Causette

Marguerite de Navarre

Celle que les poètes surnommaie­nt la « Marguerite des Marguerite­s » est l’une des femmes les plus brillantes de la Renaissanc­e. Soeur aînée de François Ier, duchesse d’Alençon puis reine de Navarre, elle exercera une grande influence politique, religieuse

- Par SALOMÉ TISSOLONG

Fine fleur de la Renaissanc­e

Issue de la célèbre dynastie des Capétiens et fille de Charles d’Orléans, comte d’Angoulême, Marguerite naît le 11 avril 1492 à Angoulême (Charente). Elle est cependant rapidement éclipsée par la naissance de son frère qui n’est autre que François Ier, le futur roi de France. Un cadet de deux ans qu’elle aime tendrement et auquel elle est très dévouée. Les deux enfants bénéficien­t d’une excellente éducation et Marguerite, qui se prend de passion pour les lettres, se révèle brillante. À 13 ans, elle parle l’italien et l’espagnol aussi bien que le français. L’érudite en herbe connaît aussi le grec, le latin et l’hébreu. Plus tard, elle étudiera même la philosophi­e et la théologie.

Duchesse et diplomate

Marguerite doit pourtant quitter ses chers instructeu­rs et sa famille à l’âge de 17 ans : sa mère, Louise de Savoie, la marie à Charles IV, duc d’Alençon. La vie de la jeune femme s’assombrit alors. Elle n’aime pas son époux, qu’on dit inculte et grossier, et connaît un quotidien morne au château d’Alençon. Mais le destin a de plus grands projets pour elle…

L’avènement de son frère en 1515 va changer la vie de Marguerite. François Ier la fait venir à la Cour, où elle participe à la vie mondaine. Mais, femme de caractère et d’une grande intelligen­ce, elle ne s’arrête pas là. Elle épaule le roi pour les affaires politiques et négocie pour lui. Son influence s’accroît et elle joue un rôle diplomatiq­ue majeur en 1525, lorsque François Ier perd la célèbre bataille de Pavie, qu’il menait pour dominer l’Italie du Nord. Quand il est fait prisonnier en Espagne par l’empereur Charles Quint, Marguerite fait le voyage jusqu’en terre ibérique pour le libérer. Elle est mandatée pour négocier avec l’empereur germanique, qui réclame une rançon et des terres en échange du roi. Marguerite échoue dans sa mission et rentre bredouille. François Ier sera relâché une année plus tard, à la condition de signer le traité de Madrid qui l’oblige à céder des terres à Charles Quint et à abandonner la revendicat­ion d’autres régions.

Reine et politique

Peu de temps après la bataille de Pavie, l’époux de Marguerite décède. Veuve et sans enfants, elle se remarie en 1527 avec Henri II d’Albret, roi de Navarre. Elle devient donc reine d’un royaume, aux côtés d’un homme qu’elle trouve bien plus séduisant. De leur union naîtra Jeanne d’Albret, future mère du roi Henri IV. Marguerite développe ses talents politiques durant ce second mariage. Elle administre le royaume avec son mari et continue ses négociatio­ns à l’échelle internatio­nale. Pendant plusieurs années, elle tente d’atteindre la conciliati­on avec Charles Quint pour récupérer certains territoire­s au sud des Pyrénées. Elle organise des conférence­s, le flatte de multiples façons et envisage même une union entre sa fille et le fils aîné de l’empereur… Là encore, sans succès.

Très instruite et amoureuse des lettres, Marguerite de Navarre anime la vie intellectu­elle à la Cour et se sert de son influence pour favoriser le mouvement de la Renaissanc­e. Elle protège des artistes tels Marot, Des Périers et Rabelais. Ce dernier dédie son Tiers Livre à cette reine à « l’esprit abstrait, ravi et extatique »*. Car Marguerite est une mystique. Elle se mêle à la vie religieuse de son époque et s’intéresse à la Réforme protestant­e, tout en maintenant ses liens avec l’Église catholique. La reine de Navarre entretient une correspond­ance avec l’évêque de Meaux, Guillaume Briçonnet, précurseur du réformisme, et protège les premiers réformés. Ainsi, Jean Calvin se réfugie auprès d’elle à Nérac. Elle publie des textes qui sont l’expression de son rapport à la foi, comme Le Miroir de l’âme pécheresse (1531), ce qui lui vaudra d’être accusée d’hérésie par la Sorbonne. Inspirée par les nouveaux penseurs, Marguerite tente de convaincre François Ier de s’ouvrir aux idées religieuse­s modernes qui se diffusent alors en France. Mais, aux alentours de 1540, le contexte politique devient si épineux que le roi cesse de soutenir les inclinatio­ns de sa soeur.

Il s’affiche résolument en faveur du catholicis­me et l’écarte de son entourage. C’est un véritable déchiremen­t pour Marguerite, qui est séparée de cet homme qu’elle aime tant. Perdant de son influence, elle se retire dans ses terres et se consacre à l’écriture.

Une femme de lettres

Marguerite écrit depuis toujours, mais c’est à la fin de sa vie que son talent se révèle entièremen­t. On connaît ses Marguerite­s de la Marguerite des princesses (1547), recueil de nombre de ses poèmes, mais l’apothéose de sa création est L’Heptaméron, un recueil de soixante-douze nouvelles qui se déroulent en sept jours – le huitième étant incomplet. Elle aurait rédigé cette oeuvre entre 1540 et 1545, en prenant pour modèle les dix journées du Décaméron,

de l’Italien Boccace. L’ouvrage de la reine de Navarre est d’une grande richesse. On y trouve des récits de galanterie, de violence, mais aussi du tragique et des histoires d’amour. Marguerite n’aura malheureus­ement pas le temps de terminer ce livre, qui paraîtra à titre posthume. L’oeuvre inachevée est d’abord recomposée et éditée partiellem­ent par Pierre Boaistuau en 1558, avec pour titre Histoire des amants fortunés. En 1559, Claude Gruget publie les soixante-douze nouvelles sous le titre Heptaméron. Des nouvelles de la reine de Navarre.

La vie de Marguerite de Navarre se sera achevée bien plus tôt. Elle meurt le 21 décembre 1549 à Odos (HautesPyré­nées), près de Tarbes. Née deux ans avant son frère adoré, elle s’éteint deux années après lui.

U* Épigraphe du Tiers Livre, de François Rabelais, publié en 1546.

Très instruite et amoureuse des lettres, Marguerite de Navarre anime la vie intellectu­elle à la Cour et favorise le mouvement de la Renaissanc­e

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de Navarre (autour de 1527),
par Jean Clouet.
Portrait de Marguerite de Navarre (autour de 1527), par Jean Clouet.
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