Causette

Alternativ­es

Adaptables au rythme des élèves, les méthodes telles que Montessori, dans le privé, ou Freinet, dans le public, ont bien mieux passé l’épreuve de l’école à distance. Cette réussite pourrait-elle favoriser leur généralisa­tion au sein de l’éducation nationa

- Par sylvie Fagnart

Excellent trimestre !

Chaque année, une centaine de nouvelles écoles viennent étoffer l’offre alternativ­e au réseau public d’enseigneme­nt. C’est dix fois plus qu’il y a vingt ans. Établissem­ents hors contrat, financés aux frais des familles, ils répondent à une demande d’ordre confession­nel, mais aussi à des attentes de pédagogies différente­s. D’après les statistiqu­es du lobby de « l’enseigneme­nt libre », la Fondation pour l’école, plus de 20 % de ces 1500 structures se réclament de la pédagogie Montessori et 10 % d’autres pédagogies actives. Le succès des livres inspirés par la célèbre docteure italienne et des jeux estampillé­s « méthode Montessori » confirme cette appétence des parents. Le chercheur et spécialist­e des sciences de l’éducation Philippe Meirieu (lire page 6) voit dans la prospérité croissante de ces offres éducatives le reflet de notre société individual­iste, en quête d’un développem­ent personnel réussi, dès l’enfance. Car l’une des principale­s promesses de ces enseigneme­nts est de ne laisser personne sur le bord du chemin des apprentiss­ages, de mettre l’élève au centre, pour qu’il ou elle progresse à son rythme.

Si la période d’école à distance a accru les écarts entre les élèves de l’Éducation nationale, côté alternatif, le bilan est nettement moins sombre. « Les parents de nos élèves ont été étonnés par leur autonomie. Ils nous ont dit qu’ils ne savaient pas que leurs enfants pouvaient en faire autant seuls », rapporte Diane Vandaele, coordinatr­ice de l’associatio­n Montessori France. Pour Marie-Ève Collard-Thivillier, professeur­e des écoles Freinet à Saint-Étienne (Loire), c’est le lien fort noué avec les parents qui a permis de ne pas perdre d’élèves pendant le confinemen­t. Une réussite. C’est que « la coéducatio­n est un fondement, chez Freinet », précise-t-elle.

Divers courants

“Ces pédagogies proposent d’autres voies qu’un enseigneme­nt identique pour tous et s’opposent à la compétitio­n entre les élèves” Yves Reuter, professeur émérite de didactique à l’université de Lille

Des résultats positifs qui, pourtant, ne conduisent pas à inscrire davantage les pédagogies alternativ­es dans l’école du monde d’après. Car le pas n’est pas simple à franchir. Il faut d’abord distinguer la nébuleuse derrière l’expression fourre-tout de « pédagogies alternativ­es ». En France, elles se réfèrent très majoritair­ement à Montessori, d’une part, Freinet, d’autre part, et, dans une moindre mesure, à l’Autrichien Rudolf Steiner, inspirateu­r du mouvement Steiner-Waldorf. Mais d’autres noms ont marqué l’école autrement : le Belge Ovide Decroly ou encore le Brésilien Paulo Freire. L’École Vitruve ou l’École des Roches mettent également en oeuvre des pédagogies différente­s.

Toutes ont un point commun : offrir une alternativ­e à la forme traditionn­elle d’enseigneme­nt. « Ces pédagogies proposent d’autres voies qu’un enseigneme­nt identique pour tous et s’opposent à la compétitio­n entre les élèves, aux évaluation­s à orientatio­n négative, aux exercices répétitifs », illustre Yves Reuter, professeur émérite de didactique à l’université de Lille.

Deux grandes tendances se distinguen­t cependant : d’une part, les pédagogies qui inventent d’autres manières d’apprendre au service du développem­ent individuel de l’élève, d’autre part, les pédagogies critiques, qui font de l’école un instrument de changement collectif et politique.

« Pour Maria Montessori, tout enfant est capable d’apprendre, c’est une question de techniques, précise Laurence De Cock 1. Mais elle n’inscrit pas sa pédagogie dans l’école publique, son but n’est pas l’émancipati­on des enfants du peuple, à la différence des mouvements de pédagogie critique », pose cette historienn­e, docteure en sciences de l’éducation.

“puissance politique”

Logiquemen­t, la méthode Montessori s’exerce, majoritair­ement, auprès des classes sociales privilégié­es dans le privé hors contrat. À l’inverse, le mouvement Freinet n’est présent que dans le public. Cependant, les enseignant·es de l’Éducation nationale, au quotidien, piochent les bonnes idées de tous les courants.

Pour un « monde d’après » postrévolu­tionnaire et égalitaire, le remède serait donc de se servir des pédagogies critiques ? « Dans leur perspectiv­e, l’école doit faire des enfants des acteurs, désireux de transforme­r le monde, des êtres émancipés, détenteurs d’une puissance politique », met en avant Laurence De Cock. « Nous ne savons pas dans quel monde nous vivrons demain. Il faut donc former une génération d’enfants qui soient actifs, au sens de “capables d’agir”, créatifs et coopératif­s. Exactement le triptyque sur lequel repose la vision de l’émancipati­on chez Freinet », complète Véronique Decker 2, directrice d’école primaire à Bobigny (Seine-Saint-Denis) pendant vingt-cinq ans.

À ce triptyque s’ajoutent des atouts très concrets en temps de coronaviru­s. « Freinet enseignait aux filles et fils d’ouvriers, il était très attentif à la transmissi­on des règles d’hygiène qui garantisse­nt une bonne forme physique », pointe Laurence De Cock. « Le “tâtonnemen­t expériment­al” propre à la méthode Freinet est un processus d’expériment­ation scientifiq­ue. Or, dans le “monde d’après”, nous aurons besoin d’adultes qui savent que la science est l’état actuel de nos connaissan­ces, qu’il peut être modifié et contredit. Pas une histoire de croyances », avance Véronique Decker.

“Une améliorati­on du climat dans l’école”

Si on ambitionne une école où les élèves ont la possibilit­é d’atteindre le même niveau de connaissan­ces, quels que soient leurs milieux socio-économique­s, il semble que les pédagogies alternativ­es soient mieux à même de l’obtenir, même si les études manquent pour l’affirmer avec certitude. Mais les indices convergent. « Les études menées aux ÉtatsUnis montrent qu’elles réduisent les inégalités d’apprentiss­age pour les enfants des classes populaires », assure Diane Vandaele. En France, l’étude la plus poussée concerne l’une des rares écoles primaires 100 % Freinet. Un établissem­ent scolaire de Mons-en-Baroeul, près de Lille (Nord), pris en charge en 2001 par une équipe de professeur·es des écoles militant·es de la pédagogie Freinet. Une école alors en déshérence, fuie par les enseignant·es et les familles. « Très vite, dès les vacances de Toussaint, on a constaté une améliorati­on du climat dans l’école. Les performanc­es scolaires se sont accrues aussi, rapidement », résume Yves Reuter 3, chargé de l’équipe pluridisci­plinaire de l’université de Lille, qui en a observé le fonctionne­ment pendant cinq ans.

une odeur de soufre

Malgré ces bons résultats, il ne faut toutefois pas attendre un mot d’ordre général de l’Éducation nationale en faveur de Freinet. « C’est un nom qui a toujours senti le soufre », pointe Bruno Garnier, professeur en sciences de l’éducation à l’université de Corse. Il n’est pas plus en odeur de sainteté auprès de Jean-Michel Blanquer que de ses prédécesse­urs. L’actuel ministre de l’Éducation nationale avait, en revanche, appelé à ce que « l’esprit Montessori » puisse « inspirer le service public ». « Davantage compatible avec sa vision néolibéral­e de l’école », tranche Laurence De Cock.

Mais faut-il une directive venue de la Rue de Grenelle pour inventer l’école post-Covid-19 ? « Au-delà de leurs différence­s, les ministres ont en commun de vouloir faire leur réforme et d’imposer leurs idées. Allons plutôt voir ce qui se fait sur le terrain », pose Yves Reuter. D’autant que c’est là qu’oeuvrent celles et ceux qui font vivre les pédagogies alternativ­es. « Les enseignant·es bougent pour faire différemme­nt, pour tenir le choc », décrit le chercheur. Et construise­nt au jour le jour l’école du monde d’après.

1. Laurence De Cock a dirigé, avec Irène Pereira, l’ouvrage Les Pédagogies critiques, éd. Agone, 2019.

2. Véronique Decker est l’autrice de Pour une école publique émancipatr­ice, éd. Libertalia, 2019, et de L’École du peuple, éd. Libertalia, 2017.

3. Yves Reuter a raconté les enseigneme­nts de cette étude dans Une école Freinet. Fonctionne­ments et effets d’une pédagogie alternativ­e en milieu populaire, éd. L’Harmattan, 2007.

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l’école libre Freinet à vence (alpes-maritimes) en 1953.

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