Sortir du glyphosate, c’est chaud patate !
Il reste pile un an à l’agriculture française pour se passer des « principaux usages » du glyphosate. Au moins trente-six produits à base de ce pesticide seront retirés du marché fin 2020. Mais les « impasses techniques » à sa substitution demeurent.
Et soudain, après des mois de rebondissements, le tempo s’accélère. Le 9 décembre, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a indiqué que, fin 2020, au moins trentesix des soixante-neuf produits phytosanitaires à base de glyphosate existants seront retirés du marché. Avant de prendre des décisions sur les autres produits, d’ici au 31 décembre 2020, l’Anses a choisi de pénaliser d’ores et déjà des fabricants qui n’ont pas fourni suffisamment de « données scientifiques permettant d’écarter tout risque génotoxique ». Un grand coup de pied dans la fourmilière : les trente-six produits représentent « les trois quarts des tonnages vendus ».
« C’est une décision inattendue que nous accueillons avec enthousiasme, indique François Veillerette, directeur de l’ONG Générations futures, qui milite aux niveaux français et européen pour l’interdiction des pesticides. Mais ce n’est pas du tout la fin de l’histoire. Tant que tous les produits contenant du glyphosate ne sont pas retirés du marché, les agriculteurs pourront utiliser ceux encore en vente. » Car au plan de sortie du glyphosate coordonné par le gouvernement viennent se heurter les réalités du monde agricole.
“Solution miracle”
« Cette année, au menu des repas de Noël des familles d’agriculteurs, il y aura forcément des débats sur le glyphosate. J’ai une tante qui a travaillé dans les vignes avec nous, ce n’est pas comme si elle ne connaissait pas le métier. Et malgré ça, elle va se permettre des réflexions sur le fait qu’on en utilise encore, alors que nous n’avons actuellement pas les moyens de nous en passer. » Anaïs Amalric, 30 ans, est viticultrice dans le Gard et attend qu’on veuille bien lui présenter une « solution miracle » pour remplacer l’herbicide mis au ban par le gouvernement via son « plan de sortie du glyphosate ». Dès 2021 – ou en 2023 si sa situation spécifique la place dans le groupe d’exploitant·es bénéficiant d’une rallonge de temps pour s’adapter –, Anaïs devra arrêter d’utiliser le produit phytosanitaire classé cancérogène probable par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) en 2015.
Et vu l’ambition d’Emmanuel Macron de faire de la filière viticole française la « première viticulture sans glyphosate » au monde, il est hautement probable que les viticulteurs et viticultrices soient concerné·es dès le 1er janvier 2021. De fait, agriculteurs et centres de recherche agricole ont engagé une course contre
la montre pour trouver d’ici là des solutions aux « impasses techniques », selon les mots des député·es qui se sont penché·es sur le dossier.
Publié en novembre, un rapport de la mission parlementaire sur le suivi de la stratégie de sortie montre l’étendue des difficultés, en s’appuyant notamment sur un autre rapport, celui des scientifiques de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra). Paru en novembre 2017, ce dernier mettait en lumière le succès de certaines solutions d’évitement du glyphosate. La chasse aux mauvaises herbes qui entrent en concurrence avec les cultures peut, par exemple, passer par « la destruction physique avec le désherbage mécanique » ou encore « le labour pour assurer la destruction des adventices [des mauvaises herbes, ndlr] par enfouissement ».
Investissements coûteux
Les difficultés encore non résolues concernent l’agriculture de conservation, qui a recours à des herbicides pour détruire les couverts, c’est-àdire la végétation plantée entre deux cultures pour fertiliser les sols ; les terrains très caillouteux ou pentus, qui empêchent l’utilisation des véhicules agricoles ; le secteur de la production de semences dans lequel la présence de plantes non désirées ne facilite pas la récolte. D’une manière générale, faire sans ce pesticide bon marché à l’efficacité redoutable, c’est devoir investir pour se rééquiper et encaisser un coût supplémentaire en main-d’oeuvre et en carburant.
« J’ai été frappé par le volontarisme de la profession pour répondre aux nouvelles exigences sociétales, souligne Jean-Luc Fugit, député du Rhône LREM et rapporteur du rapport parlementaire de novembre. Mais il faut accompagner [les agriculteurs] dans cette transition. D’une part, réformer la formation, dans les lycées agricoles et tout au long de la carrière des agriculteurs, pour les aider dans le choix d’alternatives. D’autre part, apporter une aide financière, à travers des mutualisations d’achat de matériels adaptés, au niveau de la PAC [politique agricole commune] par exemple. »
Accompagner la transition
Alors que 24,7 % des agriculteurs et agricultrices sont en situation de pauvreté, selon l’Insee, ceux qui ont sauté le pas reconnaissent que produire sans glyphosate nécessite un important effort financier. Mais « c’est tout à fait possible si on accepte de baisser ses rendements », explique Damien Houdebine, secrétaire national de la Confédération paysanne. Paysan-boulanger, éleveur ovin et producteur en vente directe dans la Sarthe, le jeune homme est un parangon du retour à une agriculture de proximité à taille humaine et du bien consommer qui en découle. Adepte des préparations naturelles peu préoccupantes (PNPP), Damien Houdebine relève que ces produits à base d’extrait de plantes sont utiles pour protéger les cultures des ravages des insectes… Mais qu’elles n’offrent pas de solution contre les adventices. Lui aussi demande « des mesures fortes d’accompagnement » pour permettre la transition de ses collègues.
De son côté, Jean-Luc Fugit presse les ministères de l’Agriculture et de la Transition écologique et solidaire de dissiper les flous. « Nous demandons qu’en juin, au plus tard, la liste des premières filières devant renoncer au glyphosate soit connue pour que les exploitants aient au moins six mois pour se préparer. » C’est finalement l’absence de loi encadrante qui interroge. En refusant, en 2018, d’inscrire l’interdiction du glyphosate dans la loi Agriculture Alimentation, le gouvernement a opté pour un « plan de sortie » qui repose sur le travail d’une administration, l’Anses, à coups de retraits de mise sur le marché. Jean-Luc Fugit, lui, plaide déjà pour que le plan de sortie « s’inscrive dans un calendrier réaliste ».