Viagra féminin : c’est pas encore le pied
Si les labos pharmaceutiques testent des traitements pour booster notre libido, leurs solutions ne sont pas miraculeuses, voire potentiellement dangereuses.
Vers la fin des années 1990, le viagra a été le premier médicament mis en vente pour traiter les dysfonctions érectiles. Depuis, rien d’équivalent n’a été commercialisé pour faire se dresser le clitoris… Pourtant, certains laboratoires pharmaceutiques se sont bien attelés à l’élaboration de traitements censés répondre à ce juteux marché que représentent pour eux les « troubles du désir sexuel féminin ». Mais les résultats ne font pas grimper aux rideaux.
Arguments féministes
Voyez plutôt. En 2015, la Food and Drug Administration (FDA), l’agence américaine du médicament, autorise la mise sur le marché aux États-Unis de la flibansérine, vendue sous le nom Addyi. Un médicament qui agit sur les neurotransmetteurs impliqués dans le circuit du plaisir, censé aider les femmes souffrant d’un manque de libido chronique à l’aide d’une prise quotidienne. La pilule est rose et la campagne de communication s’appuie sur des arguments féministes, dans l’idée de réparer ce qui ressemblait à une inégalité entre hommes et femmes. Sauf que la FDA avait d’abord refusé, à deux reprises, la commercialisation de la flibansérine en raison de son efficacité limitée et de ses effets secondaires : vertiges, hypotension, perte de connaissance. Loin de la révolution du désir ! L’agence du médicament est alors accusée d’avoir cédé à l’intense lobbying du laboratoire, davantage qu’à un désir d’égalité.
De plus, le mode d’action du médicament interroge. Pourquoi avoir travaillé à un traitement visant la composante neuronale et non physiologique – lubrification, gonflement du clitoris – du désir féminin ? La flibansérine,
présentée comme un Viagra pour femmes, n’en est pas un. Ce dernier traite en effet les pannes d’érection par son action vasodilatatrice, pas le manque d’appétit sexuel, sujet autrement épineux. « Le Viagra aide les hommes qui veulent avoir des relations sexuelles, mais ne sont pas capables de le faire physiologiquement. En revanche, Addyi modifie la chimie du cerveau chez les femmes pour les aider à vouloir avoir des relations sexuelles », souligne l’organisme américain indépendant National Women’s Health Network.
Cela interroge aussi la façon dont on diagnostique un trouble du désir. « Sans désir, la femme peut ne pas assimiler l’absence de sexualité à une souffrance. En revanche, ce sont souvent les conséquences de cette situation qui l’amèneront à consulter. La peur de perdre son partenaire, la crainte de ne pas être comme les autres dans un contexte sociétal très normatif sont les motifs les plus fréquents de consultation », pointent les docteures Florence Cour et Mireille Bonierbale dans leurs recherches à ce sujet.
Charge mentale
Autrement dit, la prise de flibansérine pourrait n’être qu’une couche supplémentaire de charge mentale pour celles qui devraient avaler une pilule en vue de se conformer à un modèle masculin considéré comme normal, plutôt que de prendre en compte les causes extérieures de cette baisse de désir : relation insatisfaisante, anxiété, fatigue, poids des normes. Cette conception des choses contribuerait donc à rendre pathologiques les aléas de la libido des femmes. « Partir de l’hypothèse qu’elles n’ont pas envie parce que “psychologiquement” elles n’ont pas de désir, c’est très réducteur, appuie Marie-Hélène Stauffacher, sexologue. D’autant que, souvent, elles n’ont pas ce problème quand elles vont tester leur libido auprès d’un autre partenaire ou quand elles se remettent en couple avec une autre personne. » (Lire l’encadré.)
Enfin, les fondements mêmes de l’invention du Viagra pourraient être contestés, en ce qu’ils renforcent certaines injonctions à la virilité « en valorisant à la fois une vision purement physique de la panne sexuelle et une représentation “érectocentrique” de la sexualité », note François Kraus, chargé du pôle « Genre, sexualités et santé sexuelle » à l’Ifop. Et ce, « alors même que la pénétration n’est pas toujours le mode de stimulation le plus adapté au plaisir des femmes ». Malgré tout, pour Marie-Hélène Stauffacher, « le problème est tout de même trop important pour ne pas chercher de solution médicale comme pour les hommes ». Il se trouve que, justement, des chercheur·ses ont aussi planché sur un aphrodisiaque agissant sur la dimension physique de l’excitation sexuelle féminine. Par exemple, en associant le même principe actif que celui du Viagra à de la testostérone, pour une prise ponctuelle avant un rapport sexuel. Une étude menée sur cinq cents femmes a montré que ce traitement, le Lybrido, augmentait « significativement » le nombre de rapports sexuels satisfaisants sur une période donnée. Sa commercialisation attend encore d’être approuvée. Pire, certain·es professionnel·les craindraient qu’il ne soit trop efficace ! « Plusieurs consultants dans le domaine m’ont confié que les laboratoires pharmaceutiques s’inquiétaient de leurs résultats, qui seraient trop bons. Et, surtout, que la FDA risquait de le rejeter, craignant que les femmes débordent de libido et deviennent des infidèles frénétiques », affirme un journaliste du New York Times qui a enquêté sur le sujet.
En revanche, en juin 2019, le Vyleesi, lui, a bien obtenu le feu vert de la FDA aux États-Unis. C’est à n’y rien comprendre. Ce médicament, qui s’administre à l’aide d’un stylo auto-injectable avant un rapport sexuel, contient de la brémélanotide, une molécule reproduisant l’action d’une hormone impliquée dans le désir sexuel. Un essai clinique n’a pas conclu à une augmentation du nombre de rapports satisfaisants et a mis en lumière des effets secondaires fréquents comme des nausées et des vomissements. Sa commercialisation a d’ailleurs suscité les critiques du National Women’s Health Network, dissuadant les femmes de s’en procurer. Son communiqué pointe notamment le manque d’informations quant à son innocuité, avant de conclure que, décidément, « les femmes méritent mieux ».
“Le problème est tout de même trop important pour ne pas chercher de solution médicale comme pour les hommes” Marie-Hélène Stauffacher, sexologue