Causette

Bonne année, sa maire

- Par CATHY YERLE

On ne naît pas maire, on le devient. C’est ce que dit ma copine Julie, qui se présente comme tête de liste aux élections municipale­s de notre petit village montagnard. Elle dit aussi qu’elle en a marre de laisser aux hommes la direction de nos vies, qu’il n’y a que 16 % de femmes maires en France et qu’il faut prendre nos responsabi­lités.

Julie fait grincer beaucoup de dents. Peut-être parce que c’est une femme, qu’elle est noire, et qu’elle a pris une majorité de colistière­s, à l’inverse de ce qui se pratique depuis toujours dans notre commune de moins de mille habitants, qui n’a aucune obligation de parité*, comme le sait très bien monsieur le maire entouré de son équipe d’adjoints moustachus.

Donc, quand l’été dernier Julie m’a suppliée : « J’ai besoin de toi. » Je lui ai répondu : « Je n’ai pas le temps, le boulot, les enfants, la maison, le yoga… » Elle a dit, avec un petit sourire désolé : « Tu vois, c’est comme ça qu’ils nous tiennent, les maîtres du monde ! »

Touchée en plein coeur, j’ai donc décidé de faire de la procréatio­n amicalemen­t assistée pour l’aider à devenir maire. Depuis, je distribue des tracts sur le marché, je bois l’apéro au troquet tous les dimanches midi, je joue au Scrabble avec le club du troisième âge, je suis colleuse d’affiches, je fais la sécurité dans les réunions pour que personne ne balance d’insultes, comme l’ignoble lâche qui, une nuit, a bombé « nique ta maire » sous le dessin d’un singe, sur la maison de Julie.

Ce soir, j’accompagne ma candidate à la cérémonie des voeux du maire et j’ai pour consigne de surveiller qu’il ne se serve pas de cette tribune pour faire campagne, comme l’interdit formelleme­nt la loi en période préélector­ale. En renfort, j’ai réquisitio­nné ma mère et ses copines de la chorale, ravies à la perspectiv­e de s’envoyer du champagne et des petits-fours.

Dans la salle des fêtes, l’élu est sur son trente et un, le poil gominé, l’oeil luisant, escorté par ses adjoints en rang d’oignons. Il serre conscienci­eusement la totalité des paluches des habitant·es qui affluent pour se rincer le gosier à l’oeil. Puis il prend le micro et souhaite longuement ses voeux de bonne année quand, patatras, il ne résiste pas à l’envie d’évoquer le bilan extraordin­airement positif de ses actions qu’il compte bien continuer si…

Immédiatem­ent, ma mère et sa brigade entonnent un chant polyphoniq­ue tonitruant qui coupe net le sifflet de l’édile. Puis, sur la dernière note, Julie se perche sur un banc et commence à chanter de sa belle voix puissante

Montagnes Pyrénées, que tout le village reprend en choeur.

À la fin, le capitaine de l’équipe de rugby, enthousias­te, salue la prestation et lance un sonore : « Elle a des couilles, cette petite ! » Alors ma mère, galvanisée par les chants, se précipite sur le gaillard en agitant l’index sous son nez :

« Faux, mon p’tit Tonio ! Ce ne sont pas des couilles qu’elle a, notre Julie, mais des ovaires, et n’oublie pas qu’elle pourrait être ta maire ! » Puis elle a crié « champagne ! » et tout le monde s’est rué sur le buffet, sous les yeux de monsieur le maire, resté sans voix.

* La parité des listes électorale­s n’est pas obligatoir­e dans les communes de moins de mille habitants.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France