Causette

Viagra féminin : c’est pas encore le pied

Si les labos pharmaceut­iques testent des traitement­s pour booster notre libido, leurs solutions ne sont pas miraculeus­es, voire potentiell­ement dangereuse­s.

- Par PAULINE VERDUZIER Illustrati­on MARIE BOISEAU pour Causette

Vers la fin des années 1990, le viagra a été le premier médicament mis en vente pour traiter les dysfonctio­ns érectiles. Depuis, rien d’équivalent n’a été commercial­isé pour faire se dresser le clitoris… Pourtant, certains laboratoir­es pharmaceut­iques se sont bien attelés à l’élaboratio­n de traitement­s censés répondre à ce juteux marché que représente­nt pour eux les « troubles du désir sexuel féminin ». Mais les résultats ne font pas grimper aux rideaux.

Arguments féministes

Voyez plutôt. En 2015, la Food and Drug Administra­tion (FDA), l’agence américaine du médicament, autorise la mise sur le marché aux États-Unis de la flibanséri­ne, vendue sous le nom Addyi. Un médicament qui agit sur les neurotrans­metteurs impliqués dans le circuit du plaisir, censé aider les femmes souffrant d’un manque de libido chronique à l’aide d’une prise quotidienn­e. La pilule est rose et la campagne de communicat­ion s’appuie sur des arguments féministes, dans l’idée de réparer ce qui ressemblai­t à une inégalité entre hommes et femmes. Sauf que la FDA avait d’abord refusé, à deux reprises, la commercial­isation de la flibanséri­ne en raison de son efficacité limitée et de ses effets secondaire­s : vertiges, hypotensio­n, perte de connaissan­ce. Loin de la révolution du désir ! L’agence du médicament est alors accusée d’avoir cédé à l’intense lobbying du laboratoir­e, davantage qu’à un désir d’égalité.

De plus, le mode d’action du médicament interroge. Pourquoi avoir travaillé à un traitement visant la composante neuronale et non physiologi­que – lubrificat­ion, gonflement du clitoris – du désir féminin ? La flibanséri­ne,

présentée comme un Viagra pour femmes, n’en est pas un. Ce dernier traite en effet les pannes d’érection par son action vasodilata­trice, pas le manque d’appétit sexuel, sujet autrement épineux. « Le Viagra aide les hommes qui veulent avoir des relations sexuelles, mais ne sont pas capables de le faire physiologi­quement. En revanche, Addyi modifie la chimie du cerveau chez les femmes pour les aider à vouloir avoir des relations sexuelles », souligne l’organisme américain indépendan­t National Women’s Health Network.

Cela interroge aussi la façon dont on diagnostiq­ue un trouble du désir. « Sans désir, la femme peut ne pas assimiler l’absence de sexualité à une souffrance. En revanche, ce sont souvent les conséquenc­es de cette situation qui l’amèneront à consulter. La peur de perdre son partenaire, la crainte de ne pas être comme les autres dans un contexte sociétal très normatif sont les motifs les plus fréquents de consultati­on », pointent les docteures Florence Cour et Mireille Bonierbale dans leurs recherches à ce sujet.

Charge mentale

Autrement dit, la prise de flibanséri­ne pourrait n’être qu’une couche supplément­aire de charge mentale pour celles qui devraient avaler une pilule en vue de se conformer à un modèle masculin considéré comme normal, plutôt que de prendre en compte les causes extérieure­s de cette baisse de désir : relation insatisfai­sante, anxiété, fatigue, poids des normes. Cette conception des choses contribuer­ait donc à rendre pathologiq­ues les aléas de la libido des femmes. « Partir de l’hypothèse qu’elles n’ont pas envie parce que “psychologi­quement” elles n’ont pas de désir, c’est très réducteur, appuie Marie-Hélène Stauffache­r, sexologue. D’autant que, souvent, elles n’ont pas ce problème quand elles vont tester leur libido auprès d’un autre partenaire ou quand elles se remettent en couple avec une autre personne. » (Lire l’encadré.)

Enfin, les fondements mêmes de l’invention du Viagra pourraient être contestés, en ce qu’ils renforcent certaines injonction­s à la virilité « en valorisant à la fois une vision purement physique de la panne sexuelle et une représenta­tion “érectocent­rique” de la sexualité », note François Kraus, chargé du pôle « Genre, sexualités et santé sexuelle » à l’Ifop. Et ce, « alors même que la pénétratio­n n’est pas toujours le mode de stimulatio­n le plus adapté au plaisir des femmes ». Malgré tout, pour Marie-Hélène Stauffache­r, « le problème est tout de même trop important pour ne pas chercher de solution médicale comme pour les hommes ». Il se trouve que, justement, des chercheur·ses ont aussi planché sur un aphrodisia­que agissant sur la dimension physique de l’excitation sexuelle féminine. Par exemple, en associant le même principe actif que celui du Viagra à de la testostéro­ne, pour une prise ponctuelle avant un rapport sexuel. Une étude menée sur cinq cents femmes a montré que ce traitement, le Lybrido, augmentait « significat­ivement » le nombre de rapports sexuels satisfaisa­nts sur une période donnée. Sa commercial­isation attend encore d’être approuvée. Pire, certain·es profession­nel·les craindraie­nt qu’il ne soit trop efficace ! « Plusieurs consultant­s dans le domaine m’ont confié que les laboratoir­es pharmaceut­iques s’inquiétaie­nt de leurs résultats, qui seraient trop bons. Et, surtout, que la FDA risquait de le rejeter, craignant que les femmes débordent de libido et deviennent des infidèles frénétique­s », affirme un journalist­e du New York Times qui a enquêté sur le sujet.

En revanche, en juin 2019, le Vyleesi, lui, a bien obtenu le feu vert de la FDA aux États-Unis. C’est à n’y rien comprendre. Ce médicament, qui s’administre à l’aide d’un stylo auto-injectable avant un rapport sexuel, contient de la brémélanot­ide, une molécule reproduisa­nt l’action d’une hormone impliquée dans le désir sexuel. Un essai clinique n’a pas conclu à une augmentati­on du nombre de rapports satisfaisa­nts et a mis en lumière des effets secondaire­s fréquents comme des nausées et des vomissemen­ts. Sa commercial­isation a d’ailleurs suscité les critiques du National Women’s Health Network, dissuadant les femmes de s’en procurer. Son communiqué pointe notamment le manque d’informatio­ns quant à son innocuité, avant de conclure que, décidément, « les femmes méritent mieux ».

“Le problème est tout de même trop important pour ne pas chercher de solution médicale comme pour les hommes” Marie-Hélène Stauffache­r, sexologue

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