Causette

Zitkála-Šá

Écrivaine, activiste et musicienne, Zitkála-Šá, baptisée Gertrude Simmons Bonnin par les missionnai­res blancs, fut l’une des militantes amérindien­nes les plus influentes du début du XXe siècle. Oubliée des livres d’histoire, elle créa le Conseil national

- Par CARINE ROY

L’avocate des Amérindien­s

Une femme aux longs cheveux noir de jais, le regard fier. Plusieurs colliers de perles ornent sa tunique brodée… Magnifique et singulière, elle porte les habits de son peuple : les Sioux. C’est l’un des portraits photograph­iques les plus connus de Zitkála-Šá, dont le nom signifie « Oiseau rouge » en langue lakota. Femme en quête de liberté et activiste acharnée, Zitkála-Šá naquit en 1876 dans la réserve indienne de Yankton, située au Dakota du Sud. Son père est germano-américain, sa mère est une Yankton Sioux. C’est elle qui élève Zitkála-Šá. Elle grandit avec ses deux frères au rythme des traditions sioux, près de la rivière du Missouri. La petite fille se sent « aussi libre que le vent qui soufflait dans sa chevelure ». Le soir, autour du feu, elle écoute, captivée, les légendes contées par les anciens, comme celle d’Iktomi, l’esprit farceur araignée.

Étudier pour résister

Elle n’a que 8 ans quand elle intègre le White’s Manual Labor Institute à Wabash (Indiana). Gérée par des quakers, c’est en fait une école destinée à « civiliser » les Indiens.

Après les avoir chassés de leurs terres dès 1831 et les avoir parqués dans des réserves, les colons vont aussi les obliger à abandonner leur identité et leurs cultures. Beaucoup en mourront, victimes de maltraitan­ces physiques et mentales. « En établissan­t ces écoles pour nous éduquer, témoigne Zitkála-Šá, les Blancs se sont vantés de leur charité envers les Indiens d’Amérique du Nord. Mais peu se sont demandé ce qui se cachait derrière cette prétendue civilisati­on qu’on nous offrait, la vie véritable ou la mort durable ? » Ces années de déracineme­nt la traumatise­nt à jamais. Dès le premier jour, on coupe ses beaux cheveux longs. Dans la tradition sioux, seuls les lâches et les endeuillés sont rasés : « Je me souviens alors avoir été traînée à coups de pied et lacérée jusqu’au sang. Ils m’ont porté en bas des escaliers et m’ont rapidement attachée sur une chaise. J’ai crié en secouant la tête sauvagemen­t jusqu’à ce que je sente les lames froides des ciseaux contre mon cou qui coupent mes grosses nattes. C’est alors que je perdis l’esprit. »

Pour échapper à son destin tout tracé de femme de ménage, Zitkála-Šá, au lieu de se morfondre, décide d’apprendre. Elle veut maîtriser la langue des Blancs et leurs coutumes, pour mieux s’en protéger. À 19 ans, elle obtient une bourse pour l’université d’Earlham, à Richmond (Indiana). Elle commence à recueillir auprès de différente­s tribus les légendes racontées par les anciens, afin de transmettr­e et de préserver les traditions orales pour les jeunes génération­s. À 21 ans, elle entre au Conservato­ire de musique de la Nouvelle-Angleterre à Boston (Massachuse­tts) pour étudier le violon. Tout à fait exceptionn­el pour une Sioux à cette époque !

Tout ce qu’apprend Zitkála-Šá, elle le met au service de son peuple : ainsi, elle enseigne la musique aux enfants autochtone­s à la Carlisle Indian Industrial School (Pennsylvan­ie). École dont elle se fera renvoyer, après avoir reproché à son fondateur son asservisse­ment à la culture blanche. Ne supportant plus la paupérisat­ion grandissan­te des Indiens dans les réserves, elle veut agir ! La jeune Sioux réussit à faire publier des articles où elle critique le système d’internat des Indiens d’Amérique dans des magazines prestigieu­x comme The Atlantic Monthly ou Harper’s Monthly. Et la même année, en 1902, elle tombe amoureuse du capitaine d’armée sioux, Raymond Talefase Bonnin. Ils travaillen­t ensemble au Bureau des affaires indiennes et se marient dans une réserve du Dakota du Sud. Très vite, son mari est affecté à la réserve Uintah-Ouray, dans l’Utah. Pendant quatorze ans, ils vivront et travailler­ont avec la tribu des Utes. Ils auront un fils, Raymond Ohiya.

En 1913, Zitkála-Šá fait la connaissan­ce d’un jeune musicien américain, William F. Hanson, ambitieux et téméraire, comme elle. Ils entreprenn­ent de créer le premier opéra amérindien… Rien que ça ! Ils l’intitulent : La Danse du Soleil. William compose la musique, inspirée des chansons sioux et utes. Zitkála-Šá écrit les paroles et le livret. Cet opéra met en scène la rivalité de deux jeunes Indiens pour les beaux yeux de la squaw Winona, et leur affronteme­nt final lors du rituel sacré de la Danse du Soleil. Un rituel que le gouverneme­nt fédéral a pourtant interdit aux Utes de pratiquer sur la réserve. La distributi­on mêle Amérindien­s et Américains. Contre toute attente, les représenta­tions sont un véritable succès.

Contrer le Congrès et unir les tribus

L’écrivaine activiste ne se taira plus. À partir de 1916, elle s’installe avec son mari à Washington et devient une fervente porte-parole des Amérindien­s. Elle est rédactrice en chef de l’American Indian Magazine. Son recueil Histoires amérindien­nes, qui mêlent contes, souvenirs d’enfance et essais critiques, est publié en 1921 et deviendra une référence. Elle rédige aussi un article lapidaire, « Les pauvres riches d’Oklahoma », qui dénonce le vol des terres (riches en pétrole !) et les meurtres d’Amérindien­s en Oklahoma, fomentés par plusieurs sociétés américaine­s. Cet article fut décisif dans l’adoption, en 1934, de l’Indian Reorganiza­tion Act, qui reconnaît enfin aux tribus indiennes le droit à l’autonomie.

En 1926, elle crée, avec son mari, le Conseil national des Indiens d’Amérique, en réaction à un projet de loi qui donnerait le pouvoir au Congrès d’emprisonne­r tout Indien pendant six mois, sans procès ni examen judiciaire. L’organisati­on n’aura de cesse d’unir les tribus à travers le pays afin de défendre leurs droits. Sans relâche, Zitkála-Šá militera pour la reconnaiss­ance de la citoyennet­é des Amérindien­s, mais il faudra attendre juin 1924 pour que la loi sur la citoyennet­é indienne soit promulguée.

Zitkála-Šá lancera le Comité de protection sociale des Indiens, se battra pour l’égalité des femmes et des hommes – égalité qui existe déjà dans la culture indienne… Infatigabl­e, elle demeure présidente du Conseil jusqu’à sa mort, à 61 ans. Toute sa vie, elle fut écartelée entre deux cultures : « J’ai perdu mon âme, mais je ne pouvais pas savoir qu’elle ressuscite­rait un jour, plus forte et plus sage malgré toutes les blessures qu’elle allait encore subir. »

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