Peintre en botanique
Voyageuse et exploratrice, Marianne North se consacra, pendant près de vingt ans, à peindre les plantes sur six continents. Ce qui déplaisait fortement dans le milieu très masculin de la botanique et du naturalisme exotique du XIXe siècle.
Quand Marianne North naît ce 24 octobre 1830, à Hastings, dans le sud de l’Angleterre victorienne, rien ne la destine à devenir une illustratrice, botaniste et naturaliste de renom et encore moins une des plus grandes exploratrices du XIXe siècle. Fille d’un riche propriétaire terrien, Frederick North, membre du parlement britannique, et d’une mère descendante d’un baron, Lady Marianne serait plutôt promise à un avenir d’aristocrate distinguée, cultivée et engoncée dans des froufrous de dentelle.
Comme il se doit, elle apprend la danse, le piano, le latin et se passionne pour le chant auprès de la célèbre contralto Charlotte Helen Sainton-Dolby. Mais ce destin tout tracé est interrompu brutalement, car la voix de Marianne ne tient pas le coup. Il faut renoncer à une carrière dans l’univers du chant. Très affectée, elle se tourne vers la peinture.
Enfant chérie et très proche d’un père féru de botanique et de fleurs exotiques, elle s’intéresse au jardinage, observe la nature. Elle se spécialise en peinture florale auprès du peintre particulier de la reine Victoria, Valentine Bartholomew.
Sa mère décède en 1855 et demande, sur son lit de mort, à son étrange fille, qui préfère le terreau et les plantes aux travaux d’intérieur, de s’occuper du père. Cela n’est pas pour déplaire à Marianne qui a alors 25 ans et ne se voit pas convoler : « Le mariage ? Une terrible expérience ! » écrira-t-elle.
Pendant que sa soeur se marie, elle devient la collaboratrice de son père, l’accompagne lors de ses voyages sur le continent européen. Frederick la considère comme son égale, lui transmet son savoir et devient le passeport dont la jeune fille a besoin pour intégrer le milieu très masculin de la botanique et du naturalisme exotique. Elle rencontre l’illustrateur Edward Lear, Sir William Hooker, directeur des jardins botaniques royaux de Kew ainsi que George Bentham, l’un des plus importants botanistes du XIXe siècle. À chaque voyage, elle observe, dessine, esquisse et se forge une solide technique picturale.
Départ pour l’Amérique
Elle goûte durant quatorze années la vie libre des hommes riches, qui vont et viennent à leur gré. Mais, en 1869, son père meurt. Marianne est bouleversée. Elle a 39 ans et comme toute femme célibataire de son rang, elle se devrait de s’engager dans la religion, la charité et les bonnes oeuvres. Mais elle choisit plutôt de faire son deuil en peignant les fleurs exotiques des jardins de Kew, à Londres, pendant cinq longs mois. Ces spécimens colorés et chatoyants la transportent vers d’autres horizons. Elle n’a pas de mari, plus de père, de l’argent, des contacts et des envies d’aventure. Le vaste monde s’offre à elle. Armée de ses peintures, toiles et pinceaux et d’un caractère très indépendant, elle embarque vers l’Amérique. Arrivée aux États-Unis, elle visite, découvre la nature sauvage tant
imaginée, va à la rencontre des plus belles fleurs, s’installe auprès d’elles. Contrairement à ses collègues masculins botanistes prompts à vouloir arracher et conserver, Marianne ne déterre jamais les plantes et les immortalise dans leur écosystème au beau milieu des araignées, des oiseaux et des serpents qui rôdent.
Elle continue le voyage vers le Canada, la Jamaïque, redescend vers le Brésil où elle pose ses chevalets pendant treize mois dans des paysages luxuriants. « J’avais longtemps rêvé d’aller dans un pays tropical pour peindre sa végétation particulière sur place, dans la luxuriance de l’abondance naturelle », écritelle dans ses Mémoires.
Japon, Sarawak, Java…
Après un bref retour à Londres dont le climat et les mondanités lui pèsent, elle repart vers Tenerife, le Japon, Singapour, Sarawak (Bornéo). À Java, elle a un coup de coeur pour l’île, où elle s’installe un certain temps. Elle s’y déplace à cheval et arpente les moindres recoins à l’affût de ses futurs modèles. Elle travaille à la peinture à l’huile pour que ses tableaux résistent au taux d’humidité du climat. Puis c’est le Sri Lanka et l’Inde, où elle s’attarde dix-huit mois. Elle y mène une vie libre, critiquée par la communauté des colons britanniques, qui voit d’un mauvais oeil son manque de respect pour les convenances et son indépendance d’esprit.
De retour à Londres, elle échange ses découvertes et son savoir avec un grand ami de son père, Charles Darwin, qui apprécie son travail de recherche et d’archivage botanique. Sur ses conseils avisés, elle repart pour l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Tasmanie. Les voyages sont toujours longs, les moyens de transport lents, souvent pénibles, les endroits où elle s’immerge, sauvages et accidentés. Marianne a maintenant 50 ans, elle souffre de douleurs articulaires chroniques. Elle pourrait, grâce aux relations de son père, être accueillie dans des conditions privilégiées. Elle est invitée à de multiples reprises par les plus grands, le président des États-Unis, le poète Henry Longfellow ou Charles
En 1882, Marianne North rentre à Londres avec des centaines de peintures d’une beauté et d’une qualité exceptionnelles. Elle n’a pas son pareil pour rendre la texture veloutée d’un pétale, la turgescence d’un pistil, la chair débordante s’échappant d’un durian incisé. Consciente qu’une femme n’est jamais aussi bien servie que par ellemême, elle propose au directeur des jardins de Kew de lui faire don de ces 832 tableaux et de faire construire, à ses frais, une galerie où les exposer. Elle demande à James Fergusson, historien en architecture, d’imaginer la bâtisse et la baptise « North Gallery ». Le lambris mural sera constitué de la collection de bois (246 espèces !) que Marianne a récoltés lors de ses voyages.
En 1884, après avoir parcouru en vingt ans l’équivalent de deux tours du monde, elle repart pour ce qui sera son dernier voyage, le Chili. Elle en rentrera épuisée. Elle s’installe à Alderley, dans le Gloucestershire, et se consacre à l’aménagement d’un jardin exotique et à la rédaction de ses Mémoires : Souvenirs d’une vie heureuse, qui seront publiés post mortem par sa soeur.
L’intrépide Marianne North meurt à l’âge de 59 ans en 1890, laissant au monde un témoignage artistique et botanique inestimable et cinq fleurs rares portant son nom : Areca northiana, Crinum northianum, Kniphofia northiae, Nepenthes northiana et Northia. Elles sont toutes exposées dans les magnifiques jardins de Kew, à la North Gallery, qui reste à ce jour la seule exposition permanente à Londres dédiée entièrement à l’oeuvre d’une femme.
“J’avais longtemps rêvé d’aller dans un pays tropical pour peindre sa végétation particulière sur place, dans la luxuriance de l’abondance naturelle” Marianne North
U