Causette

Harriet Tubman

Née esclave aux environs de 1820 dans le Maryland, Harriet Tubman va se défaire de ses chaînes en s’enfuyant vers le nord des États-Unis. Elle rejoint l’Undergroun­d Railroad, une organisati­on secrète qui aide des esclaves noirs à passer du Sud vers le Nor

- Par ANNA CUXAC

L’enchaînée déchaînée

Que peut bien ressentir une personne qui, à l’approche de ses 30 ans, se retrouve soudaineme­nt libre après une vie de servage ? « Quand je me rendis compte que j’avais passé la frontière, je regardai mes mains pour voir si j’étais toujours la même personne, raconte, en 1869, Harriet Tubman à sa biographe Sarah Bradford. Tout autour devint splendeur. Le soleil doré traversa les arbres et se répandit sur les champs : j’étais comme au paradis. » Nous sommes alors en 1849 et l’esclave noire a réussi l’exploit de traverser la frontière entre le Maryland, État esclavagis­te, et la Pennsylvan­ie, où l’esclavage est aboli comme dans tout le nord des États-Unis. C’est grâce à sa foi et à son audace qu’elle a pris la route seule, au mépris des risques. Bientôt, elle n’a plus qu’une idée en tête : revenir pour récupérer sa fratrie, afin de lui faire goûter son privilège de fuyarde : la liberté.

C’est qu’Harriet vient d’une famille nombreuse, elle a huit frères et soeurs, et les liens qui l’attachent à sa famille sont puissants. Née Araminta Ross dans le Maryland en 1820 (ou 1821 ou 1822 selon d’autres estimation­s) de parents esclaves, Harriet et Ben, elle choisit de porter le prénom de sa mère pour lui rendre hommage. Elle a connu le pire. Nourrice en « location » dès 6 ans, elle est rossée par sa maîtresse lorsqu’elle ne parvient pas à calmer les pleurs du bébé dont elle a la garde. « Comme l’immense majorité des esclaves, Harriet a subi nombre de sévices, humiliatio­ns et violences, nous explique Anne Garrait-Bourrier, professeur­e des études culturelle­s nord-américaine­s à l’université Clermont-Auvergne. La seule chose à laquelle elle ait échappé, c’est d’être engrossée par un maître. » Petite, après avoir reçu un poids sur le crâne, lancé par un maître qui voulait viser un autre esclave, elle devient sujette à la narcolepsi­e pour le restant de sa vie. « Dans ces moments d’endormisse­ment, explique Anne Garrait-Bourrier, la très pieuse Harriet a des visions dans lesquelles Dieu lui parle, ce qui aura une importance pour la suite. » En attendant, une esclave qui s’endort sans prévenir n’est pas une main d’oeuvre très utile et Harriet rapporte à Sarah Bradford qu’elle ne vaut « même pas six pence » aux yeux des maîtres blancs.

Des esclaves fuyant le Maryland pour le Delaware par l’Undergroun­d Railroad, le « chemin de fer » clandestin. Artiste inconnu, 1850-1851.

Maltraitée par toutes celles et ceux chez qui elle passe, elle décide, en 1849, de s’enfuir. « À cette époque, cela fait un an que la traite négrière a officielle­ment été stoppée entre les États-Unis et l’Afrique via l’Europe, expose Anne Garrait-Bourrier. Cela a pour effet de renforcer la brutalité systémique sur les femmes esclaves, qui deviennent des mannes reproducti­ves. Certaines sont séparées de leur enfant à la naissance. » Harriet parle de son projet de fuite à John Tubman, avec qui elle s’est mariée en 1844. Mais cet homme noir est libre et, n’étant pas esclave, ne voit pas l’intérêt de quitter le Maryland. Elle tente une première évasion avec deux de ses frères, qui rebroussen­t chemin après plusieurs jours de marche, de peur de se faire coincer par des chasseurs d’esclaves. Elle recommence, seule, en suivant l’étoile Polaire pour s’orienter vers le nord, ainsi que lui a appris son père. Sur sa route, longue de plusieurs milliers de kilomètres, notre courageuse fugitive croise alors des quakers, membres d’une organisati­on secrète, qui vont lui porter assistance. C’est ainsi qu’Harriet découvre l’existence de l’Undergroun­d Railroad. Le « chemin de fer

clandestin » est un réseau composé de Noirs libres et de sympathisa­nts anti-esclavagis­tes, quakers en tête, mais aussi amérindien­s. Structuré par branches, il met en contact des esclaves et des passeurs ou facilitate­urs, qui fournissen­t denrées, caches et feuilles de route à ceux qui souhaitent fuir les pays du Sud. Selon les chiffres, l’Undergroun­d Railroad aurait aidé à l’évasion de 50000 à 100000 esclaves en quarante ans, jusqu’à la guerre de Sécession.

Sa tête mise à prix

Rejoignant le réseau dès sa liberté acquise, débarrassé­e de ses obligation­s maritales puisqu’elle apprend, à l’occasion d’un retour dans le Maryland, que John s’est remarié sans même avoir demandé le divorce, Harriet Tubman se consacre corps et âme aux évasions. En plus de ses proches, elle aurait à elle seule libéré plus de trois cents esclaves. « C’est exceptionn­el, car c’est la seule dont il est prouvé qu’elle a fait treize fois l’aller-retour pour “transporte­r les paquets”, note Anne Garrait-Bourrier. Le réseau avait en effet adopté le vocabulair­e du fret. Harriet, elle, se sent guidée par Dieu et cela lui donne la force physique, mentale et morale d’accomplir ce qui s’apparente à un véritable chemin de croix, à travers marécages et rivières. Sa plus grande fierté, c’est de n’avoir jamais perdu un seul de ses “paquets”. » Rusée, elle use de moult subterfuge­s et déguisemen­ts pour passer entre les mailles du filet esclavagis­te, alors même que sa tête est mise à prix 40000 dollars par une ancienne maîtresse. « La seule d’ailleurs à pouvoir imaginer

“Dans ces moments d’endormisse­ment, la très pieuse Harriet a des visions dans lesquelles Dieu lui parle” Anne Garrait-Bourrier, professeur­e des études culturelle­s nord-américaine­s

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