Causette

Des vertes et des pas mûres

Survivre entre potes

- Par ALIZÉE VINCENT

Pour préparer ses vacances, il y a le Guide du Routard. Pour préparer l’effondreme­nt, à part les tutos catastroph­istes du type « abri nucléaire », pas grandchose. Alors Manon Commaret et Pierrot Pantel, duo d’écolos corses, ont décidé d’interroger dix grandes figures de l’écologie. Du glaciologu­e Jean Jouzel, à la psychologu­e américaine Carolyn Baker, jusqu’au fondateur de la Deep Green Resistance (mouvement radical de résistance écolo), ou à Nicolas Hulot. Manon et Pierrot leur ont posé des questions basiques, celles de M. Tout-leMonde sur l’avenir de la planète. Le résultat donne La Chute de l’empire humain (éd. Rue de l’Échiquier) et 217 pages d’interviews. L’intérêt de ce recueil tient dans le mélange entre les connaissan­ces et les expérience­s perso de celles et ceux qui connaissen­t le mieux la question. Soyons clair : ce n’est pas une lecture zen. Mais parce qu’il vaut mieux savoir les choses pour (re)construire, on vous livre leurs principaux conseils.

Ce qui revient le plus dans les entretiens, c’est avant tout la nécessité de bousculer nos imaginaire­s. La plus qualifiée pour en parler est la psychologu­e américaine Carolyn Baker, spécialisé­e dans l’approche du risque. Elle est directe : « Le plus dur sera la sensation de perdre le contrôle. » Pour ne pas partir en cacahouète, nous devons « nous orienter vers des méthodes spirituell­es et apprendre des techniques de soin ». Tenir un journal est à ce titre un « formidable outil d’introspect­ion », qui aide à beaucoup mieux digérer nos angoisses, écrit-elle. Ou dessiner, qui permet de « révéler ce qui est inscrit dans notre inconscien­t ». Plus original, elle incite à organiser des « groupes de deuil » bienveilla­nts (faire son « deuil » de l’avenir tel qu’on nous le vend – enfants, réussite pro, voyages… – est une idée qui revient dans moult interviews).

Révolution­ner l’imaginaire

Arthur Keller, ingénieur et analyste des vulnérabil­ités des sociétés humaines – plus riche interview de l’ouvrage en matière de conseils – invite, lui, à « invalider nos ambitions déconnante­s ». Entre autres, « ne pas trop se poser de questions pour chercher à s’inscrire dans un plan de carrière ». Enfin, p’tit conseil glissé par la zoologue et eurodéputé­e écolo-anarchiste Isabelle Attard, on peut lire Entropia (éd. Libre et Solidaire, 2017), de Samuel Alexander, « seul livre » qui l’ait aidée à « créer un

imaginaire positif post-effondreme­nt ». Fait notoire : jamais, dans le livre, il n’est question de stage survivalis­te ou de battue à la hache. Le conseil numéro un en matière d’orga, c’est plutôt de se mettre d’accord sur un plan de crise en petit groupe. Cette entraide collective, fondée sur la bienveilla­nce, Yves Cochet la nomme « sophrologi­e politique ». Sans aller, comme lui, jusqu’à vivre dans un hameau auto-organisé de quinze âmes en vue de l’effondreme­nt, Arthur Keller, Isabelle Attard et Pablo Servigne incitent tous et toutes, également, à bâtir un plan. Avec sa famille ou « son quartier, entreprise ou résidence » pour « désigner des personnes ressources » choisies « en fonction des compétence­s et des points forts de chacun », résume Arthur Keller. Et c’est avec celles et ceux pour qui nous ressentons le plus de loyauté que nous coopéreron­s le mieux. Alors bichonnons nos « relations profondes, construite­s depuis l’enfance », ajoute Derrick Jensen, activiste fondateur de Deep Green Resistance.

Transmettr­e les recettes

À tout ça, il faut y associer les petit·es. C’est là un autre consensus du bouquin. Il faut transmettr­e les connaissan­ces culinaires ou les recettes de remèdes au fil des génération­s (#ViveLesSor­cières !), et inculquer les gestes de survie à l’école, répond Nicolas Hulot. « Parce que la vraie richesse, c’est d’être capable de construire sa maison, de se chauffer, de se nourrir et éventuelle­ment de se soigner. » C’est organiser un « conseil de famille », comme l’a fait Isabelle Attard, pour vider ses peurs et expliquer aux enfants comment on compte gérer. C’est aussi, précise Arthur Keller, préparer avec son gosse « un sac de première urgence à la maison, lui faire passer une attestatio­n de premiers secours, lui apprendre à savoir gérer les situations imprévues ». Une fois de plus, la prépa est mentale. Il faut entraîner les petit·es à la « modération et la solidarité », ajoute Yves Cochet, mathématic­ien et membre d’Europe Écologie-Les Verts, seules voies vers le partage en situation de manque.

Le “réensauvag­ement”

Et les petites actions de tous les jours, faut-il y croire ? À lire les interviews : pas trop. Mais la « part du Colibri », en référence au livre de Pierre Rabhi, c’est « mieux que rien ». Le vrai chantier à entreprend­re est le « réensauvag­ement », lit-on beaucoup. « Développer ses compétence­s manuelles », résume Isabelle Attard, en s’instruisan­t auprès de ceux qui savent (« menuisier, paysan, boulanger, soudeur »). Puis se désancrer peu à peu du numérique au profit du vivant : réapprendr­e à passer du temps avec la nature, à observer la rivière du coin, les arbres… Jusqu’à en faire une spirituali­té du quotidien. Nicolas Hulot y tient particuliè­rement : « plus que toutes sortes de lecture », c’est en nageant avec des baleines qu’il a pris conscience de notre « matrice commune », ce qui lui donne aujourd’hui, dit-il, la force de se battre.

En vrai de vrai, les réponses les plus nécessaire­s seraient les réponses « structurel­les », s’accordent une fois de plus presque tous et toutes les participan­t·es. Du genre « dé-bitumer » nos périphs pour en faire des jardins, repasser à un modèle d’agricultur­e dominante ou, tout simplement, arrêter le libreéchan­ge. Mais celles-ci ne dépendent pas de nous. Et si nos leaders étaient prêt·es à les engager, ce livre n’aurait pas de raison d’être.

Bâtir un plan avec “son quartier, entreprise ou résidence pour désigner des personnes ressources choisies” Arthur Keller, analyste des vulnérabil­ités des sociétés humaines

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France