FATIMA DAAS
LA PETITE PREMIÈRE
À 24 ans, Fatima Daas – c’est son nom d’emprunt – publie La Petite Dernière, un premier roman qui fait entendre une voix et une langue nouvelles : celles d’une jeune femme des quartiers populaires qui bataille avec son identité. Le tout sous l’égide de Virginie Despentes. Boum !
« Le monologue de Fatima Daas se construit par fragments. Comme si elle updatait Barthes et Mauriac pour Clichysous-Bois », dit d’elle Virginie Despentes. Forcément, une punchline comme celle-ci quand on débarque dans le cirque de la rentrée littéraire et qu’on est une jeune autrice que personne ne connaît (encore !), ça vous pose là. « Quand j’ai lu King Kong Théorie, ça a bouleversé ma vie. Virginie Despentes a fait une intervention dans mon master de création littéraire à Paris-VIII. J’ai parlé avec elle après, on a échangé des mails par la suite. Ça m’a bien aidée, bien troublée et permis de répondre à pas mal de questions. Donc, ça me met la pression, mais j’essaie de désacraliser et juste d’accueillir ça avec joie. De savourer cette chance », raconte la jeune femme aux boucles brunes et bagues à chaque doigt.
Ce texte, La Petite Dernière, est une longue litanie, surgie comme un cri aussi vital que primal. La prière très moderne d’une jeune femme aux prises avec ses questionnements face à ses identités multiples : lesbienne, musulmane pratiquante et issue des quartiers populaires. Une autobiographie ? « J’ai signé ce texte avec un pseudo, et ce nom est aussi celui de la narratrice. Donc, on peut évidemment le penser. Je joue volontairement sur cette ambiguïté. Cette histoire me ressemble, elle ne m’est pas étrangère. Mais je n’ai pas essayé de raconter ma vie pour autant, car ça ne m’intéresse pas de raconter la “vérité”. Donc, on peut plutôt parler d’autofiction. Ce que j’ai tenté de faire, c’est surtout de la littérature. De travailler sur la complexité, le trouble, les silences, les non-dits. Quelque chose d’universel. La Petite Dernière pourrait tout aussi bien être le petit dernier d’une famille catholique traditionaliste », assure-t-elle avec une maturité bluffante. Il faut dire que Fatima Daas est entrée en écriture dès l’adolescence, a ensuite participé à des ateliers dans son lycée de Clichy-sousBois, animés par Tanguy Viel. L’écrivain et ses professeur·es n’ont pas tardé à déceler un certain talent.
Après avoir tenté de se lancer dans des études qui ne lui correspondaient pas, elle a fini par assumer son envie d’écrire et s’est inscrite en master de création littéraire. C’est lors de cette formation qu’est né ce texte, qu’elle a ensuite présenté lors de sa soutenance et que l’une des membres du jury (qui est aujourd’hui l’éditrice de Fatima Daas) a alors repéré. Elle ne s’y est pas trompée. Car ce texte, au-delà de l’émotion qu’il dégage, met en mots et en images, sans jamais tenter de théoriser, la notion même d’intersectionnalité : « Oui, la narratrice essaie de bricoler avec son homosexualité, sa religion, son milieu. Et pour moi, c’est ça le féminisme intersectionnel. Il te donne la possibilité d’être la personne que tu as envie d’être, de te sentir libre, sans avoir à faire de choix, à renoncer à l’une des facettes de ton identité. À un moment donné, la question est : quelle est la place que l’on te laisse et celle que tu décides de prendre », explique la jeune autrice. Fatima Daas a su prendre sa place. À nous, maintenant, de lui en faire une.
La Petite Dernière, de Fatima Daas. Les Éditions noir sur blanc/ Coll. Notabilia, 192 pages, 16 euros.