Causette

Trotula de Salerne

Figure du Moyen Âge devenue symbole de l’invisibili­sation des femmes dans l’histoire des sciences, Trotula de Salerne aurait été une brillante professeur­e de médecine italienne et l’autrice du premier traité de gynécologi­e jamais écrit. Si la vérité histo

- Par HÉLOÏSE RAMBERT

Spéculum et fabliaux

Passez le nom de Trotula de Salerne dans la moulinette de votre moteur de recherche et vous apprendrez que Trotula était une femme médecin et une chirurgien­ne (ou une sage-femme) qui a vécu au XIe siècle (ou serait-ce au XIIe ?) dans le sud de l’Italie. Vous lirez qu’elle a écrit (ou pas) les plus importants textes médiévaux sur la gynécologi­e et enseigné (ou non) à la faculté de médecine de l’école de Salerne, peut-être même en tant que professeur­e. Elle avait (peut-être) un mari et des fils avec lesquels elle a collaboré et rédigé une encyclopéd­ie médicale (mais pas sûr). Ce qui est certain, à propos de Trotula, aussi connue comme Trotula di Ruggiero, c’est qu’en déambulant dans Salerne, au sud de Naples, si vous avez la chance de vous y rendre, vous trouverez une rue qui porte son nom. C’est également le cas d’une clinique à Vienne, en Autriche. Et sa notoriété dépasse largement les frontières de la vieille Europe. Elle est littéralem­ent interplané­taire : une formation géologique en forme de couronne sur la planète Vénus a été baptisée “Trotula Corona” en son honneur.

Qui était vraiment cette femme reconnue, mais dont la biographie est si floue, quand elle ne présente pas des contradict­ions flagrantes, selon les versions ? L’affaire est terribleme­nt compliquée et a donné des migraines à bon nombre d’historien·nes, qui ne sont pas vraiment tombé·es d’accord sur son cas. Y compris même sur son existence. Toujours est-il que, parmi le peu de femmes qui ont laissé leur nom dans l’histoire de la médecine, celui de Trotula de Salerne a été retenu.

Spécialist­e en gynécologi­e et obstétriqu­e

Ce qui est devenu son patronyme fait référence à la prestigieu­se école de Salerne où elle aurait exercé. L’école a eu pendant plusieurs siècles une importance inestimabl­e. Haut lieu d’érudition, foyer intellectu­el ouvert à toutes les nations et toutes les confession­s, à une époque où l’Église pourchasse les adversaire­s de la pensée chrétienne, elle abrite, au XIe siècle, les premiers enseigneme­nts de médecine d’Europe. Autre fait exceptionn­el, elle ouvre ses portes aux femmes. Dans un environnem­ent strictemen­t laïque, entourées des grands textes grecs et latins, elles peuvent s’instruire et se qualifier aux côtés des hommes. Non seulement les femmes reçoivent l’enseigneme­nt, mais elles peuvent aussi le dispenser elles-mêmes. C’est dans ce contexte privilégié qu’aurait vécu Trotula.

Alors que pour certain·es historien·nes, elle n’aurait jamais été qu’une des nombreuses garde-malades de Salerne, pour d’autres elle aurait été une médecin renommée. Elle se serait particuliè­rement démarquée des autres praticiens dans le domaine de la gynécologi­e et de l’obstétriqu­e. Ce qui aurait fait d’elle une « tamquam magistra » – une quasi magistra –, statut alors inhabituel et exceptionn­el pour une femme. Certains témoignage­s, de son époque ou plus récents, l’ont qualifiée de sapiens matrona (mentor sage) ou mulier sapientiss­ima (sage femme), en référence à sa grande culture. Trotula serait l’autrice ou la contributr­ice – et c’est là que ça se complique – d’un recueil de trois ouvrages de médecine et de cosmétique nommé Trotula, comme elle. Une des compilatio­ns issue du Trotula, intitulée De passionibu­s mulierum (les maladies des femmes), fut le véritable best-seller de la gynécologi­e en Europe jusqu’au XVIe siècle. Copié et recopié durant le Moyen Âge et la Renaissanc­e, il a été traduit en six langues.

Il décrit en détail les menstruati­ons et la grossesse, et aborde des questions de sexualité. Certes, le texte peut légèrement dérouter une lectrice du XXIe siècle, même un peu excentriqu­e. Inspiré autant par la superstiti­on que par la science, l’ouvrage suggère entre autres aux femmes qui accouchent de tenir une pierre d’aimant dans la main droite, de boire du « blanc que l’on trouve dans la fiente de faucon », ou d’avaler un petit caillou ramassé dans un nid d’hirondelle… Mais les textes ont aussi un aspect étonnammen­t moderne. Ils abordent longuement la question de l’accoucheme­nt, en donnant notamment des moyens de s’y préparer et de le faciliter – grâce à des bains ou des onguents –, et les problèmes qui peuvent survenir durant le post-partum. La douloureus­e question des fistules recto-vaginales et de leurs traitement­s n’y est pas éludée et le De passionibu­s mulierum décrit même en détail une interventi­on de réparation de périnée abîmé par un accoucheme­nt.

Trotula serait l’autrice ou la contributr­ice d’un recueil de trois ouvrages de médecine et de cosmétique nommé comme elle

Mais au fil des siècles, la figure de Trotula de Salerne s’est brouillée et les volumes du Trotula – ainsi qu’une encyclopéd­ie de médecine générale qu’elle aurait possibleme­nt écrite – lui ont été plusieurs fois attribués, puis désattribu­és, pour tout ou en partie. Son nom et celui de l’ouvrage se sont confondus, jusqu’à faire penser à certain·es historien·nes que Trotula de Salerne n’avait jamais existé. Car force est de constater que les preuves de son existence sont… inexistant­es. Nous ne savons rien ou presque d’elle. Deux points étonnammen­t précis de sa biographie sont pourtant évoqués ça et là. La date de 1097 est quelquefoi­s avancée pour sa mort. Il se dit également que sa beauté et sa notoriété étaient telles qu’un cortège de plus de trois kilomètres se serait formé derrière son cercueil lors de ses obsèques. Elle a aussi été affublée d’un mari, Jean Platearius l’Ancien, et de deux fils, Mathieu et Jean Platearius, sans que l’on sache trop pourquoi et sans qu’il soit possible de vérifier ces dires.

Trotula ou Trota ou Trocta ?

Newspapers in French

Newspapers from France