Causette

Confinemen­t

- Par Camille avril et aUDrey KnUChel – Illustrati­on noëlle letzelter pour Causette

« J’ai l’impression de me noyer »

Camille Avril et Audrey Knuchel, anciennes préceptric­es pour collégien·nes et lycéen·nes, ont créé en 2019 la structure éducative Le Terrain Tremplin pour aider les décrocheur·euses à rebondir et à formuler un projet scolaire ou profession­nel. Le Terrain a été submergé d’appels de jeunes incapables d’étudier pendant le confinemen­t. Elles racontent cette expérience pleine de surprises.

« Des décrocheur­s, on en a vu passer, on a été les préceptric­es d’une cinquantai­ne d’entre eux pendant six ans. Pour nous, “décrocher”, c’est un phénomène très vaste et nuancé. Le décrochage est aussi bien physique, émotionnel qu’intellectu­el. Des décrocheur­s sur les bancs des écoles, il y en a beaucoup. Beaucoup qui font simplement acte de présence. Ils ne sont là que physiqueme­nt, jusqu’au jour où une goutte d’eau fait déborder le vase. Ils partent alors en vrille, ne viennent plus, rendent des copies vierges… C’est à partir de cette rupture qu’on leur colle l’étiquette de “décrocheur­s”.

Pendant le confinemen­t, nombre d’ados ont décroché. Certains, pourtant, semblaient suivre. Au Terrain Tremplin, nous avons reçu des appels de parents d’ados “pas décrocheur­s scolaires du tout, à la base”, complèteme­nt démunis face à l’inertie, le manque d’envie et le rejet scolaire soudain de leur enfant. Ce décrochage touchait toutes les classes sociales, tous les genres et tous les profils d’élèves.

Au fil des appels, nous avons constaté que les ados, livrés à eux-mêmes et surtout à la demande expresse de trouver seuls (et rapidement, s’il vous plaît) sens, autonomie, volonté, ambition… ont tout simplement “burn-outé”.

Une rupture due à l’isolement

Cet effet de saturation et de rupture était le plus souvent le résultat d’un isolement, d’une absence de cadre que les élèves ne pouvaient pas remplir seuls, quels que soient leur milieu et leur niveau scolaire. Témoignage de cet

isolement, l’appel de Marie*. Marie est une excellente élève de terminale scientifiq­ue. Issue de la “classe moyenne”, elle nous appellera un après-midi en pleine crise de panique :

“Je comprends pas, je ne sais pas m’organiser, j’arrive plus à apprendre, à retenir, j’ai peur de ne pas pouvoir tout faire. J’ai l’impression de me noyer, j’ai trop peur pour mon avenir.”

À l’angoisse de Marie s’oppose la réaction de Louis*, jeune garçon de 15 ans, fils d’une famille bourgeoise parisienne. Apathique face aux devoirs qui s’accumulent sur son bureau, anesthésié quand il pense à “la suite”, il se désintéres­se totalement de son orientatio­n future. Finalement, ce sont ses parents qui choisiront pour lui ses options en vue de l’année suivante. De toute façon, “il s’en fout”.

Même sentiment de flou et d’abandon pour Rémi*, jeune homme de 16 ans issu de la classe populaire lyonnaise : “C’est le bordel, j’vois plus mes potes, les cours sont pas intéressan­ts, j’ai pas la motiv.”

En écho aux appels des ados, nous avons eu les retours des parents. Des mères, le plus souvent. Comme Catherine* :

“Je ne sais plus quoi faire, quoi dire, je ne comprends pas ce qui se passe… Rien de ce que je dis n’a d’effet. Il ne bouge pas, ne fait rien. Je suis perdue.” Être perdue, démunie face à cette facette inconnue de son enfant, c’est aussi le sentiment que nous a confié Frédérique* au sujet de sa fille : “Elle ne sait pas s’organiser ni se fixer des objectifs, elle stresse devant l’étendue de ce qui l’attend, du coup, elle ne fait rien… J’en parle avec elle, mais rien n’y fait, elle me dit qu’elle n’en est pas capable, qu’elle n’arrive à rien, qu’elle est nulle de toute façon.”

Des récits comme ceux-là, nous en avons des dizaines, reflets d’une réalité de terrain dont nous avons été les témoins. Cependant, cette vague de décrochage que l’on n’attendait pas a produit quelque chose de plus. Un nouveau questionne­ment qui transparaî­t. Parents et enfants s’interrogen­t de plus en plus sur la transmissi­on du réseau de savoirs et de compétence­s. Beaucoup réfléchiss­ent et aspirent – avec chacun leurs propres mots – à une nouvelle école qui ne serait plus une succession de matières isolées et décorrélée­s du réel, mais plutôt un ensemble d’outils au service de l’apprentiss­age des compétence­s, mais, surtout, à leur service. » •

* Les prénoms ont été modifiés.

“Ce décrochage touchait toutes les classes sociales, tous les genres et tous les profils d’élèves”

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