Crystèle Ferjou
Conseillère pédagogique, Crystèle Ferjou est une pionnière de l’école dehors. Son obsession depuis dix ans : faire redécouvrir aux « enfants du dedans » les bienfaits de la nature. Avec la journaliste Moïna Fauchier-Delavigne, elle vient de publier Emmene
Pédagogue de nature
Un ciel couvert enveloppe la gare de Poitiers, traversée, en ce mois d’été, par un ballet de voyageurs et voyageuses masqué·es. Crystèle Ferjou approche de l’esplanade, le visage cerclé de boucles brunes aux nuances de gris. « On peut se tutoyer ? J’ai beaucoup de mal à vouvoyer… » C’est son côté naturel. Seule coquetterie, des chaussures assorties à son treillis vert kaki. Arrivée à l’instant de sa campagne granitique, elle habite une maison autoconstruite sur 40 hectares de terrain qu’elle partage avec ses beaux-parents, propriétaires au même endroit d’une bâtisse du XIVe siècle.
Celle qui est aujourd’hui conseillère pédagogique à l’académie de Poitiers (Vienne) passe, en France, pour une pionnière de l’école dehors. Elle n’a pas attendu la crise du Covid-19 pour se lancer, il y a dix ans. Son obsession : redonner aux « enfants du dedans » le goût de gratter la terre à s’en mettre plein les ongles, d’observer les vers gigoter dans leur main, de se préparer des sandwichs aux orties, d’écouter les chants de vrais oiseaux plutôt qu’une bande sonore diffusée en salle de classe… « Ma préoccupation première n’a jamais été de sensibiliser les enfants à l’environnement, mais de développer leur être, leur sensibilité, au-delà des programmes scolaires. Même s’il est tout à fait possible de les initier aux mathématiques en mesurant un tronc d’arbre », précise
Crystèle Ferjou. Qui supporte mal de voir la jeune génération sacrifiée sur l’autel de la sécurité, tellement moins libre que la sienne. Élevée dans les années 1970 par une mère au foyer et un père agent de maîtrise, elle est pourtant loin d’avoir grandi dans une communauté hippie ! Reste que ses parents étaient moins obsédés qu’aujourd’hui par la peur du kidnapping et de l’accident, la laissant volontiers jouer sans surveillance avec ses copains sur les bords du Thouet et l’emmenant l’été passer des vacances ensauvagées au camping.
révolution pédagogique
Des études à Bordeaux achèvent de la convaincre qu’elle n’est pas faite pour la ville. « Faire la queue pour prendre les transports en commun, se retrouver coincé dans les embouteillages…, je découvrais toutes les contraintes de la vie urbaine », évoque-t-elle. Heureusement, sa maîtrise en géographie et aménagement du territoire, option gestion des espaces naturels, la conduit sur le terrain. Dans le Parc naturel régional des Landes de Gascogne, qui l’accueille en stage, un prospectus pour devenir « éco-interprète », qui traîne au centre du Graoux, attire son regard. Cette formation professionnelle unique en France sélectionne, chaque année, une dizaine de candidat·es pour leur apprendre à concevoir et à mener des actions d’éducation à l’environnement. L’étudiante postule et part pour la Bresse jurassienne en Franche-Comté, où elle fait ses armes auprès de groupes scolaires. « C’est ma révélation pédagogique ! En un an, j’ai la sensation d’en avoir appris beaucoup plus qu’en quatre ans d’université », s’exclamet-elle. Il se trouve qu’elle a renoué avec un copain d’école qui deviendra le père de ses enfants.
Retour avec lui à Beaulieu-sousParthenay, un village d’environ six cents âmes au coeur des Deux-Sèvres. Au contact d’une belle-famille qui n’a pas attendu la mode du bio pour bannir les produits chimiques sur ses terres agricoles, son goût pour la proximité avec la nature se mue en choix de vie. Dans leur coin de bocage, le couple laisse les herbes sauvages s’installer sous l’influence du paysagiste Gilles Clément, adepte des friches. Leurs enfants, elle les met au monde à la maison ou plutôt dans un gîte loué à cet effet, aucune sage-femme ne pratiquant l’accouchement à domicile dans son département : « Ce sont des bébés d’hiver. Ma fille est née au coeur des marais secs vendéens et mon fils en bord de lac. »
Sous de tels auspices, pas étonnant qu’il et elle leur aient été si pénibles de devoir rester assis sur une chaise toute la journée à écouter le prof parler… au point qu’il·elle ont tous deux fini par
“Ma préoccupation première n’a jamais été de sensibiliser les enfants à l’environnement, mais de développer leur être, leur sensibilité” Crystèle Ferjou, conseillère pédagogique à l’académie de Poitiers (Vienne)
atterrir dans un lycée autogéré l’année du bac. Il faut dire que leur mère est un contre-modèle. Une fois passé le concours de professeure des écoles, elle n’a qu’une idée en tête : trouver des espaces de verdure pour y emmener ses élèves. Elle monte des projets de jardins pédagogiques, des chantiers participatifs de plantations d’arbres, fabrique avec sa classe une cabane qui finira exposée au Futuroscope…
un terrain vague pour classe
Quand elle arrive à Pompaire, petite ville des Deux-Sèvres, dans une école construite en bord de route, avec en tout et pour tout un cèdre et une bande d’herbe à l’entrée, c’est le choc. « J’ai pensé que je n’allais pas survivre ! » Cette année-là, elle lit Les Enfants des bois, de Sarah Wauquiez, qui enseigne en Suisse dans un jardin d’enfants en forêt. Une idée saugrenue germe alors dans son esprit. Et si le terrain vague que la mairie a bien voulu mettre à sa disposition lui servait de salle de classe une matinée par semaine ? Ni une ni deux, Crystèle Ferjou se retrousse les manches. Peu à peu, les enfants gagnent en autonomie. Elle peut ainsi passer du temps à observer chacun·e. À ceux et celles qui sont moins à l’aise à l’extérieur, elle propose une activité accompagnée : « Préparer le gâteau d’anniversaire du printemps », par exemple. Il lui arrive aussi de lire une histoire. Les mots appris dehors se gardent plus facilement en mémoire et les livres sont moins impressionnants.
En 2010, les programmes scolaires ne mettent pas encore l’accent sur la place du jeu dans les apprentissages, et encore moins sur l’importance du rapport au-dehors. L’expérience essaime au-delà de ses espérances. Quand elle quitte son poste six ans plus tard pour endosser l’habit de conseillère pédagogique, toute l’école reprend le flambeau.
Depuis le confinement, sa boîte mail ne désemplit pas. À la faveur du Covid-19, l’académie de Poitiers lui a demandé de piloter un groupe de travail sur l’école dehors. Il aura fallu le temps, mais l’institution sort enfin de sa torpeur. Installée dans le jardin clos de sa soeur, duquel on entend passer les trains, elle observe le centre historique de la capitale poitevine qui se découpe à l’horizon. Aux dernières municipales, la vague verte a déferlé jusqu’ici. À 30 ans, Léonore Moncond’huy est la première femme à diriger la ville. Elle est écolo. Voilà qui devrait apporter de l’eau au moulin de Crystèle.
Emmenez les enfants dehors !, de Crystèle Ferjou et Moïna Fauchier-Delavigne. Éd. Robert Laffont, 180 pages.