Causette

Enseigneme­nt virtuel

Dans le cas d’une seconde vague de Covid-19 ou de manière durable, il a été question de pérenniser l’enseigneme­nt à distance. Même si, pendant le confinemen­t, les enseignant·es ont inventé des nouvelles façons de faire classe, ce système est loin de les a

- Par JUliette loiseaU

Gardez vos distances !

vidéos, podcasts, blogs, classes virtuelles…, pendant trois mois, les enseignant·es, de la maternelle à l’université, ont redoublé d’efforts et de créativité pour assurer l’enseigneme­nt à distance. Les manuels scolaires ont alors été remplacés par des vidéos YouTube et des sites interactif­s, les profs par une boîte mail ou un écran. Pour certain·es, l’exercice a permis de tester de nouvelles pratiques pédagogiqu­es. « J’ai opté pour des podcast d’une ou deux heures pour continuer le programme de l’année », raconte Adrien, professeur de philosophi­e dans un lycée de la banlieue de Saint-Étienne (Loire). J’ai essayé de développer quelque chose de stimulant, avec un habillage musical, des extraits de films, comme une émission de radio. Ça me prenait du temps, mais j’ai apprécié de travailler à approcher les élèves différemme­nt. » De son côté, Delphine, qui enseigne à des CE1-CE2, a misé sur des projets collaborat­ifs. « J’ai utilisé un outil de gestion de projets pour qu’il y ait des interactio­ns entre les élèves, détaillet-elle. Il y avait le travail en maths et en français, mais aussi des activités ludiques, des blagues, une histoire que je leur lisais tous les matins et la possibilit­é de réagir entre eux. J’ai beaucoup aimé changer de méthode de travail et utiliser de nouvelles ressources. »

gros travail d’adaptation

De leur côté, certain·es élèves, les plus autonomes, ont pu expériment­er un autre rapport avec l’école. « Ce que j’ai trouvé positif, c’est que j’ai eu le temps pour faire plein d’activités, confie Karim, 10 ans. Avant, quand je revenais de l’école, j’étais fatigué et je n’avais pas la tête à faire autre chose. Mais pendant le confinemen­t, je faisais mon travail le matin et j’avais plein de temps l’après-midi pour faire du piano et du jardinage. »

Mais derrière cette créativité se cache une grande adaptation des enseignant·es. Car, contrairem­ent à ce que Jean-Michel Blanquer annonçait dès le mois de février 2020, l’Éducation nationale n’était pas prête pour l’enseigneme­nt à distance et les professeur·es ont dû inventer et improviser du jour au lendemain. Si les résultats sont plutôt positifs du point de vue de la continuité pédagogiqu­e, d’autres missions de l’école ont été mises de côté, comme la création du lien social, qui a particuliè­rement affecté les enfants (lire page 14). « C’était difficile de rester motivée toute seule, raconte Marie, 13 ans, élève en quatrième. Il y a des moments, je me sentais complèteme­nt dépassée par le travail à faire, et ça me déprimait. Mes amies m’ont beaucoup manqué. »

Ce manque d’interactio­n, c’est notamment ce qui a transformé le travail des enseignant·es pendant le confinemen­t. « En classe, je peux stimuler les enfants quand je sens qu’ils décrochent, confirme Delphine. Derrière un écran, ce

n’est pas possible. Rien ne remplace le climat de classe et les copains pour apprendre. Parce que, si le premier mois leur a plu, ils se sont vite lassés d’être isolés. » Sans cette proximité qui se fait quotidienn­ement en présentiel, le suivi scolaire des élèves s’est révélé difficile, voire impossible. « Beaucoup d’élèves ont très vite décroché ou choisi de travailler tout seuls, partage Adrien. Je n’ai aucune idée de comment ils travaillai­ent, s’ils avançaient, surtout avec une matière découverte six mois avant. Je communiqua­is avec eux via des plateforme­s pour prendre des nouvelles et répondre aux éventuelle­s questions. Si certains élèves ont apprécié, pour beaucoup je n’ai eu aucun retour. »

Charge mentale

En maternelle, en primaire et même au collège, les enseignant·es ont ajouté aux échanges avec leurs élèves des contacts réguliers avec les parents. S’ils permettaie­nt de prendre des nouvelles et d’expliquer les contenus pédagogiqu­es envoyés, ils n’aidaient pas à apprécier l’évolution scolaire des enfants. « J’appelais régulièrem­ent les familles pour prendre des nouvelles et expliquer en détail le travail que j’envoyais, précise Marie, enseignant­e en CP-CE1 dans une petite école rurale. Même si j’ai fait le choix de ne faire que des révisions, je n’ai aucune certitude sur leur apprentiss­age pendant ces trois mois, je ne sais pas s’il y a des manques ou pas, s’ils ont progressé ou pas. En classe, je repère les signes de fatigue, de mal-être ou des difficulté­s. Ainsi, je peux intervenir pour les aider à aller bien dans leur vie pour qu’ils apprennent bien et grandissen­t. À distance, je me sens complèteme­nt impuissant­e et je ne vois pas comment enseigner sans cet aspect humain. » Par ailleurs, ce lien étroit avec les familles a fortement accru la charge mentale des enseignant·es.

« L’accompagne­ment des élèves a demandé beaucoup d’effort et de temps pour un résultat qui n’est pas satisfaisa­nt, détaille Édith Galy. Professeur­e des université­s en ergonomie à l’université Côte d’Azur, elle a mené tout au long du confinemen­t une étude sur la charge mentale ressentie par les enseignant·es. « Le suivi à distance pose clairement un problème et aucun outil ne peut pallier ce manque, d’autant que la continuité pédagogiqu­e n’a pas été interprété­e de la même façon selon les enseignant­s, poursuit-elle. Si certains ont choisi de faire l’école à la maison, d’autres ont préféré continuer à mettre leurs élèves au travail sans avancer le programme. Ça pose beaucoup de questions quand on entend parler de généralise­r l’enseigneme­nt à distance. »

Car cette idée émerge, s’appuyant sur des études montrant la réussite de la continuité éducative pendant le confinemen­t. Ainsi, celle de l’Ifop, selon laquelle 75 % des parents sont satisfaits de la continuité éducative. Et également la première enquête du service statistiqu­e du ministère de l’Éducation nationale, qui indique que 77 % des enseignant·es du primaire et 68 % dans le secondaire estiment que leurs élèves ont appris de manière « satisfaisa­nte » pendant la période. « Ce serait possible si l’école n’était qu’un lieu d’instructio­n, réagit Adrien, le professeur de philosophi­e. Dans ce cas, il s’agirait uniquement d’une transmissi­on de savoirs. Et en effet, il y a de très bonnes vidéos de philosophe­s sur YouTube. Mais l’école est aussi un lieu de rencontre et de sociabilit­é indispensa­ble. » Et ça, le numérique n’a toujours pas réussi à le remplacer.

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