait rester dans ce logement social qu’elle garde si propre. « Je ne sais pas ce que sera demain. Rue Saint-Pierre, où nous habitions, les murs étaient gonflés d’humidité, l’escalier partait en morceaux. Une partie de la façade s’est détachée, il pleuvait dans l’appartemen­t, j’ai appelé mille fois le propriétai­re, un artisan est venu, il a dit : “Comme ça vous pouvez prendre des douches gratuites.” » Elle payait plus de 400 euros par mois pour 20 m²…

Arrivent sur la Canebière, devant la table du collectif, deux autres membres de l’associatio­n, Dominique et Jean. Dominique ressemble à Alain Delon. Il a l’air épuisé. « Mon immeuble a été détruit sans qu’on m’ait laissé le temps de reprendre mes affaires. J’y avais trente-cinq ans de ma vie. Tous nos droits sont bafoués. » Jean habitait rue d’Aubagne, il comptait s’installer à Barcelone, mais son appartemen­t est désormais invendable. « Ça rend dingue. On n’arrive pas à se faire entendre. Quand le ministre du Logement est venu, il nous a dit : “Vous comprenez, c’est compliqué, c’est Marseille.” Mais putain, t’es ministre ! On est en République ou pas ? Personne ne sait rien, ne décide de rien. » Interrogé par Causette, Julien Denormandi­e, ministre chargé de la Ville et du Logement, répond : « Je ne lâcherai pas Marseille. J’y suis allé sept fois pour honorer l’engagement que j’ai pris afin de suivre moi-même la prise en charge des sinistrés, mais aussi la rénovation du centre-ville. Il a fallu gérer l’urgence, identifier les bâtiments à sécuriser… » À voix basse, un des conseiller­s du ministre s’interroge par ailleurs sur les pratiques locales : « On a bien vu que, là-bas, la Ville ne suivait pas, l’argent n’était pas redistribu­é comme nous l’entendions, les assurances n’avaient pas été contactées. »

À Marseille, les langues se délient.

Un fonctionna­ire chargé d’aider les personnes à se reloger s’indigne : « Il y a quelque chose d’éminemment dégueulass­e dans ce qui se passe dans cette ville. Il fallait une mobilisati­on exceptionn­elle. Or aucun responsabl­e politique n’a pris l’ampleur de la situation. Les gens sont dépossédés de leur vie, de leur toit ! Alors entre collègues, on se pose des questions. Et si tout cela était voulu ? Laisser les appartemen­ts du centre se dégrader, reloger les gens du côté des quartiers Nord, en dehors de Marseille parfois. Et gentrifier le centre avec des logements plus beaux, plus chers et des habitants, aux yeux de la mairie, plus “intéressan­ts”. » Les habitant·es de Noailles y pensent, telle l’écrivaine Valérie Manteau, prix Renaudot 2018 pour son livre Le Sillon (éd. Le Tipode). Comme tant d’autres (la solidarité a été grande dans le quartier, notamment de la part de certain·es commerçant·es) elle a hébergé des personnes délogées. « Je suis toujours sidérée par l’indécence des dirigeants politiques de cette ville, qui ont quand même assuré dans un premier temps que si les immeubles s’étaient écroulés, c’était la faute de la pluie. Beaucoup pensaient que ce côté destroy faisait partie du charme de la ville. Pour moi, le charme s’est rompu le 5 novembre 2018. » Comme tous et toutes, elle passe souvent devant la banderole où figurent les noms et les visages des huit victimes. L’une se nommait Simona Carpignano, une étudiante italienne de 24 ans. Elle disait qu’il y avait chez elle des fissures si grosses qu’elle voyait le soleil se coucher à travers. Le sol était si gondolé qu’elle n’arrivait plus à fermer la porte de l’appartemen­t. Elle disait, effrayée : « Les murs, ils s’ouvrent. » Pour la rassurer, ses ami·es lui répondaien­t de ne pas s’en faire. Qu’un immeuble, ça ne s’écroule pas comme ça, pas en France.

* La métropole Aix-Marseille-Provence, collectivi­té territoria­le créée le 1er janvier 2016.

 ??  ?? Des membres du Collectif du 5 novembre, qui vient en aide aux délogé·es, à quelques mètres des effondreme­nts survenus rue d’Aubagne, à Marseille.
Des membres du Collectif du 5 novembre, qui vient en aide aux délogé·es, à quelques mètres des effondreme­nts survenus rue d’Aubagne, à Marseille.
 ??  ?? Martin, designer, résidait dans le quartier du Panier. Il vit et travaille depuis dix mois dans une chambre d’hôtel. Dix mois à cuisiner des pâtes dans sa bouilloire électrique et 20 kilos en plus.
Martin, designer, résidait dans le quartier du Panier. Il vit et travaille depuis dix mois dans une chambre d’hôtel. Dix mois à cuisiner des pâtes dans sa bouilloire électrique et 20 kilos en plus.
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Alain et Véronique ont été évacués fin juillet de leur appartemen­t rue Curiol parce qu’un autre immeuble plus loin dans la rue menaçait de s’écrouler. Alain revenait d’un séjour à l’hôpital.
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Anne-Marie et Mohamed (tout à droite), bénévoles du Collectif du 5 novembre. Ils ont installé leur permanence sur la Canebière, à deux pas du centre d’accueil municipal pour les délogé·es.
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Amine (5 ans) avec sa mère, Iryna. Avant d’être relogés, mais à une heure de l’école en métro, ils ont connu des mois d’hôtel pendant lesquels Amine a enchaîné scarlatine, varicelle et otites.
 ??  ?? Julie sur le balcon de son appartemen­t situé cours Lieutaud. Elle a dû batailler et menacer d’entamer une grève de la faim pour ne pas payer la facture d’hôtel où elle a vécu avec ses trois enfants pendant cinq mois. Soit plus de 9 000 euros qui devaient être pris en charge par la Ville.
Julie sur le balcon de son appartemen­t situé cours Lieutaud. Elle a dû batailler et menacer d’entamer une grève de la faim pour ne pas payer la facture d’hôtel où elle a vécu avec ses trois enfants pendant cinq mois. Soit plus de 9 000 euros qui devaient être pris en charge par la Ville.

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