POUR LES ADOS, À SOI UNE CHAMBRE
Des murmures et des confidences de l’adolescence nous parviennent d’inquiétants récits : « Le cyberharcèlement peut venir de bons copains, et avec les réseaux, il prend de nouvelles proportions. Tout un lycée ou toute une ville peut être au courant et la famille doit déménager », explique Dr Kpote, animateur de prévention et chroniqueur chez Causette. Ces jeunes gens de 15 ou 16 ans seraient nombreux à redouter l’embrouille de trop, facilitée par les smartphones : « J’entends aujourd’hui des jeunes dire “il n’y a plus d’ami·es”, car on peut balancer un truc sur les réseaux à tout moment. » Enseignante, Flore, confirme : « Ils font des stories en demandant à leurs followers de les juger. C’est malsain, ils se disent des trucs violents qu’on ne se dit pas en face, par exemple : “T’es nul, je ne t’aime pas”.» Comme le résume Charlotte Hervot, journaliste, les réseaux sociaux, pour les plus jeunes, « c’est souvent le baromètre d’une relation ».
Des usagers précurseurs
Si le temps passé connecté inquiète certains adultes, d’autres se veulent rassurants : « Ma petite fille de 15 ans m’a expliqué qu’elle passe la journée à discuter avec ses copines comme moi, à mon époque, j’étais pendue au téléphone ou tout l’après-midi au café avec mes ami·es », explique Marianne, retraitée de 73 ans. « Ils et elles échangent par messages vocaux sur WhatsApp, se racontent des histoires en vidéo sur Insta ou s’envoient des selfies sur Snap. Et sont, surtout, précurseurs des usages », analyse Charlotte Hervot. Scruté·es comme consommateur·trices de demain par l’industrie de la tech, les ados s’inspirent des influenceur·ses et possèdent souvent plusieurs comptes, dont un « finsta », un compte caché sur Instagram réservé à un cercle d’intimes. En retour, les applis, en créant des fonctionnalités comme « close friends », destinées à une liste d’abonné·es réduite, s’adaptent à leurs pratiques.
La chercheuse américaine Danah Boyd 1 aborde les usages digitaux comme un élément ordinaire du quotidien. Selon elle, face aux restrictions de l’espace public et pour mieux se soustraire au contrôle parental, les ados ont créé leurs propres espaces publics pour voir, être vus et explorer librement le monde. S’ils n’ont pas le droit d’aller dans la rue, au centre commercial ou au parc, ils traînent ensemble sur Facebook : les réseaux seraient un révélateur de leur investissement dans le monde. Contrairement à la thèse formulée par la psychologue Sherry Turkle dans Seuls ensemble. De plus en plus de technologies de moins en moins de relations humaines 2, il ne s’agit pas d’un repli sur soi : pensez-y la prochaine fois que vous croisez des ados avachi·es ensemble sur le canapé, penché·es sur leur smartphone. C. G. U
1. C’est compliqué. Les vies numériques des adolescents,
de Danah Boyd, C & F Éditions, 2016.
2. Seuls ensemble. De plus en plus de technologies de moins en moins de relations humaines, de Sherry Turkle. Éd. L’Échappée, 2015.