KETTY ROUF
LA PLUME QUI DÉPLUME
C’est un des secrets du désir : on n’a diablement envie de ce qu’on ne touche qu’avec les yeux. Du désir, il est beaucoup question dans ce premier roman, dont l’héroïne (et narratrice) est autant cérébrale que sensuelle et, aussi, intellectuelle. Le jour, Joséphine est professeure de philo dans un lycée de Drancy (Seine-Saint-Denis). Après un déclic dont vous découvrirez les ressorts, elle se dédouble en empruntant un autre nom la nuit : Rose Lee, en hommage à la vraie Gypsy Rose Lee, précurseuse de l’effeuillage burlesque dans les années 1940. Joséphine/Rose Lee devient effeuilleuse dans un cabaret de strip-tease.
On ne touche pas, écrit par Ketty Rouf – qui a elle-même travaillé pour l’Éducation nationale avant de donner des cours d’italien, sa langue natale, à des adultes –, raconte une année scolaire de cette prof à plusieurs facettes : les quolibets et les projectiles lancés sur elle et ses collègues, le proviseur qui a peur des jeunes, mais aussi l’aura de Joséphine sur quelques élèves. Une des réussites du livre est de traiter de l’érotisation du corps de son héroïne la nuit aussi bien que d’une autre forme d’érotisation : intellectuelle, cérébrale donc, celle d’une enseignante qui doit apprendre une discipline vieille comme les idées (la philosophie) à des jeunes du XXIe siècle. C’est, aussi, un récit d’apprentissage à l’âge adulte : Rose Lee apprend à aimer son corps en interdisant aux clients de le toucher. Une réflexion, dans les deux sens du terme, sur le rapport à soi et aux autres. Une écriture classique qui déroule des thématiques profondes et subversives : c’est le double effet de ce roman très singulier.
On ne touche pas, de Ketty Rouf. Éd. Albin Michel, 240 pages, 18,90 euros.