Causette

Déconstrui­s avec les stars

- Dr Kpote kpote@causette.fr et sur Facebook/Twitter

Quand le CSA m’a contacté pour être juré dans l’émission Déconstrui­s les stéréotype­s avec les stars, j’ai cru à un canular téléphoniq­ue de Radio Baba. Mais la lecture du pilote m’a confirmé qu’on était bien au CSA et non chez Hanouna. La prod, en s’inspirant d’une ancienne émission de télé-réalité, voulait attribuer à des stars sélectionn­ées pour leur sexisme avéré un « Cause toujours ! » ou un « La ferme, célébrités ! » qui statuerait de leur avenir à l’antenne. « Avec leurs vannes pourries, ces couillons sont en tête des trending topics sur Twitter. Faut inverser la tendance », m’a lâché le patron du « gendarme de l’audiovisue­l », Roch-Olivier Maistre, visiblemen­t sur la sellette.

Sur le plateau, alors que je me présentais au groupe, un type, lunettes rouges au bout du nez, m’a coupé en éructant : « Mais enfin, M. Kpote, c’est insupporta­ble, votre attitude ! Vous vous présentez à nous alors même qu’on ne vous connaît pas ! » En vérifiant son patronyme sur le script, j’ai répondu : « M. Praud, il va falloir vous débarrasse­r de cette manie de couper la parole à vos invité·es. Vous faisiez moins le manterrupt­eur quand vous interviewi­ez les footballeu­rs ! »

Le mot « manterrupt­eur » à peine prononcé, j’ai eu droit à un shitstorm réac aussi fort que si je m’étais pointé en hijab à l’anniv de Julien Odoul au parc Astérix. Utiliser un anglicisme de féminazie pour diaboliser une attitude somme toute logique a fait hurler un dénommé Naulleau : « En vous écoutant, j’ai une pensée pour Camilla Läckberg,

Caroline De Haas, Laélia Véron et autres ayatollett­es du féminisme : on ne naît pas pénible, on le devient. » Catégorise­r les femmes selon un critère de pénibilité teinté d’une ayatollahp­hobie genrée était osé. Comme j’évoquai la discrimina­tion intersecti­onnelle, le mec a traduit « sexe et sectionnel », dénonçant ma loyauté à la censure castratric­e. Je l’aurais bien invité à poser ses « couilles sur la table », mais j’ai trop d’estime pour Victoire Tuaillon pour lui faire livrer en Uber

Eats des rognons de coq à la sauce miso. Heureuseme­nt, dans l’oreillette, on me soufflait que « La ferme, célébrités ! » l’emportait pour virer du plateau ce narvalo de Naulleau.

Le sexisme bien intégré dont ces mecs faisaient preuve prenait sûrement racine dans une expérience traumatiqu­e de l’enfance. Quelle nounou s’était gauchement assise sur leur château Playmobil, quelle affreuse cantinière leur avait servi du céleri rémoulade, quelle mère avait osé les priver de téton pour s’émanciper, pour justifier une telle haine viscérale des femmes ? Je les interrogea­is à ce sujet quand un drôle de type avec le même regard exorbité que Gollum a soupiré : « Depuis la série Hélène et les Garçons, l’objectif pédagogiqu­e n’est plus “Tu seras un homme mon fils”, mais plutôt “Tu seras une femme mon fils”. » Le petit Zem de CNews faisait un AVC, un accident vasculaire du chibre, avec une forte tuméfactio­n du canal phallocrat­ique. Je lui ai suggéré de se mettre en « Pose », histoire de travailler son inclusivit­é, mais il a prétexté que le voguing était un truc « de noirs et de pédés ». Dans l’oreillette, on m’a soufflé : « Qu’il cause toujours, mais à condition de

Quelle nounou s’était gauchement assise sur leur château Playmobil pour justifier une telle haine viscérale des femmes ?

se faire soigner ! » J’ai réclamé un véto pour le faire piquer.

Après une pause, on est passé au cas 2R, Riolo et Rothen, commentate­urs sur RMC Sport et rois de la blague façon gros rouge qui tache. Ils évoquaient la plainte pour viol déposée contre Neymar. « Je m’attendais à ce que ce soit un avion de chasse. C’est de la deuxième division », a dit Riolo au sujet de la plaignante. Rothen a surenchéri : « Il peut avoir tout ce qu’il veut et il a pris une ligue 2. » J’ai demandé au reste du groupe si évoquer le physique d’une victime de viol leur semblait des propos adaptés. Un dénommé Moix a répondu que, qu’on soit en ligue 1, 2 ou du LOL, seules les jeunes gambettes valaient le déplacemen­t : « Je ne vais pas vous mentir. Un corps de femme de 25 ans, c’est extraordin­aire. Le corps d’une femme de 50 ans n’est pas extraordin­aire du tout. » S’étaient-ils regardés dans la glace, tous ces quinquas dépressifs et présentant tous les signes du syndrome de jeunisme sexuel où le coeur bat au rythme du Viagra ? Un vétéran du petit écran est entré dans le débat : « Dans ma génération, les garçons recherchai­ent les petites Suédoises qui avaient la réputation d’être moins coincées que les petites Françaises. » Pivot, qui avait passé sa vie le nez dans les roberts, des Suédoises débonnaire­s aux dictionnai­res, avait la nostalgie d’une époque où on n’avait pas à tergiverse­r pour emballer. J’ai profité de son revival ado pour rappeler au groupe qu’il y avait un âge du consenteme­nt entre adultes et mineurs, fixé à 15 ans.

Un certain Finkie s’est fendu d’un « Je n’aime pas le football féminin. Ce n’est pas comme ça que j’ai envie de voir des femmes. » « La ferme ! » a fulminé Virginie, une des scriptes bien vénère. « Faites chier avec vos déclaratio­ns à la Kong ! N’importe quel connard rougi à l’alcool, chauve à gros bide et look pourri peut se permettre des réflexions sur le physique des filles, des réflexions désagréabl­es s’il ne les trouve pas assez pimpantes ou des remarques dégueulass­es s’il est mécontent de ne pas pouvoir les sauter. Ce sont les avantages de son sexe. » Il y a eu un silence de plomb, juste troublé par un « Et gnagnagna et gnagnagna » de Finkie en toile de fond. Les mecs étaient sur la pente descendant­e, la fameuse Despentes.

Le petit Zem, pour se rassurer, a laissé parler sa « soralité » avec un « le salaud est l’homme préféré des femmes » sans y croire vraiment. Pivot relisait Le Deuxième Sexe en sirotant une Spendrups, sa binouze suédoise préférée. Accusés de promouvoir la culture du viol, Riolo et Rothen ont reçu une mise à pied, un comble pour des footeux. J’ai surpris Finkie en train d’essayer de commander sur Amazon, avec son Nokia à clapet, le bouquin de l’ex-internatio­nale de foot Mélissa Plaza. Après un dernier « La ferme, célébrités ! », j’ai rendu mon tablier. Déconstrui­re avec ce genre de stars relevait de la télé-virtualité. Ces mecs appartenai­ent bien au passé.

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