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Nourrir à petit feu
La photographe Carmen Abd Ali travaille pour des ONG en Afrique de l’Ouest. C’est en Mauritanie qu’elle a découvert la pratique du gavage des femmes, « mbelha » en hassaniya (dialecte arabe). La population maure considère depuis des temps immémoriaux l’obésité comme un critère de beauté absolu pour les femmes. C’est pourquoi, très jeunes, les filles ingurgitent des nourritures à base de bouillies, de lait de chèvre et de poudre de mil, en quantités astronomiques. Aujourd’hui, des médicaments détournés, parfois même vétérinaires, presque toujours dangereux, sont utilisés pour leurs effets secondaires spectaculaires sur les courbes féminines. Avec Le projet Mbelha, Carmen Abd Ali a voulu donner une voix aux Mauritaniennes, qu’elle a photographiées, interviewées et impliquées dans sa démarche artistique. Son travail, confie-t-elle, « questionne l’influence et l’impact des normes de beauté sur les femmes, leur corps et leur image », et l’absurdité de ces normes qui, où que ce soit, desservent les femmes puisqu’en Occident, à l’inverse, c’est l’obsession de la minceur qui domine. Là encore, parfois, au prix de la santé.
U“On m’obligeait à boire des litres de lait de chamelle, avec du couscous et du riz, 24 h/24. Quand je vomissais, on me faisait boire mon vomi”
“Les filles ont commencé à utiliser les médicaments destinés aux vaches pour leurs effets secondaires en 2008. Aujourd’hui, elles en prennent en cachette, car on sait que c’est mauvais pour la santé. Personne n’est d’accord avec ça, ni les parents ni les hommes. Ils veulent d’une fille grosse naturellement” “Le problème c’est qu’on nous demande d’être grosses, mais de ne pas avoir de ventre ni de double menton. C’est contradictoire et on se perd. C’est pour ça que les filles tâtonnent et essaient plusieurs trucs. Il y a des tas de cases à remplir, mais moi je ne veux pas être la fille parfaite, j’en ai rien à cirer”
“Les femmes des séries européennes et américaines, on les trouve vraiment pas jolies. Au contraire, on se moque d’elles sur les réseaux sociaux. On partage leurs photos et les gens commentent avec humour en disant qu’elles sont vilaines tellement elles sont minces” “J’étais avec un homme depuis quatre ans. Il me disait que, pour qu’on se marie, il fallait que je grossisse un peu pour que je sois belle pour sa famille et les invités. Avoir une femme grosse ici, c’est une fierté”