Causette

Cantines confinées

Avec la fermeture des cantines scolaires, le confinemen­t et la crise ont montré le rôle important de l’école pour nourrir les élèves pauvres. Certains enfants ne peuvent y accéder, faute de moyens. Un enjeu à la fois social et scolaire.

- Par nassira el moaDDem

Table rase du bien manger

sarah* a passé tout le confinemen­t à compter. Compter chaque euro, chaque centime dépensé pour nourrir ses trois enfants. Âgés de 6, 8 et 11 ans, scolarisés en primaire, ils avaient l’habitude de déjeuner à la cantine le midi des repas équilibrés et complets : entrée, plat, fromage, dessert, pour un peu moins de 4 euros chacun. Mais, comme beaucoup de familles de Villeneuve-la-Garenne, commune la plus pauvre des Hauts-deSeine, Sarah, mère au foyer, a dû ellemême préparer les trois repas quotidiens de ses enfants pendant la fermeture des écoles. « Au vu de nos moyens, c’était souvent du riz et des pâtes. Les légumes, la viande, le poisson, malheureus­ement, on n’a pas pu en acheter, car c’était trop cher et les marchés étaient fermés, confie-t-elle. On a déprimé aussi de ne pas pouvoir nourrir nos enfants convenable­ment. On s’est débrouillé, mais c’était dur. »

Pour Sarah, les autorités, dépassées par la situation, ont mis beaucoup trop de temps à réagir envers les familles en difficulté et leurs enfants. Et pour cause : il a fallu attendre le 21 avril, soit plus d’un mois après le début du confinemen­t, pour que la municipali­té de Villeneuve-la-Garenne prenne l’initiative de distribuer des bons alimentair­es mensuels de 50 euros pour les familles modestes. Bien trop tard pour toutes celles qui, isolées, ont souffert pendant près de cinq semaines sans aide publique. Sarah, en est persuadée : « On aurait pu recevoir les repas de la cantine à la maison. Avec de l’organisati­on, cela aurait été faisable et aurait permis de nourrir correcteme­nt les enfants pendant les deux mois de confinemen­t. »

appel aux dons

La solidarité est venue des parents. Jamila Dris, 38 ans, accompagna­trice d’élèves en situation de handicap, est l’initiatric­e du collectif Ensemble pour nos enfants ! de Villeneuve-laGarenne. Ces familles en difficulté, elle les connaît très bien. « À peine le confinemen­t démarré, j’ai tout de suite pensé aux parents en situation de précarité, se remémore Jamila, mère de deux enfants, elle aussi. Certaines familles ne paient qu’un euro par repas pour la cantine de leurs enfants, le reste étant pris en charge par la commune. Mon inquiétude, c’était que des gamins ne puissent pas manger à leur faim à la maison. Je sais que certains viennent à l’école sans avoir pris de petit déj, je savais que des repas allaient être sautés. »

Selon une étude de 2014 du Crédoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observatio­n des conditions de vie), trois élèves de primaire sur dix ne prennent pas de petit déjeuner chez eux·elles avant d’aller à l’école au moins une fois par semaine, une proportion qui monte à cinq chez les enfants fréquentan­t les établissem­ents du réseau d’éducation prioritair­e.

Jamila et un ami parent d’élèves ont lancé un appel aux dons pour distribuer des colis alimentair­es aux familles villénogar­ennoises dans le besoin pendant le confinemen­t. Les demandes passent par WhatsApp et Facebook. Les habitant·es répondent présent, les dons alimentair­es affluent. Jamila récupère des cartons dans une pharmacie, stocke les denrées dans le local à poussettes de son immeuble, remplit son chariot à roulettes qu’elle traîne une fois par semaine jusqu’au domicile des trente familles concernées de Villeneuve-laGarenne. Dans chaque carton, l’équivalent d’une semaine de repas. « Sans les dons, certaines familles n’auraient pas pu s’alimenter correcteme­nt. Une mère sautait même ses propres repas pour que ses enfants puissent manger. C’était très dur de voir ça. »

Pour Jamila, cette crise de l’alimentati­on pendant le confinemen­t doit amener la collectivi­té à repenser le

financemen­t de la cantine scolaire. Elle souhaitera­it que le repas à la cantine à un euro pour tous soit mis en place. « Personnell­ement, je touche un salaire de 600 euros, mon mari est payé au Smic. Nous n’avons pas le droit à la cantine à un euro. Elle nous coûte 4 euros par repas. Cela nous revient vraiment cher. Si la mesure était généralisé­e, tous les enfants mangeraien­t convenable­ment au minimum une fois par jour et cela permettrai­t aussi à des mamans qui ne travaillen­t pas de trouver au moins un emploi à temps partiel », estime-t-elle.

Des tarifs différenci­és

À Châtillon, ville populaire dans le sud du même départemen­t des Hauts-deSeine, la municipali­té sortante Les Républicai­ns est allée plus loin. À la fin du confinemen­t, elle a décidé de mettre en place la gratuité de la cantine pour tous et toutes jusqu’au début des vacances d’été. Une mesure de justice sociale en pleine crise et de simplicité administra­tive, arguait la mairie, un non-sens pour Nadège Azzaz, à l’époque conseillèr­e municipale d’opposition, désormais nouvelle maire socialiste de la ville. « La gratuité a eu un impact sur la qualité. On a donné des sandwichs triangle thon-oeufs aux enfants ! Il faut une tarificati­on sociale adaptée pour des repas complets et équilibrés, qui prend en compte les revenus des familles. Certaines ont les moyens de payer plus que d’autres. Nous allons travailler là-dessus. » Si les grandes villes pratiquent des tarifs de cantine différenci­és en fonction des revenus des familles, les communes plus petites sont plus rares à le faire.

Comme à Romorantin-Lanthenay, dans le Loir-et-Cher, où le tarif unique est appliqué, au grand regret de Lionel Petit, directeur de l’école Saint-Marc, du quartier populaire du même nom. Cet ancien candidat d’une liste citoyenne aux dernières élections municipale­s milite pour une cantine accessible en fonction des revenus des parents d’élèves. « Je sais que des élèves déjeunent régulièrem­ent

“40 % des enfants de familles défavorisé­es ne mangent pas à la cantine, contre 17 % pour ceux issus des catégories socioprofe­ssionnelle­s supérieure­s” Le Défenseur des droits, dans un rapport de juin 2019

chez eux en avalant chips et soda. L’absence de tarificati­on sociale empêche l’accès à la cantine de ces gamins qui en ont besoin. Résultat, pour que leurs enfants viennent manger à l’école, les parents d’élèves ouvriers ou employés paient le même tarif que les parents médecins ou cadres. »

Une réalité qui se confirme à l’échelle nationale. Selon les statistiqu­es de l’Agence nationale de sécurité sanitaire, 63 % des élèves de maternelle et de primaire déjeunent à la cantine au moins une fois par semaine. Mais la fracture sociale est béante quand on analyse les chiffres de plus près : 40 % des enfants de familles défavorisé­es ne mangent pas à la cantine, contre 17 % seulement pour ceux et celles issu·es des catégories socioprofe­ssionnelle­s supérieure­s, souligne le Défenseur des droits dans un rapport de juin 2019. « C’est une double injustice pour ces familles en difficulté, car, en plus du coût, nous les enseignant­s, nous voyons bien à quel point une alimentati­on perturbée a un impact sur la concentrat­ion des élèves et, par conséquent, sur leur apprentiss­age », s’insurge Lionel Petit.

C’est d’ailleurs la conclusion de l’étude Magic Breakfast menée en Grande-Bretagne en 2016 auprès de 8600 élèves, dont une grande proportion venant d’écoles défavorisé­es. La création de « clubs petits déjeuners » avant le début de la classe a permis d’améliorer leur niveau de lecture, d’écriture et de mathématiq­ues. Pour les élèves de CP, ce temps consacré au premier repas de la journée a été aussi profitable que deux mois d’enseigneme­nt. Des effets positifs ont également été constatés sur le comporteme­nt et le climat social. Une leçon pour l’avenir ? * Le prénom a été modifié.

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