3 questions à… Jean Ziegler
Jean Ziegler, membre du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, qui publie, le 9 janvier 2020, Lesbos, la honte de l’Europe (éd. Seuil).
Causette : Pourquoi avezvous eu un « choc » en arrivant à Moria, le camp de réfugié·es de Lesbos, en Grèce ?
Jean Ziegler : Pendant les huit ans où j’ai été rapporteur de l’ONU sur le droit à l’alimentation, j’ai vu des choses terribles. Mais rien d’aussi désespérant que ces camps. En Europe, on enferme derrière des barbelés de l’Otan des gens comme vous et moi, souvent pieds nus, sous-alimentés – la distribution de nourriture est affectée par la corruption – sans école ni accès à l’eau potable ou à la médecine. Et le plus effrayant, c’est que le monde le sait, mais personne ne bouge.
Est-ce propre à Moria ?
J. Z. : Non, tous les hotspots [les neuf « centres d’enregistrement » européens, ndlr] s’inscrivent dans une même stratégie de la terreur. On crée ce qui ressemble à des camps de concentration afin qu’en Syrie ou en Irak, les familles survivantes soient découragées de fuir. La criminalisation des sauvetages en Méditerranée répond à ce principe. Tout comme les push back de Frontex, cette organisation européenne qui intercepte des réfugiés en haute mer et les force à faire demi-tour, causant parfois des naufrages. Cette politique – pour laquelle le contribuable européen paie des milliards d’euros – est inhumaine, mais aussi inefficace.
Les réfugié·es de Moria ont-il encore de l’espoir ?
J. Z. : Non. Il y a beaucoup de suicides, on voit aussi beaucoup d’automutilation chez les adolescent·es… Ces persécuté·es n’ont aucun lieu où fuir encore, ni aucune instance vers laquelle se tourner. Sauf la conscience européenne. Seule l’opinion publique pourra faire changer les choses. Si demain il y a un mouvement social puissant contre cette politique inadmissible, les gouvernements seront obligés de changer.