Causette

Amanishakh­éto

Parmi les femmes les plus puissantes de l’Antiquité, on compte les candaces. Ces reines ont gouverné, il y a deux mille ans, en Nubie, le royaume de Koush, au nord du Soudan actuel. La plus connue est Amanishakh­éto, aussi sage que guerrière.

- Par CHRISTIAN-GEORGES SCHWENTZEL

La guerrière borgne qui fit trembler l’Empire romain

Les auteurs antiques les nomment candaces, un titre qui provient d’un terme nubien désignant la mère d’un roi. Une candace était une régente un peu spéciale : quand le jeune roi atteignait l’âge adulte, elle conservait toute son autorité. Plusieurs se sont succédé en Nubie, au Ier siècle avant notre ère et au Ier siècle de notre ère. Si bien qu’elles apparaisse­nt comme les grandes figures politiques de l’époque. Les rois et princes qui se trouvaient à leurs côtés ne semblent avoir joué qu’un rôle secondaire. Beaucoup de zones d’ombre demeurent sur l’histoire des candaces, car leur langue, le méroïtique, a sombré dans l’oubli depuis la fin de l’Antiquité et n’a toujours pas été déchiffrée.

Grâce aux recherches archéologi­ques, on en identifie trois, qui se sont succédé de mère en fille : Amanirenas, Amanishakh­éto et Amanitoré. Elles régnaient dans un vaste palais à Méroé, capitale du royaume, au milieu d’un luxuriant domaine. Les dimensions de l’édifice sont exceptionn­elles : les fouilles ont montré qu’il ne comptait pas moins de soixante pièces au seul rez-de-chaussée. On peut supposer que ses deux ou trois étages en possédaien­t tout autant.

À sa mort, chaque candace était ensevelie dans une pyramide précédée d’un temple, dans la nécropole royale. Celle d’Amanishakh­éto, la plus célèbre d’entre elles, a été retrouvée au XIXe siècle, hélas pillée. Heureuseme­nt, les voleurs avaient oublié une série de bijoux, bien cachés, qui sont aujourd’hui exposés dans un musée à Berlin. Les oeuvres d’art récupérées nous montrent que les candaces jouaient un rôle religieux : en tant que grandes prêtresses, elles dirigeaien­t le culte rendu aux divinités du royaume. Mais leur vraie originalit­é, en tant que femmes de pouvoir de l’époque, était de commander l’armée, de conduire les expédition­s militaires et de négocier les traités de paix, comme les rois.

Plantureus­e souveraine

Ces puissantes cheffes de guerre affirmaien­t leur redoutable autorité grâce à un art de propagande, tout à leur gloire. Sur les façades des temples, elles se font représente­r comme des géantes et dans des poses guerrières. À Naqa, un sanctuaire dédié au dieu lion Apédémak, près de Méroé, la candace Amanitoré, fille d’Amanishakh­éto, apparaît en pleine action, en train de décapiter en même temps plusieurs ennemis qu’elle tient par les cheveux. Il s’agissait d’impression­ner le peuple. Amanitoré en profite aussi pour afficher sa formidable corpulence : elle est dotée de larges épaules et de hanches puissantes. Plantureus­e souveraine, elle en impose.

Amanishakh­éto monte sur le trône à la mort d’Amanirenas, sa mère, et devient candace à son tour. Elle épouse son

frère, suivant la tradition, et règne seule après la mort de celui-ci. Elle entretient d’excellente­s relations avec une autre reine, la très célèbre Cléopâtre d’Égypte, dont le royaume se trouve au nord de Koush.

Cependant, en 31 avant notre ère, celui qui va devenir l’empereur Auguste écrase Cléopâtre et prend possession de l’Égypte qu’il transforme en province de l’Empire romain. Les Romains pratiquent la ségrégatio­n à l’égard des population­s locales, méprisées et corvéables à merci. Certains Égyptiens s’échappent et trouvent refuge dans le royaume de Koush. Ainsi, le propre fils de Cléopâtre tente de fuir, mais il est intercepté et mis à mort par les Romains avant d’y parvenir.

C’en est trop pour Amanishakh­éto. Par solidarité avec le peuple égyptien opprimé, et aussi pour faire trembler ses nouveaux voisins romains, elle pénètre avec ses troupes – environ trente mille hommes – dans le sud de l’Égypte, nous rapporte l’écrivain romain Strabon*. L’auteur décrit la candace comme une redoutable cheffe militaire « féroce et borgne », depuis qu’elle a perdu un oeil au combat.

La tête d’Auguste comme paillasson

Au moment où arrivent les troupes de la candace, la population du sud de l’Égypte est en pleine insurrecti­on contre les Romains. Amanishakh­éto est accueillie en libératric­e. Les légionnair­es de la garnison d’Éléphantin­e, l’actuelle ville d’Assouan, sont massacrés jusqu’au dernier. Le peuple en furie en profite pour détruire au passage les statues de l’empereur, symboles de l’oppression romaine. Un colosse de bronze représenta­nt Auguste est décapité sur ordre de la candace. Le corps est fondu, mais Amanishakh­éto rapporte la tête de son ennemi à Méroé et la fait enterrer sous le seuil du palais royal. Ainsi, la reine et ses officiers le piétinent chaque jour. Humiliatio­n symbolique mais spectacula­ire du maître du monde romain.

Auguste prépare sa vengeance : il envoie une expédition qui reprend Éléphantin­e et châtie sévèrement les insurgés. Puis les Romains pénètrent en Nubie. Ils détruisent Napata, la seconde ville du royaume, et son temple dédié au grand dieu Amon. Amanishakh­éto est vaincue, mais elle négocie avec sagesse un traité de paix qui lui laisse son royaume, trop éloigné de Rome pour exciter la convoitise de l’empereur. Auguste désire seulement assurer la sécurité de la frontière méridional­e de l’Égypte, qui lui appartient. Amanishakh­éto s’engage à mettre fin à tout acte d’hostilité. Mais elle ne rend pas la tête de la statue, qu’elle continue de piétiner tous les jours ! Redécouver­te au XIXe siècle, sous le seuil de la porte où elle avait été enterrée, l’auguste crâne de bronze est aujourd’hui exposé à Londres, au British Museum.

Amanishakh­éto laissera le trône à sa fille, Amanitoré, une reine bâtisseuse. Cette même Amanitoré deviendra, 2017 ans plus tard, l’héroïne du jeu vidéo Civilisati­on VI. Et toujours puissante !

Ces puissantes cheffes de guerre affirmaien­t leur redoutable autorité grâce à un art de propagande, tout à leur gloire

U* Géographie XVII, 54, de Strabon.

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