Réaliser un biopic
À Hollywood, Harriet a failli être blanche
que celle que la rumeur surnomme “la Moïse noire”, tant elle a libéré d’esclaves, n’est pas un homme, mais une femme, raconte Anne Garrait-Bourrier. Elle fait alors le lien avec son ancienne esclave au grand caractère. »
La bravoure d’Harriet ne s’arrête pas à ces traversées, qui la mènent jusqu’au Canada quand la Pennsylvanie n’est plus sûre. Lorsqu’éclate la guerre de Sécession en 1861, Harriet Tubman rejoint les forces de l’Union pour servir d’abord comme cuisinière et infirmière auprès des troupes, puis espionne, à laquelle on prête une aide décisive dans la prise de Jacksonville, en Floride. En guise de remerciement pour ces faits de gloire, l’État américain se montrera particulièrement pingre : après des années de négociations administratives, Harriet n’obtient qu’une pension de 20 dollars, « en tant que femme et noire », soupire Anne Garrait-Bourrier.
En 1869 commence une nouvelle vie pour l’intrépide Harriet. « Elle se remarie, avec un homme de vingt-deux ans son cadet, ce qui est franchement avant-gardiste pour l’époque », sourit Anne Garrait-Bourrier. Surtout, elle se consacre jusqu’à la fin de sa longue vie à de nouveaux combats, le droit de vote des femmes et la place des Noirs dans la société américaine. « En ce sens, elle est à la pointe de l’intersectionnalité, alors que cette dernière n’est théorisée qu’un siècle plus tard, en 1989, par l’universitaire afro-américaine Kimberlé Crenshaw. » Harriet s’éteint en 1913, vers l’âge de 93 ans, dans un hospice pour femmes noires dont elle avait ellemême financé la construction.
Usur Harriet Tubman ? Une idée du scénariste Gregory Allen Howard, qui, en ce jour de 1994, fait briller les yeux des pontes d’un studio d’Hollywood avec qui il a rendez-vous. « C’est un scénario fantastique, appuie l’un d’eux. Proposons à Julia Roberts de jouer Harriet ! » Howard, qu’on imagine passablement mal à l’aise, rappelle que la grande spécificité de l’héroïne est qu’elle est noire. « C’était il y a si longtemps ! rétorque alors le producteur. Personne ne verra la différence ! »
Cette histoire d’hallucination collective est rapportée à la presse en novembre 2019 par Gregory Allen Howard lui-même. Vingt-cinq ans après, le scénariste a enfin pu aller au bout de son idée et le film Harriet
est sorti à la même date aux États-Unis. Porté par la réalisatrice Kasi Lemmons et l’actrice britannique Cynthia Erivo dans le rôle-titre, il a reçu un bon accueil et devrait arriver en salles chez nous à l’automne.
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