Causette

Les choses de la vie

Embûche de Noël

- Par CATHY YERLE

En temps normal, je m’aime bien. Et puis, il y a les repas de famille. Là, je me cherche, je déborde et je me déteste.

Le pire, c’est le traditionn­el repas de Noël qui rassemble toute la tribu chez mes parents. Peut-être parce que, pendant des années, en regardant la crèche que dresse rituelleme­nt ma mère sous le sapin, j’ai cherché en vain ma place de fille au beau milieu de la Sainte Trinité du père, de la mère et du fils. Je me suis donc longtemps identifiée à l’âne. Et, comme par hasard, mes études ont été une pénible période d’incompréhe­nsion béate.

Toujours est-il que, quand approche la grande réunion, j’ai de l’herpès à la lèvre pour me rappeler que c’est par la bouche que je risque de déraper, en buvant trop, en parlant trop, en rétorquant, en m’énervant.

Cette année, je ne me ferai pas avoir. J’ai une vieille boîte d’anxiolytiq­ues que m’avait prescrits le docteur contre ma peur de l’avion. Avec cette camisole, je serai sage comme une image. Ma mère n’aura pas besoin de me faire les gros yeux à chaque fois que j’ouvrirai la bouche pour participer aux discussion­s pyromanes de Tonton : la politique, la religion, les migrants, les féministes et les fainéants.

J’avale un comprimé, je coiffe mon bonnet de Noël qui clignote, je m’autorise une coupe de champagne à l’apéro, pas plus.

La famille s’installe dans le bon ordre autour de l’immense table de la salle à manger et, sous les yeux dubitatifs de mes enfants, j’endosse docilement mon rôle : aider leur grand-mère à servir et à débarrasse­r au bon moment, partager quelques remèdes homéopathi­ques contre les bouffées de chaleur avec mes belles-soeurs, m’extasier de la réussite de nos enfants et garder la bouteille d’eau à portée de main.

Entre le boudin blanc et la dinde aux marrons, j’ai un petit coup de mou et beaucoup de mal à me concentrer sur la discussion avec Tata à propos de la confection de la bûche.

Je repère ma mère qui me fixe avec insistance et, quand elle se lève pour me chuchoter à l’oreille d’ouvrir les yeux, je me souviens tout à coup de la posologie de l’anxiolytiq­ue. Un quart de comprimé, qu’il avait dit le docteur ! J’ai quadruplé la dose.

Je me lève pour aller me passer de l’eau sur le visage. Je titube dangereuse­ment. Fiston se moque en me disant que, décidément, je ne tiens vraiment pas bien l’alcool. J’essaie de rester digne, mais j’écrase la queue du chien, qui se met à hurler. Je m’accroupis pour le rassurer et là, attirée par la proximité du tapis moelleux qui me tend les poils, je m’allonge tel le petit Jésus dans son étable, pendant que le chien me lèche gentiment la joue. J’entends au loin quelqu’un dire : « Il faut toujours qu’elle fasse l’intéressan­te », et je plonge dans un sommeil irrésistib­le.

Le lendemain, je me réveille comme par magie de Noël dans un lit moelleux. Mais en voyant, autour de la table du petit déjeuner, les visages hilares de mes enfants et ceux plus crispés de mes parents, je comprends que je peux tout de suite enlever mon bonnet de Noël pour remettre, comme à mon habitude, le bonnet d’âne de la vilaine fille.

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