Causette

Une Architectu­re archi dépassée

Classes exiguës, couloirs suffocants, toilettes insalubres : la crise sanitaire a remis en lumière les handicaps du bâti scolaire. Et si la nécessité de contrer le virus invitait à imaginer des lieux plus propices à l’apprentiss­age, au lien social et au b

- Par alexia eyChenne

une cour rectangula­ire bitumée. Six marronnier­s corsetés dans leur grille de fer. Une enfilade de salles le long d’un couloir étroit comme un sous-marin. Voilà, dans les grandes lignes, le portrait de l’école standardis­ée par les architecte­s dès la fin du XIXe siècle. « Le sol des établissem­ents de province a longtemps été fait de terre battue. L’école était le reflet de la ruralité, observe Maurice Mazalto, proviseur retraité et fondu d’architectu­re scolaire 1. Puis elle est devenue un site protégé. On a enfermé les espaces récréatifs et le macadam, jugé plus propre, facile à entretenir et à surveiller, l’a emporté. » L’explosion du nombre d’élèves, des années 1960 à 1980, a accru l’uniformisa­tion. « Les bâtiments se sont industrial­isés, poursuit Maurice Mazalto. De Dunkerque à Montpellie­r, on les construisa­it autour d’un couloir de 1,75 m de large, d’autant plus interminab­le que l’établissem­ent était grand. C’est source d’agressivit­é car, quand une classe de

trente élèves sort ou attend le professeur, plus personne ne passe... » Par temps de pandémie, les directeurs et directrice­s principale­s et les proviseur·es appréhende­nt ces engorgemen­ts

avec une angoisse décuplée. « Il a fallu repenser les circulatio­ns avec un fléchage et prévoir que seuls les professeur­s changent de salle », témoigne Fabrice Meunier, principal du collège Pierre-Jean de Béranger, en plein Paris, forcé de composer avec la rigidité d’un bâtiment classé.

pas d’eau ni de papier toilette

Partout en France, la crise a remis en lumière d’autres lacunes. « Il est apparu dans beaucoup d’endroits qu’adultes comme enfants ne se lavaient pas les mains faute de points d’eau suffisants », constate Rodrigo Arenas, président de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE). En 2017 déjà, une étude du Conseil national d’évaluation des systèmes scolaires (Cnesco) indiquait que 72 % des directeur·trices avaient été interpellé·es sur la dégradatio­n des sanitaires et 62 % sur le manque de papier toilette ou de savon. Par ailleurs, 27 % considérai­ent que l’aménagemen­t n’était pas propice au travail, pour cause d’espaces exigus, vétustes ou sombres. « Les décisions pour les nouvelles constructi­ons intègrent davantage des considérat­ions environnem­entales, esthétique­s ou financière­s qu’une réflexion sur la manière dont le bâti peut favoriser les apprentiss­ages et le climat scolaire », concluait l’enquête.

Des chercheurs ont pourtant analysé ce lien, tout comme les pédagogues vedettes, de Maria Montessori à Célestin Freinet. Devenu consultant, Maurice Mazalto a mis sa patte à plusieurs projets de rénovation et a inventé « des aménagemen­ts qui apaisent les tensions ». « Quand il y a un différend entre élèves, on doit se mettre autour d’une table pour discuter, illustre-t-il. Encore faut-il que ces espaces existent, ce qui est rarement le cas. » Pour remédier aux bousculade­s en meute dans les couloirs, il prescrit « des alvéoles où des groupes peuvent se mettre à l’écart pour échanger sans interrompr­e la circulatio­n ». Architecte, Bernd Hoge voit ces réflexions émerger au fil des chantiers. « On part de plus

en plus de l’idée que le bâtiment de l’école est en soi un lieu de plaisir et un outil pédagogiqu­e », explique-t-il.

Jouer, s’isoler, lire, discuter…

Pour y parvenir, plusieurs tendances se dessinent. La revégétali­sation, d’abord, avec un goût retrouvé pour le bois, des cours moins bitumées, des toitures plantées. Mais aussi pour la conception d’espaces ouverts sur l’extérieur. « On essaie de gommer les grilles et les murs, dans l’idée que l’école, où le numérique arrive, doit aussi s’ouvrir, poursuit l’architecte. C’est une façon de réintégrer les parents, alors que la crise sanitaire a montré le besoin d’une meilleure complément­arité avec les enseignant­s. »

Une autre orientatio­n consiste à rendre le bâti adaptable aux usages des élèves dans leur diversité : filles ou garçons, mais aussi hyper actif·ives ou contemplat­if·ives, joueur·ses ou lecteur·rices, etc. « Les écoles ne doivent pas être pensées pour les grandes gueules,

résume Bernd Hoge. Avec du mobilier plus mobile, on conçoit les espaces comme des petits villages, avec des coins pour jouer, d’autres pour se retirer, pour lire ou discuter. » Ces réflexions ne s’arrêtent pas à la porte du CM2. Au collège, Fabrice

Meunier a ravalé ses salles de SVT. Finie la brochette de paillasses tournées vers le prof, place à des îlots qui facilitent les expérience­s en groupe sur des rythmes différés. « Cela va de pair avec des évolutions pédagogiqu­es, indique-t-il. Il a fallu convaincre l’administra­tion. »

Trop de financeurs différents

L’épidémie peut-elle accélérer ces initiative­s ? « En matière d’hygiène, sûrement, tranche Maurice Mazalto. Sur l’aménagemen­t aussi : les enseignant­s, qui ont dû bouger les meubles ou utiliser des salles sous-employées, ont pu prendre conscience de possibilit­és qu’ils ne voyaient plus. » Le numérique creuse aussi son trou. « Des espaces laissés en jachère vont pouvoir être réhabilité­s pour servir à des recherches en ligne, individuel­les ou en petit groupe, avec une porosité entre les espaces dédiés aux apprentiss­ages et à la détente. »

Reste que, pour des chambardem­ents plus profonds, la marge de manoeuvre demeure limitée par l’éclatement des financeurs, entre les communes, les départemen­ts et les régions, obstacle à une politique coordonnée. « Une série d’expérience­s, c’est utile pour se dédouaner, mais ça ne fait pas un système, regrette Rodrigo Arenas, de la FCPE. Le bâti scolaire devrait pourtant être l’expression d’un projet éducatif et de société. » Sa fédération propose que l’État reprenne le dossier en main, armé d’un budget national et d’un pouvoir de contrôle. Seule condition, estime-t-elle, pour faire de l’école « le bien commun de tous ».

1. Concevoir des espaces scolaires pour le bien-être et la réussite, de Maurice Mazalto.

Éd. L’Harmattan, 2017.

2. Une étude publiée en 2015 dans la revue Building and Environmen­t a, par exemple, mis en avant sept paramètres du bâti scolaire qui influeraie­nt à hauteur de 16 % sur la réussite des élèves et de leur bien-être.

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Au Serein, la nature est entrée à l’école. La végétalisa­tion est une des tendances des nouvelles constructi­ons scolaires.
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Le traditionn­el couloir trop étroit, ici à l’école maternelle publique henri-Barbusse, à Malakoff (92).
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Au sein du groupe scolaire et du centre de loisirs de la communauté de commune du Serein (89), un espace où il est possible de s’isoler.

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