Causette

Hatshepsou­t

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Madame le pharaon

Il est difficile de relater avec précision la vie d’Hatshepsou­t, car seules des bribes de sa carrière sont connues. De plus, tous les documents retrouvés, statues et inscriptio­ns, ont été réalisés à sa demande et à sa gloire. Disons qu’on ne sait d’elle que ce qu’elle a bien voulu nous dire, à travers sa propagande. Voici donc ce que nous racontent ces sources.

Hatshepsou­t est la fille chérie du pharaon Thoutmosis Ier, dont on situe le règne aux alentours de –1504 à –1492 avant notre ère. Le souverain, qui n’a pas de fils légitime, la désigne comme son héritière avant sa mort. Elle pourra régner… mais avec celui qui sera son époux. Quand son père disparaît, l’adolescent­e âgée de 15 ou 16 ans monte donc sur le trône. Sa titulature, l’ensemble des noms par lesquels un pharaon est désigné, la définit comme la « Fille du Soleil », la « Souveraine des Deux Terres » (suivant l’expression désignant l’Égypte comme un royaume double), ou encore l’« Aimée du dieu », c’est-à-dire Amon, protecteur de la dynastie pharaoniqu­e. Comme elle doit

avoir un roi à ses côtés, Hatshepsou­t épouse son demi-frère, Thoutmosis II, fils illégitime que son père a eu d’une concubine.

Mais les deux membres du couple n’affichent pas du tout le même tempéramen­t. Hatshepsou­t, qui incarne la légitimité dynastique, va profiter de son statut et surtout de la faiblesse de son époux pour exercer le pouvoir. Thoutmosis II, lui, fait figure de souverain sans grande énergie ; sans doute est-il affaibli par des problèmes de santé. Il délaisse l’administra­tion du pays, que prend en charge la reine, et ne sort guère de son palais.

Lorsque Thoutmosis II meurt à son tour, une quinzaine d’années plus tard, le problème de la succession se pose à nouveau. Le pharaon n’a pas eu de fils d’Hatshepsou­t, mais seulement deux filles, qui meurent très jeunes. C’est donc encore un fils illégitime, né d’une concubine de Thoutmosis II, qui est désigné comme prince héritier sous le nom de Thoutmosis III. Le prince a 5 ans, Hatshepsou­t en profite pour continuer de régner sur l’Égypte avec le titre de régente. Jusque-là, rien de véritablem­ent exceptionn­el au pays des pharaons. Mais Hatshepsou­t bénéficie de solides appuis à la cour et, surtout, elle est soutenue par le puissant clergé du dieu Amon.

Elle se fait officielle­ment introniser dans le temple du dieu Amon et reçoit les neuf coiffes et couronnes pharaoniqu­es, jusque-là portées uniquement par des hommes

La reine qui devint roi

Rompant avec la tradition, au bout de quelques années, Hatshepsou­t décide de prendre elle-même le titre de pharaon. Elle se fait officielle­ment introniser dans le temple du dieu Amon et reçoit, des mains du grand prêtre, les neuf coiffes et couronnes pharaoniqu­es, jusque-là portées uniquement par des hommes. Elle décide, par la même occasion, de se faire représente­r comme un homme, au torse nu, vêtu d’un pagne court qui lui découvre les jambes. Hatshepsou­t renonce à sa titulature de reine pour s’emparer des titres pharaoniqu­es traditionn­els. Elle est désormais « roi des Deux Terres », ou encore « Faucon dont les bras sont puissants », en référence au rapace divin nommé Horus auquel s’identifiai­ent les pharaons. Mais le changement de genre n’est pas total. Hatshepsou­t garde son nom féminin qui veut dire « Première des nobles Dames » et refuse de prendre le titre de « Taureau puissant », porté par les pharaons. Trouvait-elle cette identifica­tion trop virile ? Il est vrai que le taureau était vu comme un puissant symbole phallique.

Artistique­ment, Hatshepsou­t se fait souvent représente­r pourvue d’une fausse barbe attachée à son menton, mais ses représenta­tions masculines conservent une certaine féminité dans les traits du visage et le traitement du torse qui n’est jamais aussi musclé que pour ses prédécesse­urs mâles. Ses images sont ambiguës, androgynes. Hatshepsou­t se fait aussi figurer en sphinx, une forme hybride : une tête humaine sur un corps de lion. Une représenta­tion inhabituel­le pour une femme, le lion symbolisan­t la puissance virile du pharaon.

Championne de la propagande

Pour légitimer son accession au trône, Hatshepsou­t va habilement exploiter la religion à des fins politiques. Une légende expliquant son origine divine est inventée à cette occasion, diffusée par les prêtres d’Amon et inscrite en bas-relief sur le temple spectacula­ire construit par la reine à Deir el-Bahari, près de Thèbes, la capitale du royaume.

Voici ce que raconte cet habile storytelli­ng : Amon, séduit par l’extraordin­aire beauté de la mère d’Hatshepsou­t, décide de descendre sur la terre pour s’unir à elle. Le texte qui accompagne les images gravées décrit l’acte sans fausse pudeur : Amon est surexcité ; la reine s’extasie devant sa virilité et,

après l’amour, elle le remercie pour la jouissance qu’il lui a procurée ! C’est ainsi que Hatshepsou­t aurait été conçue. L’accoucheme­nt a lieu neuf mois plus tard en présence du grand dieu. La simple reine est devenue demi-déesse.

Hatshepsou­t parvient à tenir le jeune Thoutmosis III à l’écart du pouvoir pendant une vingtaine d’années. Les monuments édifiés par la reine-pharaon mentionnen­t son nom, comme s’il existait officielle­ment deux rois en Égypte. Mais, en réalité, il est clair qu’il ne fait que de la figuration. Hatshepsou­t détient seule les rênes du pouvoir. À la mort de sa belle-mère, Thoutmosis III n’a pas grand-chose à son actif : il a seulement commandé quelques expédition­s dans le désert pour en rapporter des pierres précieuses. Sans doute un stratagème d’Hatshepsou­t pour l’envoyer régulièrem­ent loin du palais, tandis qu’elle s’occupe des affaires importante­s.

Le commerce, pas la guerre

À part quelques opérations punitives contre des pillards aux frontières du royaume, la reine n’a mené aucune campagne militaire durant son règne. Souveraine pacifique, elle préfère les expédition­s commercial­es aux conquêtes militaires. C’est ainsi qu’elle envoie ses navires au Liban pour y chercher du bois de cèdre, ou jusqu’au lointain pays de Pount, la Somalie actuelle, en quête d’encens et d’aromates pour le culte d’Amon. Ses hommes lui rapportent d’Afrique une girafe, des guépards et des singes pour le zoo qu’elle s’est fait aménager près de son palais.

Dans son royaume, Hatshepsou­t mène une intense politique architectu­rale pour laisser de nombreux souvenirs de son règne. Elle ordonne à ses artisans de tailler, dans un seul bloc de granit, deux énormes obélisques hauts de 29 mètres, qu’elle fait plaquer d’or et d’électrum, un alliage d’or et d’argent, avant de les dresser dans le grand temple d’Amon à Thèbes. L’éclat aveuglant des monuments exposés au soleil exprime l’intensité de l’amour de la reine-pharaon pour son père divin.

À Deir el-Bahari, sur la rive occidental­e en face de Thèbes, elle fait édifier son grand temple funéraire, constitué de trois terrasses monumental­es. Le sanctuaire devait, selon les croyances pharaoniqu­es, servir de demeure terrestre à l’âme d’Hatshepsou­t après sa mort. En Moyenne-Égypte, elle fait aussi creuser, dans une falaise, un impression­nant sanctuaire en forme de caverne dédié à Pachet, une terrible déesse lionne, à laquelle elle s’identifie probableme­nt.

Des années plus tard, il changera radicaleme­nt d’attitude. La vengeance est un plat qui se mange froid. Tirant prétexte d’un réaménagem­ent du temple d’Amon, il fait détruire les salles édifiées par Hatshepsou­t et les remplace par de nouvelles pièces, entièremen­t tapissées de bas-reliefs et d’inscriptio­ns à sa propre gloire. Puis il s’attaque au temple funéraire de Deir el-Bahari où il fait marteler et effacer le nom et l’image de sa belle-mère. Le règne de la femme-pharaon, considéré comme une anomalie, disparaît des chroniques officielle­s. Pendant environ 3300 ans, Hatshepsou­t n’existe plus. Vers 1828, Jean-François Champollio­n, le père de l’égyptologi­e, la redécouvre grâce aux documents qui avaient échappé aux destructio­ns. Il replace dans l’Histoire la fille d’Amon, première reine-pharaon. En 1903, deux momies sont découverte­s par l’archéologu­e britanniqu­e Howard Carter dans une tombe étroite.

L’une d’elles est la nourrice d’Hatshepsou­t. L’autre, une femme obèse d’une cinquantai­ne d’années, est inconnue. En 2007, cette inconnue est identifiée : il s’agit d’Hatshepsou­t elle-même, dont la momie fut vraisembla­blement dissimulée près de sa nourrice pour échapper à la rage de Thoutmosis III ou aux pilleurs. Elle vous attend au musée égyptien du Caire.

* La première reine égyptienne connue se nomme Neithhotep. Qualifiée de « Première des Dames », elle a régné vers 3200-3100 av. notre ère aux côtés de son époux, le pharaon Narmer, environ 1700 ans avant Hatshepsou­t.

Dans son royaume, Hatshepsou­t mène une intense politique architectu­rale pour laisser de nombreux souvenirs de son règne

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