Causette

Jean-Michel Blanquer

Quelques jours avant la rentrée, le ministre de l’éducation nationale a annoncé le lancement d’un Grenelle des professeur­s, axé sur la promotion de l’esprit d’équipe, la modernisat­ion du système d’enseigneme­nt et la hausse des rémunérati­ons. Cependant, il

- Propos recueillis par JULIETTE LOISEAU Photos NJERI NJUGUNA pour Causette

« Le numérique doit seconder l’humain »

Causette : Quel bilan tirez-vous de l’enseigneme­nt à distance pendant les mois de confinemen­t ?

Jean-Michel Blanquer : Notre plus grande force, c’est que l’éducation est un service public. Nous avons pu nous appuyer sur le Cned [Centre national d’enseigneme­nt à distance, ndlr] qui, depuis l’ouragan Irma à Saint-Martin [Antilles françaises], était bien préparé à prendre le relais en cas de fermeture des écoles. Trois millions de foyers se sont connectés pendant la crise. Il y a aussi les Espaces numériques de travail (ENT), qui se sont développés depuis plusieurs années. Les parents et les élèves ont pris l’habitude d’aller y chercher les devoirs ou de suivre les notes. Un tiers des foyers les ont utilisés pendant le confinemen­t. Une autre grande force, c’est l’engagement des enseignant­s pendant toute la durée de celui-ci. D’après une enquête Ifop*, 75 % des parents sont satisfaits de l’enseigneme­nt à distance. C’est l’un des taux de satisfacti­on les plus hauts d’Europe. Mais, bien sûr, il y a également eu des faiblesses. Les 5 % d’élèves qui ont décroché, soit près de 500000 enfants, en sont une, même si, sur ce sujet, nous avons mieux fait que la plupart des pays européens. On a vu aussi que la formation des enseignant­s au numérique est incomplète et hétérogène, tout comme l’équipement informatiq­ue des élèves. C’est pourquoi nous avions lancé l’opération « Nation apprenante » [lire page 42], qui a permis de diffuser des programmes scolaires grâce à la télévision, la radio et la presse écrite. Mais il reste des choses à améliorer pour un enseigneme­nt à distance de qualité.

Précisémen­t, quelles sont les améliorati­ons prévues ?

J.-M. B. : La situation nous permet actuelleme­nt un temps de préparatio­n, et nous bénéficion­s désormais de l’expérience du confinemen­t. Un plan de continuité pédagogiqu­e a été publié pour aider les chefs d’établissem­ent et les enseignant­s. Il existe, à la suite de l’expérience, de très nombreuses ressources.

Elles y sont recensées, notamment des centaines d’heures de cours en vidéo, diffusées par le programme Lumni. La formation continue aux outils numériques des enseignant­s est également renforcée et proposée dès la rentrée. Côté matériel, l’Éducation nationale s’engage sur l’équipement informatiq­ue des familles. Des ordinateur­s et des tablettes ont été distribués pendant le confinemen­t grâce aux collectivi­tés territoria­les, mais nous devons équiper tous les élèves qui en ont besoin. Le plan de relance peut être une piste.

et l’équipement des enseignant·es ? sans matériel profession­nel en dehors des classes, certain·es n’ont pas pu dispenser de cours virtuels faute d’outils…

J.-M. B. : Les enseignant­s aussi doivent être équipés des outils numériques nécessaire­s pour poursuivre leur travail à distance. Cela fait partie des projets actuels.

toujours du côté des professeur­s, se pose la question de la formation à l’enseigneme­nt par le numérique, qui existe très peu. Comptez-vous la développer ?

J.-M. B. : Pendant le confinemen­t, nous avons constaté que les enseignant­s qui avaient l’habitude de pratiquer la classe inversée – c’est-à-dire de diffuser un cours en vidéo, puis de le mettre en pratique avec des exercices – étaient ceux qui s’étaient le mieux adaptés à l’enseigneme­nt à distance. Il faut donc renforcer la formation sur ces méthodes et sur le numérique éducatif. Il faut aussi que les enseignant­s aient les connaissan­ces numériques de base. Dès la rentrée, le réseau Canopé doit proposer ainsi des formations sur les pratiques de l’enseigneme­nt à distance, dans le cadre de la formation continue.

Pensez-vous que l’enseigneme­nt à distance puisse être pérennisé au-delà des contextes de crise obligeant la fermeture des écoles ?

J.-M. B. : L’enseigneme­nt à distance ne va pas remplacer celui qui se fait en classe. Le confinemen­t l’a montré, l’humain est central dans l’apprentiss­age. Les élèves ont besoin des enseignant­s à leurs côtés pour apprendre et progresser. Le numérique ne doit pas servir à remplacer l’humain, mais à le seconder ou à l’augmenter. Il permet bien sûr de nouvelles possibilit­és d’apprentiss­age et d’enseigneme­nt, il faut apprendre à en maîtriser les usages, mais la place de l’enseignant en présentiel est toujours aussi importante.

la question de la place des écrans interroge, voire inquiète. Quelle sera-t-elle dans l’école de demain ?

J.-M. B. : L’omniprésen­ce des écrans pose effectivem­ent la question de la consommati­on et de l’addiction. Mais le numérique, ce n’est pas que ça. La programmat­ion et la robotique en font partie et ne nécessiten­t pas forcément d’écrans pour apprendre. Quand des élèves de maternelle utilisent un robot, le programmen­t et le font se déplacer dans l’espace, ils acquièrent énormément de notions, par le numérique. Ensuite, il est nécessaire que les élèves apprennent à maîtriser les usages de ce dernier. L’Éducation nationale a déjà franchi une étape très importante à ce sujet, car l’informatiq­ue est désormais une véritable discipline. Dans le cadre de la réforme du lycée, la spécialité « numérique et sciences informatiq­ues » a été introduite pour former les élèves. Il y est autant question d’objets connectés ou de robots que de développem­ents d’applicatio­ns mobiles. Le pendant, c’est la création d’un Capes [certificat d’aptitude au professora­t de l’enseigneme­nt du second degré] « numérique et sciences informatiq­ues », dont la première session a lieu en 2020, pour dispenser une formation de qualité. Et, dans tous ces exemples sur l’éducation par et au numérique, la présence humaine est indispensa­ble.

* Dossier spécial « Le regard des parents sur l’école à distance », mai 2020.

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