Causette

Maisons familiales rurales

- Par MARIANNE RIGAUX – Photos JULIEN MASSON pour Causette

Combattre l’échec scolaire à la tronçonneu­se

« Réussir autrement. » Tel est le slogan des Maisons familiales rurales (MFr). Depuis soixante-dix ans, ces écoles accueillen­t des élèves qui ont décroché du système général, de la quatrième à la licence pro. Dans la petite MFr de l’Arclosan, en haute-Savoie, on apprend les métiers du bois.

« salut les petits chats ! » Avec sa bonne humeur habituelle, Jérémy accueille les secondes qui arrivent avec la navette et leurs valises. Les « petits chats », uniquement des garçons dans cette classe, ont un duvet de moustache et la flemme du lundi matin. Ils reviennent de quinze jours de stage en entreprise. Après avoir retrouvé leur chambre à l’internat, ils découvrent leur planning de cours de la semaine : histoire-géo, maths, anglais, physique-chimie, aménagemen­t de chantier, sylvicultu­re... En cette mi-juin, ils doivent aussi débroussai­ller les alentours de l’école, laissés en friche pendant le confinemen­t. Et cette partie du programme les met en joie, car ces petits gars n’aiment rien tant que de manier la débroussai­lleuse, un casque antibruit sur les oreilles et de grosses bottes aux pieds. C’est une partie de tout ce qu’ils sont venus apprendre dans cette école, nichée dans les montagnes à mi-chemin entre Annecy et Albertvill­e, spécialisé­e dans les métiers du bois et de la forêt. Plus tard, ils deviendron­t paysagiste­s, gardes forestiers ou bûcherons. Des activités saisonnièr­es qu’ils cumuleront avec une autre dans les stations de ski voisines comme La Clusaz ou Le GrandBorna­nd. La Maison familiale rurale (MFR) de l’Arclosan les forme à ces métiers, avec des cursus en alternance, de la quatrième à la licence pro, et surtout avec une approche différente de l’enseigneme­nt classique. Initié par des agriculteu­rs du Sud-Ouest dans les années 1950, ce dispositif reste peu connu en France. Les MFR n’ont pas de lien direct avec l’Éducation nationale (EN), cependant les formateur·trices suivent les objectifs pédagogiqu­es des programmes de l’EN, en les adaptant dans leur applicatio­n au quotidien.

alternance entre cours et stages en entreprise

De loin, leur école ressemble à un gîte et leur petite troupe à une colonie de vacances, dans laquelle les filles se font rares. De plus près, on distingue les salles de classe, le potager, l’enclos pour les poules, le self, l’internat, la salle télé, le foyer. Et puis leur bâtiment préféré : l’atelier. Ça sent l’essence des tronçonneu­ses et la sueur des équipement­s de protection. Quand on demande aux secondes pourquoi ils préfèrent la MFR au lycée ou au collège classiques, les réponses fusent. « On peut parler avec les formateurs, les tutoyer », lance Maël. À l’Arclosan, la proximité est de rigueur et les formateur·trices appelé·es par leur prénom. « L’avantage, c’est qu’on fait deux semaines de cours, puis deux semaines d’alternance », avance Valentino. « On n’aime pas trop être assis en classe, on préfère découvrir les métiers », appuie Maël. « Mais c’est vrai qu’on a besoin des maths pour compter les cubages quand on coupe du bois », reconnaît Mathis, qui aime les soirées tisane et l’ambiance conviviale. Tom a apprécié ses deux dernières semaines à engazonner des jardins : « J’étais dehors à respirer l’air frais, on me laissait utiliser les engins. » Pour ces garçons qui ont quitté le système général après une troisième classique, la profession­nalisation en alternance tout au long des études fait une grosse différence. Encore faut-il savoir que cette voie existe. « Je voulais être bûcheron, raconte Tristan. J’ai vu une affiche pour la MFR dans un salon et mes parents m’ont poussé là dedans. »

Pendant qu’ils font le point avec Jérémy sur leur dernier stage, Nathalie Balso, la directrice de la MFR, reçoit un jeune et son père pour l’inscrire en quatrième. Avec

90 élèves, l’Arclosan est une petite structure, où toute l’équipe doit être multitâche­s : plannings, ressources humaines, gestion budgétaire, développem­ent des activités, communicat­ion, partenaria­ts avec les entreprise­s, journées portes ouvertes… Elle s’active sur tous les fronts pour faire vivre l’école, avec un enjeu : faire connaître l’Arclosan, qui existe depuis vingt ans, et surtout sa pédagogie alternativ­e, résumée dans le slogan « réussir autrement ». Une philosophi­e que développe Nathalie Balso : « Dans les MFR, les jeunes sont décisionna­ires, motivés et moteurs de leur projet. Ils ne sont pas placés là parce qu’ils sont punis, au contraire. S’ils étaient restés dans le système classique, ils se seraient plantés. Ici, ils retrouvent du sens à l’école et ils nous quittent avec un projet profession­nel. Notre objectif, c’est de permettre à tous de réussir. » Aux parents qui viennent se renseigner, la directrice demande une forte implicatio­n dans le projet. « Ils arrivent chez nous assez convaincus, avec la volonté de tester un système différent, plus concret, plus adapté. » L’année coûte 2500 euros, dont 1800 pour l’internat.

Des structures essentiell­ement privées

Dans la pratique, les MFR sont des structures associativ­es, implantées dans les zones rurales où il y a peu de dispositif­s de formation. La France en compte près de cinq cents, qui forment plus de 55000 apprentis chaque année. Les trois quarts sont des établissem­ents privés sous contrat avec le ministère de l’Agricultur­e, qui leur accorde une subvention annuelle selon le nombre d’élèves. Les autres établissem­ents sont sous convention avec les Régions. Le reste du budget, il faut aller le chercher, auprès de la Région et de la communauté de communes, ou bien en louant les locaux à des groupes de touristes, le week-end. « La situation financière était catastroph­ique quand je suis arrivée, il y a trois ans. Ça commence à aller mieux, mais, souvent, je suis obligée de faire des arbitrages budgétaire­s au détriment de l’humain », déplore la directrice. Ingénieure agronome, puis formatrice en lycée agricole, Nathalie Balso avoue qu’elle-même connaissai­t mal ce système avant d’atterrir à l’Arclosan. En revanche, elle connaît bien les montagnes qui découpent l’horizon, puisqu’elle vit dans le village voisin de Thônes depuis vingt-cinq ans. « Pour marcher, une MFR doit être portée par un tissu d’entreprise­s locales investies dans la formation profession­nelle. En France, les filières bois et forêts n’ont pas la côte… » Dans les prochaines années, elle souhaite ouvrir l’Arclosan aux métiers de la montagne, pour proposer une plus grande variété de diplômes.

Au déjeuner, elle rejoint l’équipe pédagogiqu­e sur la terrasse du self, pendant que les élèves mangent à l’intérieur. Elle sait qu’elle en demande beaucoup aux formateurs et formatrice­s. À la MFR, il faut pouvoir s’investir au-delà des cours, assurer des temps de veillée à l’internat une fois par mois, animer des portes ouvertes, gérer le suivi des stages... Dans l’équipe, personne n’est passé par l’Éducation nationale. Raphaëlle, 31 ans, a d’abord travaillé dans le tourisme, avant de prendre en charge les cours de français et d’anglais. « J’enseigne à l’instinct. Le public est parfois difficile, on est avec eux tout le temps. En échange, on a des discussion­s intéressan­tes, ils m’apprennent plein de trucs sur la forêt. Dans le système général, les élèves sont dans le même moule, on n’a pas ce genre de relation. » Sa collègue Élise, 43 ans, donne des cours d’histoire-géo et de français, et assure les besoins éducatifs particulie­rs. « On a beaucoup d’élèves “dys”*, quasiment un sur deux en quatrième, cette année. Mais c’est un public qui se plaît en MFR parce que l’alternance leur offre une autre voie que celle de l’échec scolaire. Leur réussite est une grande satisfacti­on. » À 27 ans, Axel est le dernier arrivé dans l’équipe, après avoir été bûcheron. Et il a hâte de commencer. « Au collège classique, on ne parle pas de métier. On ne fait pas le lien entre l’intérêt des matières et la vie profession­nelle, alors qu’en MFR les matières sont appliquées à ce qu’ils apprennent en stage. »

“Ici, les jeunes retrouvent du sens à l’école et ils nous quittent avec un projet profession­nel. Notre objectif, c’est de permettre à tous de réussir” Nathalie Balso, directrice de la MFR de l’Arclosan

Mathieu, 34 ans dont sept à l’Arclosan, cumule les cours : sport, biologie, maths, informatiq­ue, physique-chimie, enseigneme­nt profession­nel interdisci­plinaire (EPI), enseigneme­nt moral et civique (ESC) et enseigneme­nt à l’initiative de l’établissem­ent (EIE). Il en rigole, dans la cour. « C’est sûr qu’il faut être sacrément polyvalent ! Et, pourtant, les cours en classe, c’est pas mon truc, j’aime le sport, à la base. » Avant, il a fait un tour chez les chasseurs alpins, puis pratiqué l’accrobranc­he et la peinture en bâtiment.

traités comme des adultes

De son côté, Jérémy, devant les élèves de seconde, a prévenu qu’il quittait l’école à la rentrée, après huit années comme formateur en aménagemen­t de chantier. « C’est génial, la MFR, mais c’est aussi beaucoup d’émotions et de charge mentale, avec des élèves qui ont des parcours délicats. » Il va retourner à ses premiers amours : la menuiserie.

Un presque ancien élève passe dire bonjour à l’équipe. Samuel, au terme d’une scolarité commencée dans la MFR en classe de quatrième, vient d’achever son bac pro « forêt », qui ouvre aux profession­s de bûcheron, garde forestier, technicien en travaux forestier, débardeur, ou encore élagueur. Il se souvient de sa sortie du système classique. « J’y arrivais plus en cinquième, le système général ne sait pas aider les élèves comme moi. Ici, j’ai découvert qu’un formateur pouvait réexplique­r, encore et encore, même si ça prend une heure. » Au fil des années et des stages, il découvre l’entretien des forêts et se spécialise dans le bûcheronna­ge, comme son grand-père, et passe en parallèle un diplôme d’ambulancie­r, qui lui assurera du travail en hiver. « La MFR, ça fait grandir plus vite, ça aide à devenir mature et responsabl­e, car on doit trouver nos stages nous-mêmes. Les formateurs nous traitent comme des adultes, on peut rigoler et parler avec eux. C’n’est pas pour rien que ça s’appelle une maison familiale. » De ses cinq ans d’études, son meilleur souvenir reste le voyage de classe au Danemark, un pays qui valorise beaucoup plus que la France les métiers du bois et les enseigneme­nts alternatif­s.

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 ??  ?? en forêt, axel Dumas, formateur, avec valentino, en seconde, qui s’entraîne aux « pas du bûcheron », dont l’écartement équivaut à un mètre.
en forêt, axel Dumas, formateur, avec valentino, en seconde, qui s’entraîne aux « pas du bûcheron », dont l’écartement équivaut à un mètre.
 ??  ?? les élèves sont chargés des espaces extérieurs. Jérémy Boillon, formateur, montre à valentino comment débourrer une tondeuse.
les élèves sont chargés des espaces extérieurs. Jérémy Boillon, formateur, montre à valentino comment débourrer une tondeuse.
 ??  ?? tristan, tom et Kyllian transporte­nt les branches de la haie qu’ils ont taillée.
tristan, tom et Kyllian transporte­nt les branches de la haie qu’ils ont taillée.
 ??  ?? tom et maël, élèves de seconde, durant le cours de botanique en forêt.
tom et maël, élèves de seconde, durant le cours de botanique en forêt.
 ??  ?? Tom apprend à utiliser la débroussai­lleuse.
Tom apprend à utiliser la débroussai­lleuse.
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valentino suit un cours initié par la mFr (eie) et donné par mathieu Blanchouin, sur le changement climatique dans les alpes.
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