Causette

6 août 1942 : Janusz Korczak est déporté avec “ses” orphelins

Il consacra sa vie entière aux orphelins juifs jusqu’à ce jour d’août 1942 où il accompagna deux cents enfants vers les camps de la mort. L’oeuvre de ce médecin juif polonais, éducateur et écrivain inspira la Convention internatio­nale des droits de l’enfa

- Par LAURENCE GARCIA

Au petit matin du 6 août 1942, le docteur Janusz Korczak marche lentement, tenant par la main deux jeunes enfants. Derrière lui, les autres petits, bien en rang, lui emboîtent le pas, dans le silence et leurs plus beaux habits, encerclés par les soldats SS qui les emmènent vers les camps de la mort. La scène se passe dans le ghetto de Varsovie (Pologne). Deux ans auparavant, l’armée allemande y a transféré l’orphelinat créé trente ans plus tôt dans cette même ville par cet incroyable éducateur et figure de la pédagogie de l’enfance que fut Janusz Korczak. Tous ces bambins réveillés à l’aube sont orphelins, mineurs et juifs.

À la tête de ce funeste cortège, leur éducateur arbore son uniforme d’officier polonais et refuse de porter l’étoile jaune. Il a refusé le chantage de ses bourreaux : la vie sauve à la condition d’abandonner ses pupilles. Impensable pour cet homme dont l’orphelinat était la raison de vivre. Janusz Korczak aurait pu s’évader des dizaines de fois durant ces longs mois de captivité, mais il a préféré, tous les deux jours, passer de l’autre côté du mur du ghetto d’où il rapporte un bout de pain et de l’eau à « ses » petits. Jusqu’à ce funeste matin d’août 1942, qui sera leur dernier jour à tous. Le médecin (accompagné d’une dizaine de soignants dont Stefania Wilczynska) embarque alors avec les orphelins dans le train de la mort qui va les conduire aux chambres à gaz du camp d’exterminat­ion nazi de Treblinka.

Né à Varsovie en 1878 dans la Pologne occupée par la Russie, au sein d’une famille de l’intelligen­tsia juive aisée et laïque, Henryk Goldszmit (de son vrai nom) suit une scolarité à l’école russe « stricte, assommante et sévère », comme il l’écrit dans son autobiogra­phie Journal du ghetto, à une époque où les professeur­s avaient le droit de fouetter les élèves. Il a 12 ans quand son père, avocat, est interné dans un asile d’aliénés où il se suicide. À peine majeur, Henryk commence à écrire des romans, mais surtout à travailler comme précepteur pour faire vivre sa mère et sa soeur. Il choisit la médecine comme son grandpère, estimant que « l’écriture ce sont des mots, la médecine des actes ». Finalement, il fera les deux.

Toujours du côté des parias

En 1905, il est mobilisé comme médecin militaire dans l’armée russe, en guerre avec le Japon. « La guerre est une abominatio­n. Avant d’entrer en guerre, une nation devrait prendre le temps de penser aux enfants innocents qui vont être blessés, tués ou se retrouver orphelins. Il faut penser aux enfants avant de faire la révolution », peut-on lire dans son livre traduit en français et publié en 1918 sous le titre Comment aimer un

enfant. À son retour, il soigne gratuiteme­nt les familles pauvres dans les hôpitaux de Varsovie et réclame de gros honoraires à ses clients fortunés. Il y a chez Korczak un côté Robin des Bois, toujours du côté des parias.

En 1912, à 34 ans, le pédiatre quitte son cabinet pour ouvrir Dom Sierot (La Maison des orphelins), à Varsovie, pour les enfants juifs. À l’époque, il est inconcevab­le d’élever ensemble les petits juifs et des Polonais d’éducation catholique. Là-bas, où il vit sept jours sur sept, faisant le choix de ne pas fonder de famille, il crée une émission de radio pour les enfants : Les Causeries du vieux docteur, qui vont le rendre célèbre. Mais, surtout, il invente un orphelinat d’avant-garde, fonctionna­nt sur le modèle d’une véritable république autogérée par les enfants, avec sa constituti­on, son journal et son tribunal. Korczak lui-même doit rendre des comptes et peut lui aussi être jugé par les gamins pour abus d’autorité ! À l’issue des procès, les sanctions consistent à présenter ses excuses et à demander pardon. Jamais il n’y a de punition. Le pédagogue porte un regard novateur sur les marmots, considéran­t que « l’enfant ne devient pas un homme, il en est déjà un ».

Le contrat social

Cet homme visionnair­e, reconnu comme l’un des précurseur­s de l’autogestio­n pédagogiqu­e de l’École nouvelle parle, déjà à l’époque, d’autoéducat­ion des enfants. Chacun a une mission à tour de rôle, l’un réveille la chambrée le matin quand l’autre débarrasse la table. Et Korczak n’est pas le dernier à faire la vaisselle pour montrer l’exemple ! Le culte du travail ne passe pas par la compétitio­n, mais par la coopératio­n entre tous. Il est convaincu avant tout le monde qu’enfants et adultes sont égaux et doivent établir, un peu à la manière de Jean-Jacques Rousseau, un contrat social reposant sur le droit au bonheur et au respect des mineurs.

En 1924, quand la Société des nations adopte la Déclaratio­n de Genève sur les droits de l’enfant, Korczak est furieux contre ce texte qu’il ne juge pas assez contraigna­nt. Lui revendique des sanctions envers ces adultes qui violent les droits des enfants.

Mais il y a trente ans, justice lui est rendue quand les Nations unies adoptent la Convention internatio­nale des droits de l’enfant, inspirée, elle, du manifeste de Korczak, Le Droit de l’enfant au respect, rédigé en 1928. Une victoire posthume pour ce « vieux docteur » qui, ayant connu l’occupation de son pays et deux guerres, était convaincu que seule une éducation juste et bienveilla­nte pouvait éviter les répétition­s tragiques de l’Histoire. Une belle utopie… Dans le monde d’aujourd’hui, un enfant meurt de faim toutes les cinq secondes.

“Avant d’entrer en guerre, une nation devrait prendre le temps de penser aux enfants innocents qui vont être blessés, tués ou se retrouver orphelins”

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 ??  ?? Janusz Korczak avec les enfants de l’orphelinat de la rue Krochmalna, à Varsovie, en Pologne, avant qu’il ne soit transféré dans le ghetto.
Janusz Korczak avec les enfants de l’orphelinat de la rue Krochmalna, à Varsovie, en Pologne, avant qu’il ne soit transféré dans le ghetto.

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