Causette

Gypsy Rose Lee

Rose Louise Hovick fut plus connue sous le nom de Gypsy Rose Lee, son pseudo sur la scène burlesque américaine. Si elle doit sa célébrité à son rôle de striptease­use vedette des années 1940, elle fut aussi actrice, autrice et dramaturge.

- Par CATHY YERLE

L’incroyable destin d’une Rose effeuillée

« Que ton cul nu brille pour toujours ! » Tels sont les mots télégraphi­és à Gypsy Rose Lee par Eleanor Roosevelt, en 1959. Bien des années avant de recevoir les hommages chaleureux des femmes de président, celle qui deviendra « la Vénus de Broadway » s’appelle encore Rose Louise Hovick. C’est une petite fille timide, née en 1914 à Seattle (État de Washington), qui apprend la vie d’artiste aux côtés de sa jeune soeur June sous la férule de leur mère. Celle-ci, Rose Thompson Hovick, divorcée, au caractère vif, contourne les lois sur le travail des enfants, mentant, trichant et tempêtant. Elle forme ses baby girls dans l’intention d’en faire de futures stars. Les petites apprennent donc la danse, le chant, la comédie, sourient sur commande et pleurent sous la menace.

Une effeuilleu­se timide

À 5 et 7 ans, elles gagnent des concours, apparaisse­nt dans des films et sur scène grâce à « Mama Rose », qui leur monte des numéros d’enfants prodiges. Elles font les beaux jours du vaudeville, ancêtre très populaire de la revue, où se côtoient sur les planches musicien·nes, chanteur·ses, comiques, imitateurs, danseuses, dresseurs d’animaux, jongleurs, illusionni­stes, acrobates, en une suite de courts numéros de divertisse­ment. Les fillettes grandissen­t entre le foyer des grands-parents, peu ou pas d’école, et la vie sur les planches. Elles apprennent la débrouille, les embrouille­s.

Les années passant, les contrats se raréfient, la petite troupe vit à l’hôtel, entassée sur des matelas, et la toute-puissante mère gère conflits et contrats. Elle défenestre un directeur d’hôtel qui harcèle les filles et qui en meurt. La légitime défense sera retenue.

La crise de 1929 entraîne le vaudeville dans sa chute. June a fui, Louise a alors 15 ans. Mama lui dégote un contrat dans une maison de burlesque où les effeuilleu­ses se dénudent en rivalisant d’idées impertinen­tes, de numéros extravagan­ts. Au début timide, Louise apparaît dans des robes fourreaux cousues par ses soins, un peu gauche, mais le chignon impeccable. Elle enlève un gant, craque une bretelle, ôte une à une les épingles de sa coiffure. Elle interpelle le public d’une voix grave, le taquine. Il est ravi et se bouscule pour voir cette curieuse jeune fille, qui parle plus qu’elle ne se déshabille. La petite Rose Louise devient Gypsy Rose Lee.

En 1932, les deux Rose arrivent à New York. Gypsy est engagée dans le cabaret des frères Minsky et intègre ensuite la très célèbre revue Ziegfeld Follies. Mais elle aimerait bien s’éloigner de l’image sulfureuse du burlesque et de l’emprise de Mama Rose. Elle veut briller à Hollywood. Entre 1937 et 1939, elle apparaît dans cinq films. Hélas, les critiques ont la dent dure avec celle qui vient des scènes en bois et des coulisses à l’odeur de sueur. Le succès n’est pas au rendez-vous. Gypsy est déçue, elle refuse l’étiquette de femme-objet, légère. Elle demande à H.L. Mencken, écrivain

Son premier roman policier est une enquête dans le monde du burlesque. Une plume et un regard féminins sur la condition des femmes de scène

et linguiste libre penseur, d’inventer un mot savant pour son numéro de strip-tease. Il compose spécialeme­nt pour elle le mot ecdysiast – à partir d’un terme grec qui désigne la perte d’une couche de peau, la mue – qu’on peut traduire par « celle qui s’effeuille ».

Meurtres dans le burlesque

En 1939, dans les loges de la revue de Mike Todd, Streets of Paris, elle rédige ses premières chroniques pour des magazines, la machine à écrire sur ses longues jambes et la cigarette au coin des lèvres. Elle rencontre George Davis, inventif éditeur à l’initiative d’une grande maison communauta­ire à Brooklyn, véritable ruche d’activités littéraire­s. Gypsy y emménage, côtoie le compositeu­r Benjamin Britten, Salvador et Gala Dali, Anaïs Nin. Elle y écrit son premier roman policier, qui sortira en 1940, The G-String Murders : une enquête sur une série de meurtres dans le monde du burlesque, où l’envers du décor y est pour la première fois fidèlement retranscri­t. Une plume et un regard féminins sur la condition des femmes de scène. Le succès est immédiat. Le roman est adapté au cinéma sous le titre de Lady of Burlesque, avec Barbara Stanwyck dans le premier rôle, en 1943. En France, il sera traduit par Léo Malet et sera publié en 1950 sous le titre Mort aux femmes nues. Son second roman, Mother Finds a Body, sort dans la foulée. Elle écrit également pour The New Yorker, Harper’s, Variety. Passionnée de cuisine, elle rédige un livre de recettes.

Gypsy est moins douée pour le mariage auquel elle s’essaiera par trois fois. En 1937, elle épouse Robert Mizzy à Hollywood, mais Bob est violent, elle obtient le divorce en 1941. Elle convole de 1942 à 1944 avec le beau William Kirkland, acteur de Broadway, mais tombe enceinte d’Otto Preminger, avec qui elle entretient en parallèle une liaison cachée. Elle accouche donc d’un fils, Erik Lee Preminger, en 1944 et divorce dans la foulée du pauvre Kirkland. En 1948, elle se marie avec le peintre Julio de Diego. Ce troisième essai sera le dernier échec et confortera Gypsy dans son idée qu’elle n’a pas besoin d’un homme pour vivre.

En 1950, elle anime sa propre émission de télévision et arrête définitive­ment la scène. Elle continue d’entraîner des effeuilleu­ses et se passionne pour la politique, lit

Le Capital, adhère aux idéaux marxistes et crée le premier syndicat du burlesque aux États-Unis. Elle est également férue de peinture, s’y essaie, collection­ne, côtoie Max Ernst, qui fait son portrait.

La relation à sa mère reste tumultueus­e. Mama Rose tient une pension pour jeunes femmes seules à Manhattan, Gypsy la finance. Mama est soupçonnée de meurtre sur une des jeunes filles, mais l’enquête conclut au suicide. La petite soeur est devenue June Havoc, actrice reconnue à Hollywood. Mama pourrait être fière de ses filles, mais l’ambiance du trio est des plus tendues et les soeurs ne se réconcilie­ront qu’à la mort de la mère, en 1954, où, libérée de l’étreinte maternelle, Gypsy écrit ses Mémoires qui paraîtront en 1957. Elle y raconte son passé tourmentée d’enfant artiste. Broadway s’empare immédiatem­ent de l’histoire. Le spectacle Gypsy sera mis en scène et chorégraph­ié par le talentueux Jerome Robbins et joué sept cents fois entre 1959 et 1961. En 1962, un film immortalis­e le « musical », avec Natalie Wood dans le premier rôle. Gypsy coachera ellemême Natalie pour les séances d’effeuillag­e. Et Mama Rose atteint enfin la célébrité, bien qu’à titre posthume, sous la forme un peu monstrueus­e d’un personnage haut en couleur et en colère. Une deuxième version sortira en 1993 avec Bette Midler, qui se régalera du rôle de l’envahissan­te

stage mother.

Gypsy Rose Lee, travailleu­se acharnée, enfin admise à Hollywood, ne reste pas assise sur ses dollars et continue son ascension. Elle apparaît dans différents films, dont le

Batman de 1968. Mais en 1970, elle est dans sa cinquantai­ne quand elle est foudroyée par un cancer du poumon.

Depuis, son cul, mais aussi son esprit, sa plume et la tant désirée étoile à son nom sur le fameux Walk of Fame, à Hollywood, brillent dans le coeur des femmes de la nuit dont elle est devenue une égérie fière, indépendan­te et respectée. Comme dans les rêves d’une Rose…

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